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Interview Abdelouahed El Fassi 
actuel n°158, jeudi 6 septembre 2012
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Dans son duel face à Hamid Chabat, le prétendant à la direction de l’Istiqlal continue de privilégier le débat d’idées et adresse un discours plus posé. Ce qui ne l’empêche pas d’être parfois cinglant avec son adversaire.


 Â«â€‰Je ne rĂ©pondrai pas  Ă  l’insulte par l’insulte »

Candidat à la succession de Abbas El Fassi, le fils de Allal El Fassi évoque le Printemps arabe, se défend d’être le candidat d’une famille et met en garde contre les dérapages dans la bataille qu’il livre à Chabat pour le secrétariat général de l’Istiqlal.

 

actuel : Chuchotis, rumeurs et insultes, la bataille pour la succession de Abbas El Fassi ne donne pas une image reluisante de l’Istiqlal. Pourquoi autant de dérapages ?

Abdelouahed El Fassi : Je ne vous cache pas que j’aurais aimé avoir en face moi un adversaire fair play qui donne une autre image de la compétition, mais pour ma part, je maintiendrai la stratégie qui correspond le plus à ma personnalité, à savoir privilégier la courtoisie dans le débat et le respect de l’autre.

 

Car la vie politique, c'est d’abord une vie au service des idéaux d’un parti. Il faut savoir faire le sacrifice de son ego pour être au service des autres. S'agissant des relations avec mon adversaire politique, je me suis tenu et je me tiendrai toujours à une ligne : ne jamais répondre aux accusations par d’autres accusations, ne pas répondre à l’insulte par l’insulte et rester dans le cadre de la joute politique.

 

Justement, beaucoup de vos détracteurs estiment qu’en raison, entre autres, d’une honnêteté exemplaire, vous ne feriez pas un bon leader. La politique est-elle vraiment dénuée de toute morale ?

Ecoutez, si être honnête est incompatible avec la pratique politique, il me sera difficile de changer. Les gens pensent que je fais trop souvent l’éloge de la vertu ; effectivement je pense être honnête et espère le rester.

 

Cela dit, je n’ai jamais eu la prétention de piloter le parti tout seul. La gestion d’une formation aussi importante que l’Istiqlal exige un mode de gouvernance où la décision est collégiale. Il y a dans ce parti assez de compétences pour cela. Maintenant, ceux qui mettent le machiavélisme en tête de leurs priorités devraient savoir que les temps ont changé.

 

Quelles sont vos relations avec Chabat qui ne cesse de vous attaquer sur tous les fronts ?

Je vous le répète, nous ne sommes pas dans une logique de conflit personnel. En tant que militant, je me défends de personnaliser à outrance les clivages politiques et les divergences de point de vue.

 

En tout cas, je refuserai jusqu’au dernier moment de rentrer dans le jeu de Chabat. Prenons garde à nous en tenir au respect de l'autre, du débat d'idées et à la confrontation des programmes.

 

Mais vous n’avez pas peur que ce combat de chiffonniers, qui semble caractériser la course pour le secrétariat général du parti, ne nuise à l’image de l’Istiqlal et plonge cette formation dans une zone de turbulences ?

Il en faut bien plus pour ébranler l’Istiqlal, « turbulences » est un mot trop fort. Je suis certain que les militants du parti comprennent très bien le sens des manœuvres du camp adverse. Il y a bien entendu un risque que cela écorne l’image du parti auprès du grand public mais il n’y a aucun danger pour la stabilité de cette formation qui a vécu des crises bien plus fortes et plus réelles que ce léger contretemps conjoncturel.

 

Bien entendu, j’aurais espéré avoir affaire à un prétendant qui fasse passer les intérêts du parti avant les siens, et qui s’abstienne d’utiliser des moyens aussi peu orthodoxes pour gagner.

 

Justement, en matière d’orthodoxie, que répondez-vous à ceux qui reprochent au parti de fermer les yeux sur les forts soupçons de corruption qui pèsent sur certaines personnalités influentes de l'Istiqlal ?

Le sacro-saint principe de la présomption d’innocence vaut également pour les hommes politiques et les personnalités qui ont eu à exercer des fonctions administratives. Tant que nous avons affaire à de simples accusations gratuites, il est difficile de donner suite à ces reproches.

 

Prenons le cas concret de l’OCE. On accuse l’Istiqlal de couvrir les irrégularités qui ont caractérisé la gestion de l’Office pour éviter à des personnalités du parti de passer devant la justice, que répondez-vous à ces accusations ?

Le rapport de la commission parlementaire, en désignant nommément des leaders istiqlaliens comme responsables de dysfonctionnements, a fait preuve de partialité car ces personnalités avaient, pour la plupart, apuré leur dossier et réglé les dettes contractées auprès de l’Office.

 

De plus, elle a fermé les yeux sur les dépassements beaucoup plus graves d’autres personnes. Enfin, l’Istiqlal n’a fait que pointer du doigt l’irrégularité de la démarche qui est en contradiction avec la loi et l’esprit de la nouvelle Constitution. A partir du moment où le parquet a été saisi, il faut laisser la justice faire son travail.

 

On vous accuse souvent d’être le candidat d’une famille, les « El Fassi » en l’occurrence, qui règne sur l’Istiqlal depuis des décennies. Que répondez-vous à ces reproches récurrents ?

Ce n’est pas parce que je suis le fils du fondateur du parti qu’on me fait des fleurs. Je n’ai pas été parachuté. Bien avant l’âge de 18 ans, j’étais déjà membre actif de l’Istiqlal. Je me garderai bien de me vanter d’avoir fait de la prison sous Oufkir, puisque j’ai juste passé 24 h au commissariat pour avoir distribué des tracts en 1972, mais ce qui est certain, c’est que j’ai grimpé les échelons un à un jusqu’à mon élection au comité exécutif.

