Longtemps critiqué pour être le « cimetière des lois », le Secrétariat général du gouvernement (SGG), qui donne le visa pour l’application des lois, semble continuer à snober l’autorité de Benkirane, voire même l’esprit de la nouvelle Constitution.
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Dès la formation du nouveau gouvernement, les partis au pouvoir s'étaient inquiétés de l'indépendance du SGG considéré depuis toujours comme l'un des départements qu'ils auraient le plus de difficultés à dompter. A l’époque, le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, s’en était défendu arguant que le choix de Driss Dahak était le sien et que l’ère des ministères de souveraineté était à jamais révolue. Aujourd’hui, ce ne sont pas les observateurs ou les partis d’opposition qui contredisent Benkirane, mais plutôt Driss Dahak, patron de cette puissante institution. Ce dernier ne se gêne pas en effet de se mettre en porte -à  -faux avec son patron direct ! Lors de l’examen, le 2 avril, du budget du SGG par la commission des Finances, les parlementaires de l’opposition – tout à fait dans leur rôle – n’ont pas pris de gants pour attaquer Dahak. Abdellatif Ouahbi, président du groupe parlementaire du PAM, est allé jusqu’à qualifier son département de « cimetière  des lois  ». Il s’est même dit étonné de voir le secrétariat du gouvernement, dont l’action est décisive pour le processus législatif, « fonctionner à 5 km/h au moment où le gouvernement roule à 180 ». Hassan Tarik, député USFP, a enfoncé le clou en accusant le SGG d’avoir été l’une des « principales poches de résistance » au changement à l’époque du gouvernement Youssoufi, considérant ce département « au-dessus du gouvernement ».
Face à ces attaques, Dahak a répondu par un coup de gueule qui restera dans les annales de la gouvernance : « Dans tous les pays, il y a des institutions qui veillent sur la continuité de l’Etat, du fait que le changement des gouvernements ne signifie pas celui de l’Etat. C’est le cas par exemple de l’armée turque. » Une comparaison qui a fait réagir tout le monde, sauf le chef du gouvernement censé s’exprimer sur cette situation et expliquer à l’opinion publique cet écart verbal de Dahak. « Garder le silence revient à cautionner ces propos. Au mieux, cela sera assimilé à la peur de se prononcer », explique un fin observateur.
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Super ministre
Une chose est sûre, la réforme profonde du Secrétariat général n’a pas encore commencé. Elle devrait mettre un terme à une situation de souveraineté dont jouissait ce département se considérant au-dessus du gouvernement. « Cette situation a duré et perduré. Elle est aujourd’hui contraire à l’esprit de la nouvelle Constitution. Cet établissement doit s’inscrire dans la normalité institutionnelle », nous assure Hassan Tariq.
« Du temps du gouvernement Youssoufi, se souvient Tariq, Mohamed Elyazghi, à l'époque ministre de l’Habitat et de l’Environnement, avait déposé un projet de loi sur l’environnement. Abdessadek Rabii, alors patron du SGG, lui avait clairement signifié que la question environnementale était du ressort royal, en se basant sur l’interprétation de l’article 19 de l’ancienne Constitution. Or cette loi n’a jamais vu le jour. Nous sommes presque devant la même situation aujourd’hui. » Ne se contentant pas de s’en prendre uniquement a Dahak, les socialistes tiennent Abdelilah Benkirane pour responsable de la situation. « Le chef de gouvernement doit imposer son autorité à ce ministère qui fait partie du gouvernement », tonne le député socialiste.
Toutefois, l'on se demande pourquoi les socialistes ne l'ont pas fait quand ils Ă©taient au pouvoir.
Du côté du groupe PJD, la tendance est tout autre. Abdellah Bouanou tend à minimiser l’impact de la polémique. «D’abord, lors de la formation du cabinet Benkirane, Dahak n’était pas le seul nom proposé, ensuite la Constitution ne parle aucunement de département de souveraineté et, en troisième lieu, nous n’avons encore rien vu qui atteste que le SGG se comporte comme un ministère de souveraineté… si ce n’était les déclarations de Dahak que je trouve, effectivement, déplacées. »
Pour illustrer la réputation castratrice qui colle au SGG, Abdelwahed El Ansari de l'Istiqlal a rappelé la non-publication de la loi interdisant de fumer dans les lieux publics au Bulletin officiel. « La loi existe mais pas encore dans le BO et nous nous demandons quelle en est la raison », a-t-il relevé, appelant le SGG à ne plus tarder à publier les décrets d’application.
Pour le groupe PJD, ce « problème n’est plus d’actualité, puisque la Constitution a fixé un délai pour la parution des textes de loi dans un délai ne dépassant pas un mois après son adoption au Parlement».
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Techniquement irréformable ?
Mais est-ce possible de respecter ces délais quand ni les ressources humaines ni les moyens financiers nécessaires ne sont au rendez-vous ? «Nous ne gardons pas les projets de lois, nous les examinons en coordination avec l’ensemble des parties concernées. Nous les retournons au ministère qui nous les a soumis et, parfois, nous n’avons pas de suite. Alors nous devons rappeler ce ministère et prendre en considération ses amendements », a expliqué le secrétaire général du gouvernement aux députés furieux. Ce travail de coordination est un véritable chemin de croix au sein du SGG, comme l’a souligné Driss Dahak devant la commission parlementaire, insistant sur le rythme effréné que son département doit s'imposer pour préparer les conseils de gouvernement. En effet, jusqu’en 2008, le SGG ne comptait qu’une vingtaine de juristes. « L’examen de la loi de Finances à lui seul mobilise les cinq meilleurs juristes du SGG pendant un mois et demi », confie un fin connaisseur du fonctionnement de cette institution. Un plan de recrutement a déjà vu le jour et le département de Dahak envisage d’engager 60 nouvelles recrues d’ici à fin 2012. Mais pour l'opposition, tout cela n'est qu'un faux - fuyant : « Il faut d’abord régler le problème politique, ensuite s’il y a un réel blocage technique, il incombe au chef du gouvernement de débloquer les postes budgétaires et d’affecter les ressources humaines nécessaires au bon fonctionnement du SGG. Mais il n'y a apparemment aucune visibilité à ce niveau », rétorque Hassan Tariq. « Le projet figure dans l’agenda du gouvernement, mais on ne sait pas encore pour quand », explique Bouanou.
Pour le moment, aucun des groupes parlementaires ne compte déposer une proposition de loi dans ce sens, au moment où le Parlement s’apprête à voter quinze lois organiques. Pire encore, aucun n’envisage de s’adresser formellement au chef du gouvernement à ce sujet...
Ali Hassan Eddehbi
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