A l’USFP, on ne voit plus la vie en rose. Le retour à l’opposition n’est pas chose aisée, et les rivalités personnelles relèguent au second plan l’impératif de restructuration du parti.
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Un malheur ne vient jamais seul, dit l’adage. C’est bien le cas à l’Union socialiste des forces populaires (USFP) qui, après sa débâcle électorale du 25 novembre 2011, a opté, sous la pression de sa jeunesse enhardie par le Printemps arabe, pour une cure d’opposition. L’objectif étant de tenter de faire peau neuve d’ici la fin du mandat de Abdelilah Benkirane. La situation du parti ne fait toutefois que se compliquer jour après jour. Après quatorze années d’exercice du pouvoir, le parti ne semble guère enthousiaste dans un rôle d’opposant où il semble naviguer à vue, peinant encore à se démarquer pour ne pas se voir relégué au rang de force politique de deuxième division. Dans une telle ambiance, les conflits personnels remontent à la surface, et jettent davantage de discrédit sur un parti qui ressemble désormais à un grand corps malade.
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Egos surdimensionnés
Prévisible selon plusieurs observateurs, la polémique sur l’avenir de l’USFP n’attendait qu’un prétexte pour prendre de l’ampleur. L’annonce de la démission d’Ahmed Zaïdi de la présidence du groupe socialiste à la première Chambre aura suffi pour mettre au grand jour les maux du parti. Une démission sur fond de divergences avec d’autres ténors parlementaires, notamment Abdelhadi Khaïrate et Driss Lachgar. Ces derniers souhaitent manifester une opposition virulente à l’égard du gouvernement PJD, tandis que Zaïdi, lui, préconise une approche plus retenue, moins spectaculaire et plus constructive. Des divergences de vues qui ont sauté aux yeux dès la session consacrée à l’élection du président de la première Chambre. Une occasion saisie par le tonitruant Khaïrate qui a fustigé de manière théâtrale la « violation » de la Constitution en raison de la candidature de Karim Ghellab au perchoir, alors que celui-ci était toujours ministre dans le gouvernement sortant. D’autres coups de théâtre, moins fracassants, ont suivi depuis. « Il est tout à fait naturel que cela arrive. Le groupe parlementaire composé de 39 députés comprend de grandes figures du parti, notamment 10 membres du bureau politique et plusieurs anciens ministres », commente un militant de la jeunesse ittihadie. Ce qui fait beaucoup trop d’égos à gérer pour Zaïdi. Lequel, bien qu’il se refuse à l’avouer, s’est senti gêné par ces électrons libres qui dérangent, et n’a eu d’autres moyens d’imposer une certaine autorité qu’en brandissant la menace de sa démission. Coup de com’ ? « Cette histoire est terminée. La démission de M. Zaïdi a été rejetée à l’unanimité par les membres du bureau politique », affirme Fathallah Oualalou, membre du bureau du parti pour qui « les choses sont rentrées dans l’ordre… et il n’y a pas lieu de parler de crise ou de tensions ». Un point de vue loin d’être partagé par la jeunesse du parti, pour qui les récents développements ne font que traduire une « guerre de positions » entre les faucons du parti, comme les qualifie Oussama El Khlifi. Avec en toile de fond le départ, quasi officiel, de Abdelouahed Radi, content de profiter de sa retraite à la tête de l’Union parlementaire internationale, mais qui aiguise les appétits. « Zaïdi veut en profiter pour briguer le commandement du parti. Il veut se refaire une virginité à travers cette démission », murmure-t-on parmi la jeunesse du parti. « Il est l’un des responsables de l’ancienne phase. Il avait son mot à dire en termes organisationnels et doit assumer sa responsabilité dans les mauvais résultats obtenus aux législatives. Au lieu de vouloir attirer l’attention sur lui de la sorte, il ferait mieux de partir », ajoute notre source. Contacté par actuel, l’intéressé n’a pas souhaité s’exprimer.
Opposition folklorique ?
Cette guéguerre entre parlementaires pourrait bien n’être que l’arbre qui cache la forêt. Même si personne ne veut le reconnaître au sein de l’USFP. « Nous recherchons dans la sérénité la méthode qui va nous permettre d’exercer une opposition qui soit crédible. Après plus d’une décennie au pouvoir, le parti répond aujourd’hui au choix du peuple marocain en revenant à l’opposition », veut croire Oualalou. Même sentiment chez Habib El Malki, également membre du bureau politique, qui soutient que « l’opposition doit se construire ». Difficile à croire cependant quand « l’opposition » exercée par l’USFP se cantonne à de rares sorties médiatiques fustigeant les actes du gouvernement, et particulièrement de sa composante pjdiste. Des coups de gueule, somme toute. Dernier en date, celui de Mohamed Elyazghi contre Benkirane, affirmant à la presse qu’il « ne pardonnera jamais à ce dernier le fait d’avoir conduit une marche de protestation le jour du procès des assassins de Omar Benjelloun ». « Nous rejetons l’actuelle forme d’exercice de l’opposition. Nous voulons une opposition fondée sur une vision et un projet, et non pas une critique juste pour la critique », martèle El Khlifi. Le parti semble en effet davantage dans une logique de « non-participation au gouvernement », plutôt que dans une logique de véritable opposition.
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Renouvellement hypothétique
A cela s’ajoute le fait que l’USFP se gardera bien de critiquer tous les dossiers. Car, après leur départ du gouvernement El Fassi, les socialistes sont conscients d’avoir laissé derrière eux en héritage quelques dossiers sulfureux qu’il convient de laver en toute intimité. Les députés socialistes évitent ainsi d’évoquer les dossiers qui fâchent. Un comportement critiqué par la jeunesse du parti. « S’ils agacent trop le PJD, celui-ci pourrait bien leur sortir quelques cadavres du placard ! », confirme un observateur.
Les militants de base réclament la tenue d’un 9e congrès national, de toute urgence. Une demande partagée par les cadres. « Maintenant que nous ne sommes plus au gouvernement, nous devons urgemment tenir ce congrès, que j’appellerai volontiers le congrès du sauvetage du parti », avait déclaré M. Zaïdi. « Nous tenons un conseil national en avril prochain et ce sera l’occasion de fixer une date pour le prochain congrès », confirme Fathallah Oualalou. La course a déjà démarré. Driss Lachgar, Lahbib Malki, Fathallah Oualalou, et le démissionnaire de la présidence de l’équipe parlementaire, Ahmed Zaïdi, se rangent au côté des favoris, au grand dam d’une jeunesse avide de renouvellement. Celui-ci ne semble pourtant guère d’actualité. D’aucuns appellent de leurs vœux l’émergence d’une nouvelle tête. L’ex-ministre de l’Industrie et des Nouvelles Technologies, Ahmed Réda Chami, pourrait l'incarner. Mais la tâche s’annonce rude face aux faucons.
Ali Hassan Eddehbi |