Abdelilah Benkirane a dû croiser le fer avec ses alliés pendant plus d'un mois avant d’arriver à un accord. Résultat : l'exécutif né de l'alliance entre le PI, le MP et le PPS est moins pléthorique que le cabinet sortant, mais bien en deçà des attentes populaires.
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Maîtrise de soi, termes mesurés, instrumentalisation à outrance des signes d'apaisement. Benkirane, qui sortait de la traditionnelle cérémonie de présentation du gouvernement au roi, sait qu'il brigue une fonction exceptionnelle dans des conditions exceptionnelles et il tenait à le faire savoir.
« Ce gouvernement demeurera fidèle à tous les engagements auxquels l'Etat a souscrit, partant de notre fidélité aux principes et valeurs qui sont les nôtres. » Sous couvert de faire des concessions sur la forme, Benkirane n'a renoncé à rien sur le fond.
Il tenait tellement à ce que le véritable patron de l'exécutif ce soit lui. Et pour cause, le Parti justice et développement (PJD) a arraché 12 ministères sur 30 pour un score somme toute modeste aux législatives.
Benkirane a ferraillé dur pour arracher le département de la Justice que le bouillant Mustafa Ramid devra désormais piloter. Le ministère de souveraineté des Affaires étrangères revient à Saâd-Eddine El Othmani, qui devra abandonner son cabinet de psychiatrie et sa députation de Mohammédia pour sillonner le monde. Un challenge pour ce diplomate néophyte.
Même si sur la forme, Benkirane n'a pas réussi à obtenir le poste de vice-président du gouvernement pour son éminence grise, Abdellah Baha n'en occupera pas moins la fonction en tant que ministre d'Etat... sans portefeuille. Un titre décrié par la rue.
Parmi les raisons qui ont retardé la formation du gouvernement, l'âpre bataille que se sont livrée le PJD et l'Istiqlal pour affecter le portefeuille de l'Equipement. C'est finalement une grosse pointure du PJD, Aziz Rebbah, qui a été nommée à la tête de ce département.
Cet ingénieur, élu député de la circonscription de Kénitra et président du conseil urbain de la ville depuis 2009, aura fort à faire dans un ministère riche mais que les Istiqlaliens ont noyauté de l'intérieur, avant le départ de Karim Ghellab.
Quant à Najib Boulif, qui lorgnait le département de l'Economie et des Finances, il s'occupera du ministère délégué auprès du chef de gouvernement chargé des Affaires générales et de la Gouvernance.
Pour ce qui est de l'épineux secteur de l'Enseignement supérieur, le roi a validé la candidature de Lahcen Daoudi, l'économiste en chef des islamistes. Comme toujours, Benkirane garde plusieurs fers au feu.
Décidé à peser concrètement sur le volet social, le PJD hérite également de la Communication, du ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, de celui des Relations avec le Parlement et la société civile et du ministère nouvellement créé de l'Economie et des Finances chargé du Budget.
Cette profusion de portefeuilles ne peut évacuer la question qui fâche : les islamistes auront-ils les coudées franches pour mener à terme leur programme ? Rien n'est moins sûr. Le puissant ministère de l'Intérieur est revenu à Mohand Laenser, secrétaire général du Mouvement populaire, mais il est fort probable que le véritable patron de ce département sensible sera Charki Draiss, l'ancien patron de la police nommé ministre délégué à l'Intérieur.
L'Habitat, qui donne des cheveux blancs à tous les gouvernements successifs, revient à Nabil Benabdellah, l'allié contre nature des islamistes. Si le ministère de la Défense nationale, toujours aux mains de Abdellatif Loudiyi, ne pose pas de problèmes majeurs, le maintien d’Ahmed Toufiq à la tête des Affaires islamiques anéantit complètement les ambitions de Benkirane, qui espérait mettre la main sur le pactole des Habous pour financer sa politique sociale.
Ainsi, la moralisation de la vie politique et la rationalisation de la gestion des deniers publics, principaux chevaux de bataille des islamistes qui s’apprêtent à vivre leur baptême du feu aux commandes du pays, risquent de passer pour de simples slogans électoraux. D’autant que deux dossiers brûlants attendent Benkirane : l’examen de passage de la déclaration gouvernementale et le projet de loi de Finances toujours en suspens.
Abdellatif El Azizi |