Libération de détenus politiques et de Rachid Niny, ouverture du dialogue avec Al Adl et le M20, pas de ministères de souveraineté… Avant les 100 jours de grâce, Abdelilah Benkirane a promis des gestes forts. Tiendra-t-il parole ?
Abdelilah Benkirane l’a promis quelques heures avant sa nomination au poste de chef de gouvernement. Le PJD va donner des « signaux politiques forts » dès la formation du gouvernement, avant même qu’il ne commence la mise en chantier de son programme. De quoi parle-t-on ? Il s’agit de mesures concrètes qui ne requièrent aucun investissement financier, mais qui crédibiliseront le retour annoncé au processus de démocratisation.
Certaines décisions relèvent des prérogatives directes du PJD, tandis que d’autres devront être arrachées au Makhzen. Mais toutes demandent un courage politique. Elles serviront à pacifier le paysage politique et à donner des gages pour rassurer l’opinion publique, notamment ceux qui doutent du processus des réformes.
Parmi les décisions les plus attendues, la libération des détenus d’opinion (islamistes du 16 mai ou détenus du M20), la libération du journaliste Rachid Niny, le lancement du procès du rappeur L7a9ed et des enquêtes sur les morts lors des manifestations, l’ouverture du dialogue avec Al Adl Wal Ihsane, Al Badil Al Hadari et le parti Al Oumma...
« Avant toute chose, Benkirane devra confirmer la nouvelle image que doit endosser le chef de gouvernement en dirigeant véritablement son équipe, et non plus en se contentant du rôle de coordination, comme par le passé », analyse le politologue Mohamed Darif. Le premier islamiste du Royaume doit faire face au défi que constitue la formation d’une coalition, tout en gardant la main sur ses équipes, notamment les « ministères de souveraineté ».
Un ministère des Droits de l’homme ?
« On parle d’une personnalité comme Hassan Abouyoub, affilié au MP, pour les Affaires étrangères. Or, l’opinion publique sait que ce profil est proche du sérail. Si jamais on se dirige vers de telles nominations, cela ne va pas rassurer », analyse Darif qui estime que le PJD aura les coudées franches pour agir au niveau des droits et des libertés (procès de militants et de journalistes, dialogue, etc.).
D’ailleurs, Abdelilah Benkirane a déclaré publiquement « ne pas comprendre ce que fait encore Rachid Niny en prison », avant de rappeler que le droit de grâce relève des prérogatives du roi. Cela étant, il sera appelé, en tant que chef de l’exécutif, à répondre à cette question qu’il a lui même soulevée.
Younès Moujadhid, président du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), estime, lui aussi, que la libération de Niny et les réformes des médias sont primordiales. Il s’apprêtait à en parler en tête à tête avec le chef du gouvernement au moment où on l’a contacté. « La liste est encore longue. Il faut réformer le code de la presse et ne plus poursuivre les journalistes en vertu du code pénal. Les lois sur l’audiovisuel ont failli car la mission de service public n’est pas assurée, le contrôle politique de l’Etat n’est pas transparent, tout comme le processus de nomination des responsables du pôle public. Il faudrait, par exemple, revoir la structure de la HACA qui ne se montre pas toujours objective », énonce le syndicaliste.
C’est sur les libertés publiques que Khalid Cherkaoui Semmouni, président du Centre marocain des droits de l’homme (CMDH), attend des signaux forts. « Benkirane n’a pas cessé de fustiger les arrestations arbitraires, notamment celle des islamistes. Il en va de même pour l’affaire des dirigeants d’Al Badil Al Hadari et du parti Al Oumma, blanchis, mais toujours interdits d’exercice.
Ces dossiers doivent être rouverts d’urgence », estime le militant qui plaide pour la mise en place d’un ministère des Droits de l’homme. « Le CNDH et le délégué général aux droits de l’homme ne peuvent développer une vision politique d’ensemble. Il faut un département à part entière rattaché au développement social, par exemple, pour rester dans la philosophie des grands pôles », argumente Cherkaoui Semmouni.
Le PJD « déterminé »
Sur toutes ces questions, les islamistes au pouvoir n’ont bien sûr pas de baguette magique. D’autant que nombre de ces décisions dépassent les prérogatives du PJD et relèvent du Palais ou de la Justice, comme le rappelle Mohamed Darif.
Au-delà de cet aspect, il n’est pas certain que la contestation s’estompe, même si Abdelilah Benkirane fait preuve, jusqu’à présent, de beaucoup de courage politique. « Je ne mets pas en doute la bonne foi du PJD mais je ne vois pas comment ils pourraient répondre aux revendications de la rue dans le cadre institutionnel actuel », explique Abdellah Abaâkil, militant du 20-Février à Casablanca, qui pense, toutefois, que ces signaux marqueraient les esprits.
« Mais attention, nous n’accepterons pas de passer l’éponge. Par exemple, pour l’affaire L7a9ed et tous les morts du M20, en passant par l’affaire d’Al Hoceima, jusqu’à Beni Bouayach, il faudra juger les responsables de ces exactions », poursuit-il. Une mission qui s’annonce difficile, d’autant plus que les vingtfévrieristes rejettent la Constitution actuelle et appellent à une « véritable monarchie parlementaire ». « Le jour où cela arrivera, le mouvement disparaîtra de lui-même », conclut Abaâkil.
Du côté du PJD, les premiers signes de pacification sont donnés à travers l'annonce d'un parlementaire qui s'est saisi de l’affaire Kamal Ammari. Saâd Eddine El Othmani, président du conseil national du PJD, se refuse à tout commentaire, avant la formation du gouvernement.
Mais il assure que « le PJD est déterminé à donner tous les signaux forts ». A voir, tant les récentes nominations royales aux postes de conseillers et ambassadeurs ont soulevé de vives critiques chez les observateurs...
Zakaria Choukrallah |