L’arrestation de Abdallah Senoussi, boîte noire du régime de feu Khadafi, fait trembler beaucoup de monde. Ici comme en Europe.
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Pourquoi tous les services de renseignement jouent-ils la course contre la montre afin d'empêcher que Abdallah Senoussi ne tombe entre les mains du Conseil national de transition libyen ? Ce n’est certainement pas pour des raisons humanitaires que l’ex-patron des services secrets de Kadhafi, arrêté vendredi à l'aéroport de Nouakchott en Mauritanie, intéresse tant les états majors politiques occidentaux.
La boîte noire du régime du dictateur libyen était aussi le principal interlocuteur des chefs d’Etats de plusieurs pays africains. Et son arrestation sent le soufre. Le voyageur a pris le vol régulier AT 771 de la RAM arrivé à Casablanca en provenance d’Orly, le jeudi 15 mars à 17h30, pour une courte escale, avant de repartir vers Nouakchott. Le lendemain de l’arrestation du haut dignitaire libyen, qui a été évacué vers un hôpital après un malaise cardiaque, trois policiers mauritaniens et le fils d'un haut fonctionnaire, accusés d’avoir facilité son arrivée à Nouakchott, ont été appréhendés dimanche par les forces de sécurité.
Senoussi, qui voyageait avec « un passeport malien falsifié », s'est même permis le luxe de prendre un café dans le bistrot de la zone de transit de l'aéroport Mohammed V de Casablanca. Le lendemain de son arrestation, le site mauritanien Alakhbar rapportait que les services français l'avaient « repéré » mais que les Marocains ayant refusé de procéder à son arrestation, il a fallu attendre qu’il atterrisse à Nouakchott. Nul doute qu'il disposait de protections au plus haut niveau en Europe qui lui ont permis d’échapper à différents mandats d’arrêt, dont celui de la Cour pénale internationale.
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Scandales et dossiers secrets
L’ancien chef des services de renseignement libyens, et beau-frère de Kadhafi, était un habitué des grands de ce monde. Des dossiers, l’homme en possède sur bon nombre de chefs d’Etat étrangers, à commencer par Sarkozy. Il avait récemment incriminé le chef d’Etat français dans une affaire de financements occultes de la campagne pour les élections de 2007. De plus, les récentes enquêtes de Mediapart et du Canard Enchaîné tendent toutes à confirmer qu’Amesys, une entité du groupe français Bull, a vendu un dispositif d’écoute global, à l’échelle de la nation, au régime de Kadhafi. C’est Abdallah Senoussi, en sa qualité de chef du renseignement militaire libyen, qui accusait réception de chaque livrable, et remontait les demandes fonctionnelles ou faisait part des failles du service.
Avec Berlusconi, l’ex-barbouze en chef entretenait des relations plus que cordiales. En 2006, un gros scandale avait fait la manchette des journaux italiens : le président du Conseil avait autorisé et couvert l’hospitalisation de Abdallah Senoussi dans un hôpital de Rome. Ce dernier venait juste d’être condamné à perpétuité, en 1 999, par contumace par la Cour d’assises spéciale de Paris pour avoir organisé l’attentat contre l’avion DC 10 de la compagnie UTA en 1 989, qui avait causé la mort de 170 passagers dont 54 Français et 9 Italiens.
Le directeur du renseignement de la DGSE, qui était alors le contrôleur général André Le Mer, avait alerté sa hiérarchie. Mais cela n’a pas empêché Berlusconi de mettre un avion personnel à la disposition de Senoussi, opéré d’une tumeur, pour rentrer nuitamment à Tripoli.
L’homme était également l’interlocuteur privilégié des Américains et des Anglais. Selon The Independent, la Grande-Bretagne avait communiqué à l'époque, aux services secrets libyens, des informations sur des opposants de Kadhafi en exil.
Dans une lettre du 16 avril 2004, les services secrets britanniques informent Tripoli qu'un militant libyen vient d'être libéré en Grande-Bretagne. Le journal évoque plusieurs documents retrouvés en Libye sur la visite très médiatisée de l'ex-Premier ministre britannique Tony Blair dans ce pays, en 2004. « C'est M. Blair qui a insisté pour être reçu par Kadhafi sous sa tente. Selon ces notes, les services secrets britanniques ont aussi aidé à rédiger le discours où Kadhafi annonçait qu'il renonçait aux armes de destruction massives », affirme cette publication.
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Le Maroc dans tout cela ?
Avec le Royaume, les relations sont beaucoup plus ambiguës. Il est vrai qu’après la chute de Mouammar Kadhafi, tous les dignitaires proches du dictateur ont quitté Tripoli pour Casablanca. Certains en transit vers des capitales africaines plus sûres, d’autres dans l'espoir que les milliards détournés en Libye les aident à se refaire une virginité dans le Royaume.
Parmi les membres du premier cercle qui ont fait un passage par le Maroc, des sources proches des services de renseignement citent des personnalités comme le commandant Khouildi Hamidi, les enfants du chef de la garde rapprochée de Kadhafi, Azzedine Al Hanchiri ou encore Omrane Boukraâ Lwarfili, le véritable patron de la diplomatie arabe du dictateur libyen. Sauf que les dignitaires libyens n’ont pas trouvé l’accueil espéré dans le Royaume, en raison notamment de la brouille constante qui caractérisait les relations du colonel Kadhafi avec Hassan II.
Avec le roi Mohammed VI, la rupture est encore plus brutale. Bien avant les prémices de la chute du régime libyen, le souverain aurait refusé, à plusieurs reprises, de prendre Mouammar Kadhafi au téléphone. Et dès que le pouvoir de celui-ci avait commencé à vaciller, le Maroc a été le premier pays à accueillir des figures de l’opposition libyenne.
Néanmoins, Abdallah Senoussi aurait des informations intéressantes à livrer sur les armes stockées dans le sous-sol de l’ambassade de Libye à Rabat – découvertes quelques semaines plus tôt – et sur les Marocains qui devaient user de cet arsenal.
Abdellatif El Azizi |