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Entretien : Salaheddine Mezouar  Projet contre projet, idĂ©e contre idĂ©e
actuel n°119, vendredi 2 décembre 2011
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Salaheddine Mezouar, président du RNI, et désormais nouveau leader de l’opposition.


Le président du RNI fait le choix de l’opposition. Un rôle inédit pour celui qui entendait mener ses troupes à la victoire et accéder à la primature. La nouvelle Constitution offre une réelle opportunité pour que l’opposition porte une voix forte. L’ancien ministre de l’Economie et des Finances veut être ce porte-voix.

Mais il devra aussi donner un nouveau souffle à une formation politique sonnée par la défaite, et reconquérir sur le terrain une opinion publique qui s’est détournée des partis du pouvoir. Qu’entend faire le RNI de son passage dans l’opposition ? Salaheddine Mezouar se livre en exclusivité pour les lecteurs d’actuel.

 

Avec la victoire du PJD, le G8 est-il une victime collatérale du Printemps arabe ?

Salaheddine Mezouar : Incontestablement, il y a un contexte géopolitique qui a joué. Le G8 en a-t-il été victime ou non ? J’observe que nous avons collectivement, au G8, emporté 162 sièges, la Koutla, 117, et le PJD, 107. Si dans le cadre de la Constitution, le principe qui a conduit à la constitution de l’Alliance avait été retenu, le G8 aurait été en mesure d’accéder à la primature. Cela dit, il y a eu effectivement un contexte, un vent porteur, un besoin de renouvellement, mais aussi peut-être la peur, des menaces… en estimant que si le PJD ne gagnait pas comme il l’annonçait, il descendrait dans la rue. Mais ma conviction est que le besoin d’alternance politique au Maroc est devenu une nécessité, comme dans toutes les démocraties du monde. Il y a un réel besoin des citoyens de voir les partis se renouveler.

 

Le résultat de ces législatives constitue-t-il un vote d’adhésion au PJD ou une sévère sanction à l’égard des autres grandes formations politiques, dont le RNI et plus largement l’Alliance constituée pour emporter la majorité ?

Je ne pense pas que le RNI ait été sanctionné. Nous sommes en progression, avec quatorze sièges supplémentaires par rapport à 2007. Nous avons gagné plus de 120 000 voix. Ce n’est pas non plus un vote pour le PJD en tant que tel. J’aurais compris qu’un parti d’opposition puisse obtenir une progression normale, mais pas un doublement de son score.

Il y a donc bien un effet lié au contexte. Il faut leur donner leur chance. Ils ont beaucoup promis, annoncé qu’avec eux tous les problèmes seront réglés. Or, il y a de fortes attentes. A eux de démontrer, ou non, qu’ils sont en mesure d’apporter les bonnes réponses. Mais quand je chiffre leurs promesses, je me demande comment ils vont faire, car pour les financer, c’est l’équivalent de deux fois le budget actuel du Maroc dont il faudrait disposer ! Ils vont devoir se confronter rapidement à l’épreuve des faits…

 

Au-delà du « contexte », quelles sont les raisons profondes qui ont conduit à la victoire du PJD tant dans les zones urbaines qu’en milieu rural, précédemment plus favorable aux notables locaux ?

Pour moi, cette victoire du PJD traduit aussi une forte demande des citoyens pour que soient relevés les défis qui sont les leurs au quotidien. C’est en quelque sorte un vote par défaut, en faveur de ceux qui n’ont pas eu de responsabilités directes jusqu’à présent. Une vague porteuse en faveur d’une formation qui était dans la protestation, dans les promesses, mais qui n’a jamais gouverné. Il faut reconnaître qu’ils ont fait un vrai travail de terrain, de proximité. Qu’ils sont parfaitement organisés, et que ce travail-là a beaucoup contribué à leur succès.

 

13,5 millions de citoyens inscrits sur un potentiel de 21 millions d’électeurs. 45% de participation, plus de 20% de bulletins nuls… Quelle peut être la légitimité d’un parti qui arrive au pouvoir avec moins de 30% des voix ?

La légitimité n’est pas contestable, mais c’est le système qui est en cause. Les Marocains se perdent avec ce système. Avec un bulletin de vote avec des images, deux cases, l’obligation de ne pas raturer, ni dépasser des cases… l’électeur ne sait plus ce qu’il faut faire !

Or, le PJD a effectué un vrai travail pédagogique pour expliquer comment voter. 20% de bulletins nuls, c’est autant de voix de perdues. C’est là un vrai problème, et il faudra à l’avenir imaginer un dispositif plus simple.

