Au moment où les salafistes repentis s’apprêtent à entrer de plain-pied dans le jeu politique, Al Adl Wal Ihsane n'envisage pas cette éventualité. Au point de s'attirer les foudres du gouvernement Benkirane.
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Rien ne va plus entre le gouvernement islamiste et la Jamâa du cheikh Abdeslam Yassine. Si celle-ci nous a habitués ces derniers temps à des sorties virulentes contre le PJD et le gouvernement conduit par ce parti, le fait nouveau est que Abdelilah Benkirane paraît ne plus tolérer les « écarts de conduite » d'Al Adl Wal Ihsane. Contrairement aux salafistes, dont l’un des idéologues, le cheikh Fizazi, a voté en faveur de la nouvelle Constitution, Al Adl campe sur ses positions de boycott, ce qui en fait la nouvelle force d’opposition islamiste sinon l’unique.
Dimanche 26 février, lors d’une manifestation de soutien au peuple syrien à Casablanca, Al Adl n’a pas manqué ce rendez-vous hautement politique. Message essentiel: si la Jamâa a quitté le M20, elle n’a pas pour autant rompu avec la contestation. Ainsi, au moment où le gouvernement, par la voix du ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid, promet aux salafistes de les « aider » à créer un parti politique, ce même exécutif prend de plus en plus ses distances avec la Jamâa considérée, désormais, comme groupement subversif.
Dans une interview accordée au quotidien saoudien basé à Londres, Asharq Al-Awsat, Benkirane n’a pas hésité à menacer le mouvement du cheikh Yassine, en déclarant que « celui qui joue avec le feu sera le premier à se brûler ».
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Des hauts et des bas
Au lendemain de la victoire de son parti aux législatives, Benkirane avait publiquement appelé les « frères » d’Al Adl à revoir leur logique et à participer au jeu politique. Une exhortation qui n’avait pas trouvé d’écho favorable auprès de la Jamâa. Car peu après, Abdeslam Yassine avait publié une lettre dans laquelle il accusait le PJD d’avoir fait échouer une « occasion historique » pour le changement en refusant de soutenir le 20-Février et en se rangeant du côté du régime.
Certes on a cru, à un moment donné, que les choses allaient se rétablir entre les deux « frères ennemis » lorsque la Jamâa avait annoncé son retrait du M20. Certains y avaient même vu un cadeau au nouveau gouvernement. Mais au regard des derniers développements, on peut s’attendre à tout dans les relations entre Al Adl et le PJD. Tout, sauf des cadeaux mutuels.
En réalité, le PJD et Al Adl n’ont jamais été de véritables amis.
Si les deux tendances ont pu converger sur certaines questions d’ordre moral ou nationaliste, telles que la cause palestinienne ou encore les droits de la femme, il leur arrivait souvent d’avoir des points de vue diamétralement opposés s’agissant des questions de politique intérieure.
Pour le politologue Mohamed Darif, cette sortie médiatique traduit « un changement de position au sein de l’aile du PJD représentant le gouvernement ». Car, poursuit-il, les propos de Benkirane ne sont pas exprimés au nom du PJD, mais en tant que chef du gouvernement. L’exercice du pouvoir et les concessions qui l’accompagnent imposent au PJD de revoir de fond en comble ses liens avec les autres mouvances de la galaxie islamiste.
D'ailleurs, lors d'une précédente réunion du conseil national du PJD, des militants ont reproché à Benkirane ses déclarations dans Asharq Al-Awsat. Le PJD est-il en train de se diviser pour autant ? Pas vraiment. Comme le souligne Darif, « le PJD est en train de reproduire la même expérience que l’USFP en 1998.
A l’époque, des militants du parti, membres du gouvernement, prenaient des positions différentes de celles des militants qui ne sont pas au gouvernement… Ce sont les contraintes de la gestion de la chose publique qui imposent pareilles réactions ».
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Bouc Ă©missaire ?
Benkirane aurait eu tort de s’en prendre aux adlistes de cette manière. Car quand le chef de gouvernement dit, en substance, que « Al Adl exploite la question des diplômés chômeurs, et qu’elle a été derrière la tournure qu’ont pris les événements de Taza », cela ressemble à un déni de responsabilité. « Il sait que la situation socio-économique est très précaire à Taza. Pourtant, il a choisi de se cacher derrière un bouc émissaire à défaut de pouvoir affronter les vrais problèmes », estime Darif.
Les mises en garde adressées par Benkirane à la Jamâa traduiraient davantage un malaise devant une situation sociale insoluble qu’une nouvelle étape dans la relation entre Al Adl et le PJD. « Durant toutes les années qu’il avait passées dans l’opposition, le PJD se montrait toujours dans le rôle de victime. Aujourd’hui qu’il est au pouvoir, le parti serait tenté par la même logique ; d’où ce besoin de se créer des adversaires. »
Pourtant, « la Jamâa a eu et continue d’avoir de bonnes relations avec le MUR et le PJD. Nous n'avons de problèmes avec personne, mais si des personnes ont changé leur position une fois au pouvoir, c’est leur affaire », a affirmé le porte-parole de la jeunesse d’Al Adl, Hassan Bennajah.
Selon lui, « ce qui se passe est loin d’être un malentendu. Ce sont des parties à l’intérieur du régime qui cherchent à créer un clash entre la Jamaâ et le PJD ». Avant de conclure : « Quant au gouvernement, nous n’avons rien contre lui car l’on est persuadés que ce n’est pas lui qui détient le pouvoir. »
Reste Ă savoir si Benkirane partage ce dernier point de vue...
Ali Hassan Eddehbi |