Des lĂ©gislatives aux communales en passant par les grĂšves, les leaders politiques ou syndicaux accusent la tĂ©lĂ©vision de collusion avec certains acteurs en vue et portent lâaffaire devant la Haca. Mais si les politiques protestent, les journalistes aussi se plaignentâŠ
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Mardi 23 mars. Tout le ghota politique se bousculait sur le plateau de lâĂ©mission bimensuelle Hiwar prĂ©sentĂ©e en direct sur la Une. On attendait un Thami Khiyari qui nous explique pourquoi sa formation politique est Ă vau-lâeau, on a eu un secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du parti du Front des Forces DĂ©mocratiques qui a passĂ© le plus clair de son temps Ă se plaindre de « la marginalisation de son parti par les deux chaines de tĂ©lĂ© accusĂ©es de servir de relais Ă dâautres formations de crĂ©ation plus rĂ©cente ».
Les contraintes que font peser les politiques sur les mĂ©dias ne sont pas nouvelles mais de mĂ©moire de journaliste, on nâa jamais vu autant de recours traitĂ©s par la Haca. La derniĂšre mouture du bulletin ofïŹciel est riche en plaintes comme celle dĂ©posĂ©e par le syndicat national de lâenseignement (SNE) contre « le black-out mĂ©diatique pratiquĂ© par Al Oula et 2M » lors de la grĂšve nationale de ce secteur, le 11 fĂ©vrier 2009.
Pas moins dâune dizaine de syndicats sont montĂ©s au front lâannĂ©e derniĂšre pour dĂ©noncer ce quâils considĂšrent comme « une privation injustiïŹĂ©e de leur droit Ă lâaccĂšs Ă lâaudiovisuel public ». Le 6 mai 2009, et ce malgrĂ© la rĂ©ponse et les arguments avancĂ©s par la SNRT, Ahmed Ghazali et ses conseillers dont un certain Mohamed Naciri, devenu ministre de la Justice depuis, ont conclu que « la sociĂ©tĂ© nationale de radiodiffusion et de tĂ©lĂ©vision nâa pas respectĂ© ses engagements relatifs au pluralisme et a enfreint les rĂšgles de la garantie dâexpression des courants de pensĂ©e et dâopinion dans les services de communication audiovisuelle », et adressent ainsi une mise en demeure Ă la SNRT, la sommant de respecter ses engagements.
Quant aux partis politiques, PAM et PJD en tĂȘte, tous sans exception ont menĂ© leur bataille de lâaudimat jusquâau bout des Ă©chĂ©ances Ă©lectorales. Pas une formation qui nâait criĂ© Ă lâinjustice et la Haca a dĂ» se prononcer sur les multiples plaintes dĂ©posĂ©es au lendemain des scrutins. LâannĂ©e 2009 aura Ă©tĂ©, au Maroc, marquĂ©e par un glissement accĂ©lĂ©rĂ© vers la mise en spectacle de la politique Ă la tĂ©lĂ©vision qui fut longtemps mĂ©prisĂ©e par les partis et conïŹsquĂ©e par Hassan II.
La sollicitation de la tĂ©lĂ©vision rĂ©pond dĂ©sormais Ă une stratĂ©gie imaginĂ©e tant pour mobiliser durablement une audience dâĂ©lecteurs que pour redorer le blason de partis politiques en perte de vitesse. Que reprochent au juste les politiques Ă la tĂ©lĂ© ? Une tendance dominante qui privilĂ©gie les analyses superïŹcielles et un traitement people des questions politiques ? Un journalisme de surface qui ne sâintĂ©resse guĂšre aux dĂ©bats de fond et aux idĂ©es ? Ni lâun ni lâautre, la plupart des griefs sont focalisĂ©s sur « le droit Ă lâaccĂšs aux services de la communication audiovisuelle sans aucune discrimination ». Mais, dans les coulisses, les hommes politiques se lĂąchent et dĂ©noncent la partialitĂ© de telle ou telle Ă©mission, le parti pris de tel ou tel animateur. Avec, en toile de fond, deux ennemis communs : le PAM et le PJD.