Le RNI, à l’instar du PAM – qui de toute façon était exclu de toute alliance possible avec le PJD –, a fait le choix de l’opposition.

 

Comment concevez-vous ce rôle nouveau auquel ni vous ni vos amis n’êtes en rien préparés ?

Il s’agit d’abord pour moi de démontrer qu’une opposition doit être un acteur qui anime positivement la vie politique. Nous avons été un parti qui a longtemps participé à l’exercice du pouvoir, qui connaît les réalités de ce pouvoir, les rouages de l’Etat.

Et nous avons un programme. Nous nous exprimerons donc sur la base de propositions concrètes, projet contre projet, idée contre idée. Nous avons des valeurs qui touchent aux droits de l’homme, aux droits des femmes, des jeunes, aux droits des minorités. Nous serons là pour apporter la contradiction sur les équilibres fondamentaux.

Je serai également très attentif sur les choix opérés sur les questions sociales, la mise en place de la régionalisation. La Chambre va devoir adopter 26 lois organiques qui vont façonner la Constitution.

J’entends donc mettre en œuvre une opposition active, nourrir le débat d’idées. J’ai d’ores et déjà commencé à constituer une équipe d’experts pour alimenter nos travaux. Elle sera renforcée avec tous ceux qui entendent participer à cette dynamisation nécessaire du débat, pour agir efficacement sur les orientations à venir.

 

Pourriez-vous voter des mesures à caractère économique et social proposées par le PJD ?

Franchement, leur programme est aujourd’hui encore sans véritable consistance. Le PJD manque tout à la fois d’expertise et d’expérience. J’attendrai donc de voir ce qu’ils seront réellement en mesure de proposer. De ce point de vue, nous serons très attentifs à la déclaration de politique générale, et au projet de loi de Finances qu’ils vont devoir proposer. C’est là que nous verrons leurs vraies priorités.

 

Un rôle d’opposant se joue au Parlement, et au quotidien sur le terrain. Comment allez-vous construire ce double engagement dans les mois qui viennent ?

Le comité exécutif a arrêté nos priorités en matière d’organisation. Nous devons montrer la capacité du parti à se structurer pour les échéances à venir. Nous avons le temps nécessaire pour travailler, mais ce qui fera la différence, c’est notre capacité à être en phase avec les citoyens. Nous allons développer des réseaux associatifs à tous les niveaux, avec des militants engagés sur le terrain. Nous allons entreprendre le travail de renouvellement nécessaire, et doter le parti des compétences indispensables. J’ai commencé ce travail dès cette semaine à Meknès, et je vais partir à la rencontre des citoyens partout dans le pays.

 

Ce travail-là est généralement plus facile à entreprendre dans la foulée d’une victoire. Or, ce n’est pas le cas… N’avez-vous pas peur de perdre quelques troupes après votre défaite ?

Je n’évacue pas l’idée qu’il y ait quelques départs, mais le parti a gagné en image et il est considéré comme un parti sérieux. Le passage à l’opposition donne une cohérence entre le discours et la pratique. Imaginez si nous avions décidé d’aller au gouvernement comme si de rien n’était !...

Nous ne voulons plus être un parti d’appoint pour pouvoir, le moment venu, jouer un rôle majeur. Si nous étions allés au gouvernement, j’aurais signé la mort du parti, en perdant toute crédibilité. Nous allons au contraire porter nos valeurs. Ce n’est pas une honte d’être dans l’opposition, je suis au contraire convaincu que cette nouvelle phase de la vie politique confortera notre parti.

 

La Constitution donne de nouveaux droits à l’opposition. Comment allez-vous mettre à profit ces nouvelles prérogatives à la Chambre des représentants ?

La nouvelle Constitution permet en effet d’interpeller le gouvernement, de créer des commissions d’enquête, d’être une réelle force de proposition de lois et plus généralement de susciter des débats sur des idées essentielles.

Il faut que le prochain gouvernement sente qu’il a en face de lui une vraie opposition, appelée à jouer pleinement son rôle. Nous ne tomberons pas dans le populisme, nous interpellerons sur les sujets majeurs, et ferons en sorte de maintenir la pression pour que les choix de la majorité à venir ne dérapent pas.

Exception faite d’une courte période au début des années 80, votre formation a été de tous les gouvernements. Comment le parti, dont on perçoit mal l’organisation, va-t-il s’organiser pour constituer cette véritable force d’opposition ?