 

Lors des élections pour les structures internes du parti, j’ai toujours décroché la première place. Quant à mon expérience sur le terrain, j’évoquerai juste mon élection en tant que responsable régional du parti, mon passage au gouvernement en tant que ministre de la Santé, et une législature parlementaire.

 

A part peut-être El Kihel et ses camarades qui se battent clairement pour Chabat, il semble que vous soyez soutenu par une grande partie de la jeunesse de l’Istiqlal. N’est-ce pas paradoxal pour un parti où les jeunes cadres n’ont pas voix au chapitre ?

Je ne sais pas si je suis soutenu par les jeunes du parti, même si je pense que le feeling passe très bien avec plusieurs d’entre eux, mais je peux vous assurer que l’âge n’est pas pris en considération, nous privilégions la compétence et l’intégrité. La jeunesse du parti a, certes, un rôle déterminant puisqu’elle constitue, ou devrait constituer, une pépinière pour former les élites de demain.

 

Mais pour ce qui est des fondamentaux, l’Istiqlal a toujours fait la part belle à l’héritage des anciens. On a toujours gagné à assumer cet héritage. On n’a pas à en rougir. Cela dit, aucun responsable politique n'est en fonction ad vitam æternam. Bien entendu, l’Istiqlal qui est un grand parti populaire, avec une identité forte, doit veiller à faire toute la place aux différentes sensibilités.

 

Ce parti, malgré une force de frappe électorale considérable, a préféré participer au gouvernement au moment où le pays avait besoin d’une opposition forte. Pourquoi avoir choisi de vous embarquer dans une aventure incertaine avec les islamistes ?

Nous croyons en la continuité de l'Etat. C'est un principe essentiel. Les militants de l’Istiqlal sont des hommes de conviction et d'engagement. Ils ont toujours servi leur pays avec rigueur et dévouement.

 

Ce sont des nationalistes qui ont, chevillés au corps, le sens de l'intérêt général et une très haute idée de la place du Maroc dans le monde. Dès le lendemain des échéances électorales du 25 novembre 2011, nous avons longuement réfléchi et considéré qu’il était nécessaire que l’on participe au gouvernement. Il y a malheureusement une volonté d’uniformiser tous les partis en les cantonnant à un simple rôle électoraliste.

 

Après plusieurs mois d’exercice, ne regrettez-vous pas d’avoir été aux commandes avec une coalition hétéroclite ?

Il ne faut pas être injuste avec ce gouvernement qui n’a pas encore bouclé une année aux commandes. Nous y sommes entrés parce que nous étions convaincus qu’il n’y avait pas d’autre solution pour éviter au pays des lendemains incertains. En agissant ainsi, l’Istiqlal a fait preuve de lucidité et d'un grand sens des responsabilités. Il a su sortir des logiques partisanes pour faire le choix de l'intérêt supérieur. N’oublions pas que l’Istiqlal est la conscience de la nation.

 

En faisant le choix de vous allier avec les islamistes, vous avez enterré la Koutla ?

Détrompez-vous, notre parti est toujours attaché à la structure de la Koutla, qui aura un rôle très important à jouer dans l’avenir. Nous n’avons pas abandonné l’esprit de la Koutla comme nous entretenons toujours des relations étroites avec ses composantes. Nous considérons que les alliances conclues doivent perdurer. Elles sont historiques et dépassent les aléas de la conjoncture.

 

Alors que le Printemps arabe secoue les pays voisins, le parti de l’Istiqlal semble en dehors de cette dynamique. Pour quelles raisons votre formation a-t-elle tourné le dos à cette dynamique ?

Au contraire, c’est un peu grâce à l’Istiqlal et aux autres grands partis que le Royaume a traversé cette zone de turbulences avec le moins de dégâts possibles. Soudés derrière Sa Majesté qui a pris des décisions historiques, dont le fameux référendum de la Constitution, tous ces partis ont évité de faire dans la surenchère politicienne, une tentation à laquelle beaucoup de formations dans les pays voisins n’ont pas résisté.

 

Etes-vous certains aujourd’hui que « les révolutions arabes » soient vraiment porteuses du modèle démocratique ?

Au vu de certaines dérives, à voir les errements de certains, on peut à juste titre se poser la question « jusqu’où ira le Printemps arabe ? »

 

Quelles sont vos relations avec la monarchie ?

L’Istiqlal, n’ayons pas peur des mots, est un parti monarchiste. Il a été derrière Mohammed V sous l’occupation et il continue d’apporter son soutien au règne de Mohammed VI. Nous sommes convaincus que sans le ciment de la monarchie, le Maroc n’aurait pas gardé son unité.

 

La politique, c'est servir son pays, défendre ses convictions, bâtir un projet. C'est essayer de trouver des solutions aux problèmes des citoyens, améliorer leur quotidien, débattre de l'avenir. Cela résume un peu le pacte que nous avons conclu très tôt avec la monarchie.

 

Quel est votre pronostic pour le 22 septembre, date de l’élection du secrétaire général de l’Istiqlal ?

En démocratie, c'est le peuple qui choisit. Cela vaut pour le parti. Il n'y a jamais d'élection acquise ou perdue d'avance. Pour l’anecdote, je vous rappelle que jusqu’au 22 septembre, Chabat et moi sommes toujours des candidats potentiels car selon les statuts du parti, aucune candidature n’est acceptée avant le jour J. D’ici-là, il se pourrait bien que d’autres prétendants se déclarent.

Propos recueillis par Abdellatif El Azizi

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