Martine Aubry : «La circulaire Guéant est une aberration »
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Prudente et diplomate avec les institutions du Royaume, la première secrétaire du PS est toujours mordante quand il s’agit d’attaquer le président en place, et séduire un important électorat franco-marocain.
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Quel regard portez-vous sur le mouvement du 20-FĂ©vrier ?
Le Printemps arabe a pris cette forme au Maroc : des jeunes qui ont su, dans le calme, dire fortement ce qu’ils attendaient, c’est-à -dire plus de liberté, plus de démocratie, mais aussi un avenir par l’éducation et par l’emploi. Ils ont pris des formes de contestation admirables. C’est à cette révolte forte et pacifique que le roi a rapidement répondu, par son discours du 9 mars.
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Pendant les primaires, on disait ici que vous étiez la candidate du Maroc, et François Hollande candidat de l’Algérie.
Ah bon ?... François Hollande comme moi, nous savons ce que doit être le rôle du Maroc dans le Maghreb, par rapport au Proche-Orient et à l’Afrique. Nous sommes sur la même longueur d’onde. C’est pour cela que j’ai voulu rester un peu de temps ici afin d’expliquer notre vision de l’avenir. Il faut renforcer la coopération franco-marocaine sur d’autres bases, face à face, d’égal à égal pour que chacun soit gagnant, et c’est dans cet esprit que nous voulons construire l’Union entre l’Europe et la Méditerranée.
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Mais l'Union pour la Méditerranée (UPM) est une idée guaino-sarkoziste !
Nous avions applaudi à la naissance de l’UPM. De même que l’Amérique et l’Asie s’organisent entre le Nord et le Sud, je pense que nos deux continents doivent travailler ensemble, et que le Maroc comme la France ont un rôle central à jouer. Nous avons un grand champ de développement en commun, et pas seulement économique, mais aussi en termes d’éducation, de politique énergétique, de gestion de l’eau. Mais le projet de Nicolas Sarkozy est trop étriqué, trop personnel et est resté dans les limbes.
Il était trop ambitieux ?
Non, il ne l’était pas assez. L’Allemagne par exemple n’était pas intégrée dès le départ. Cela a été largement une coquille vide. Maintenant, il faut travailler à partir des discussions de Barcelone sur des projets concrets : l’eau, l’éducation, la formation etc. S’appuyer sur Kadhafi, Ben Ali et Moubarak n’était pas la bonne idée...
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Il y a un million de Marocains en France, et de nombreux binationaux qui vivent au Maroc. Pourquoi devraient-ils voter pour François Hollande plutôt que pour un autre candidat ?
Je suis bien placée pour en parler car ils sont très nombreux dans ma ville. Pour moi, les Franco-Marocains sont d’abord des Lillois. Ils sont plusieurs au conseil municipal et dans les conseils de quartier. Il y a une réelle différence entre François Hollande qui veut rassembler les Français – quels que soient leur âge, leur sexe, leur culture et leur catégorie sociale –, et le président sortant qui ne cesse de diviser, et d’opposer les Français et les étrangers. Il veut axer la campagne sur un sujet qui n’est pas majeur pour les électeurs, l’immigration, en faisant des propositions qui n’ont d’ailleurs aucune chance d’être mises en pratique, comme diviser par deux le nombre d’entrées sur notre territoire. Ça fait dix ans que la droite est au pouvoir, elle a fait voter 11 lois et il y a toujours 180 000 personnes qui rentrent chaque année. Aller jusqu’à dire qu’un Français qui veut épouser un étranger ne pourra pas le faire rentrer sur le territoire tant qu’il n’a pas fait des examens divers et variés, ça n’a pas de sens, c’est contraire à notre Constitution, et à la convention européenne des droits de l’homme. Bien sûr il faut lutter contre les mariages blancs. Mais il faut arrêter cette suspicion sur tous les couples mixtes ! Et il y a cette campagne incroyable autour de la viande halal... Nous voulons que les étrangers en situation régulière puissent vivre en France autrement que dans la suspicion permanente. François Hollande s’est engagé pour une régularisation sur critères, au cas par cas, en fonction de la durée de résidence et de l’intégration. La circulaire Guéant sur les étudiants est une aberration. Nous l’abrogerons. Nous avons besoin de cette mobilité des talents et des compétences dans les deux sens. Je fais aussi une proposition, un Erasmus francophone. Pour que des étudiants français viennent étudier au Maroc une année, par exemple, et pour que des jeunes Marocains viennent faire leurs études en France.
Propos recueillis par Eric Le Braz |