Relations de connivence
Ă 2M, on ne sâinterroge plus sur la longĂ©vitĂ© controversĂ©e de Samira SitaĂŻl Ă la tĂȘte de la direction de lâinformation. On ne sâinterroge Ă©galement plus sur le doute que lâamitiĂ© de la directrice de lâinformation avec le patron du PAM fait planer sur lâindĂ©pendance des journalistes vis-Ă -vis des pouvoirs politiques.
Toujours sur la question des « collusions des journalistes avec les hommes politiques », les bagarres Ă couteaux tirĂ©s avec, en toile de fond, le dĂ©licat dĂ©bat sur lâindĂ©pendance journalistique, ne concernent pas uniquement la tĂ©lĂ©vision et sont loin de se limiter aux seules relations de connivence quâaurait le PAM avec ces journalistes. « Aujourdâhui l'asservissement des mĂ©dias, toutes tendances confondues, rend insipide l'intĂ©rĂȘt de ces dĂ©bats.
Tous ces journalistes qui frĂ©quentent les politiques en dehors des heures de bureau sont-ils encore crĂ©dibles ? Un journaliste qui se respecte ïŹxe les principes du dĂ©bat, or, aujourd'hui, on nâa plus que des animateurs qui servent la soupe Ă leurs invitĂ©s », sâindigne un confrĂšre de 2M. Et les rapports entre la politique et la tĂ©lĂ©vision ne relĂšvent pas seulement de la mise sous tutelle de la tĂ©lĂ©vision par tel ou tel homme politique, mais de lâadoption des techniques de la tĂ©lĂ©vision par le politique qui entraĂźne « une dĂ©pravation du politique et une politisation du divertissement » pour citer Pierre Musso, un grand spĂ©cialiste des mĂ©dias, auteur de TĂ©lĂ©-politique.
Orchestration médiatique
La pipolisation des hommes politiques et le cÎté bling-bling font le reste. Sur ce registre, le PJD et le PAM sont à peu prÚs à armes égales. Un populisme de bon aloi, servi à satiété par le premier auquel répond le messianisme patenté du second.
Au niveau du PJD, c'est Mustapha Ramid qui tient en haleine les médias, puisant à chaque fois dans un registre populiste qui surfe sur des questions aussi diverses que l'homosexualité, le port du voile ou encore l'évangélisation. D'un autre cÎté, un animal politique comme le patron du PAM dispose des cartes lui permettant de maßtriser cette puissante orchestration médiatique.
Avant dâasseoir une autoritĂ© confĂ©rĂ©e par les urnes, le PAM a fait son succĂšs par les « unes », se forgeant une lĂ©gitimitĂ© cathodique entiĂšrement tournĂ©e vers la satisfaction de ses ambitions de pouvoir. Peu importe qu'il se trompe ou qu'il se contredise dĂšs lors que nul (ou presque) parmi les journalistes ne le souligne. De mĂȘme qu'il a sĂ©duit nombre d'intellectuels, de sportifs et de stars des annĂ©es de plomb (Salah El Ouadie ou encore Lahbib Belkouch) pour ne citer que ceux-lĂ , lâhomme rĂ©ussit Ă ĂȘtre apprĂ©ciĂ© de journalistes qui ont pourtant la rĂ©putation dâavoir le cĆur Ă gauche.
Des pressions politiques ? Personne ne viendra vous dire ce que vous devez faire ou Ă©viter de faire. Il nây a pas de note de service dans les couloirs sur la place Ă accorder aux activitĂ©s dâEl Himma, pour ne citer que lui. Câest beaucoup plus subtil que cela ; ça commence par des rĂ©ïŹ exions du genre, aprĂšs un entretien avec un Pamiste : « Hier, tu y es allĂ© bien fort ! Tu ne lâas pas mĂ©nagĂ© pour lâinterview ! » ou encore « Tu sais, il a fait un boulot remarquable Ă Benguerir », sous-entendu tu devrais prendre ton camĂ©raman et faire un reportage sympa sur la rĂ©gion, parfois câest encore plus compliquĂ© Ă dĂ©crypter parce que tout se fait dans le non-dit, explique un journaliste de 2M. En tout cas, si la volontĂ© de contrĂŽler les mĂ©dias est tout Ă fait naturelle chez un responsable politique, câest Ă la communautĂ© des dirigeants de mĂ©dias et aux journalistes de rĂ©sister Ă cette pression.
Abdellatif El Azizi |