Nous allons remettre en action toutes les structures locales, qui vont être soumises à réélection. La réorganisation va toucher toutes les structures locales et régionales pour arriver au prochain congrès avec une nouvelle dynamique. Nous allons également démultiplier les réseaux pour permettre à toutes les compétences de s’exprimer. Nous devons faire émerger de nouveaux leaderships de proximité. Mon rôle, c’est de permettre aux militants fortement engagés de s’affirmer.

 

Au lendemain d’une défaite – alors qu’on lui prédisait la victoire et l’accès à la primature –, la base gronde. Votre stratégie ne risque-t-elle pas d’être rapidement remise en cause par les instances dirigeantes du RNI ?

J’ai fait des choix, je les assume. Il y a deux ans, au sein du conseil national, tout le monde était d’accord pour construire une alliance cohérente, avec l’objectif d’arriver en tête aux élections. Il s’agissait de sortir de la culture du suivisme, d’être un appendice des partis majoritaires.

Ce choix, je l’ai traduit sur le terrain, avec la mobilisation des instances et des forces du parti. Dans la dynamique de la nouvelle Constitution, notre conviction était qu’il s’agissait là du bon chemin vers la clarification, vers une normalisation démocratique. Le contexte électoral de ces législatives n’était pas un contexte normal : nouvelle Constitution, élections anticipées, Printemps arabe… ce sont autant d’éléments qui ont pu jouer.

Nous avons mené une campagne très forte pour arriver premier, mais la tendance de fond était en faveur d’une autre dynamique. Evidemment, pour ceux qui n’agissent pas, qui sont là en simples observateurs, c’est assez facile de critiquer. Et des gens comme ça, il y en a partout. Il est vraisemblable que certains, au sein du RNI, vont demain se lever pour m’accuser. Mais il faudra qu’ils expliquent ce qu’ils ont fait, eux, pour le parti et les choix validés ensemble.

 

Au printemps, vous aviez annoncé un congrès pour remobiliser vos troupes et asseoir votre légitimité sur le parti. Ce congrès reporté, quelles sont les échéances à venir ? Vous attendez-vous à être débarqué ?

Nous allons préparer un conseil national qui se tiendra dans le courant de ce mois de décembre. Ce conseil aura à éliminer tous ceux qui ont fait le choix de quitter le parti pour rejoindre d’autres formations.

Nous donnerons en revanche la parole à tous ceux qui ont clairement maintenu leur engagement. Serai-je confirmé ou débarqué ? La question n’est pas à l’ordre du jour. Le congrès se tiendra courant 2012. Pour ma part, je souhaiterais que cela soit en tout début d’année.

Il reviendra au comité exécutif de proposer une date et au comité central de la valider. Nous voulons préparer un bon congrès, que tous ceux qui y participeront soient préalablement passés par les urnes pour leur désignation. Et que les plus méritants viennent au congrès pour assurer des élections transparentes des différentes instances. J’y veillerai personnellement.

 

Mais vous-même, lorsque vous avez pris la tête du RNI en débarquant Mansouri, vous n’avez pas suivi la procédure interne…

C’est le conseil national qui m’a nommé… Il y a parfois des situations exceptionnelles qui commandent d’assumer le pouvoir. S’il devait en advenir ainsi pour moi – ce qui peut être une éventualité –, je l’accepterais de la façon la plus sportive qui soit ! Car, ou un dirigeant est reconnu et il est soutenu dans les bons et les mauvais moments, parce que l’on croit à la mission qu’il incarne, ou alors… Mais, oui, en politique, tout peut arriver, et pas forcément pour des raisons objectives !

 

Etre dans l’opposition, c’est se préparer à construire une offre d’alternance. Comment mettrez-vous à profit les cinq années qui viennent pour répondre aux attentes de la majorité des Marocains qui n’ont pas voté PJD et qui espéraient une autre donne politique ?

Beaucoup de monde pensait que la victoire nous était acquise, et beaucoup ne sont pas allés voter. Il faudra donc convaincre les 55% qui se sont abstenus de l’importance de leurs voix. Nous allons, je l’ai dit, être très vigilants sur les choix qui seront faits et qui vont conditionner notre pays.

Nos concitoyens ont une grande responsabilité aujourd’hui dans le choix des dirigeants, dans celui des politiques mises en œuvre. Ces élections peuvent servir d’électrochoc pour s’intéresser davantage à la politique. Et peser sur les décisions qui déterminent notre avenir.

Propos recueillis par Henri Loizeau

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