La campagne pour les élections législatives anticipées du 25 novembre s'est ouverte samedi avec, en toile de fond, des candidats apparemment peu motivés et des soupçons d'irrégularités.
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Toujours drapé dans les habits de chef du gouvernement, Abbas El Fassi a donné le coup d'envoi d'une campagne électorale bien terne. A Fès, ce dimanche 13 novembre, le secrétaire général du parti a été contraint de faire allégeance à Hamid Chabat, qui apparaît aujourd'hui comme le véritable patron de l'Istiqlal.
Après un déjeuner somptueux dans la villa tout aussi somptueuse du maire de Fès, le bureau politique au complet s'est rendu à la salle du 11 janvier où El Fassi a donné le coup d'envoi de la campagne électorale. Il s’est appliqué au passage à brocarder le G8, qualifié de « ratatouille » politique, et le PAM, accusé de jouer le rôle du fameux FDIC créé par Réda Guédira, le conseiller de Hassan II, et qui avait plombé l'avenir politique du pays.
Exécutant poussif des desiderata du véritable maître des lieux, Abbas El Fassi s'est rapidement éclipsé pour laisser place à un Chabat toujours aussi sûr de lui. Sous les applaudissements d'une salle archicomble dont on ne distingue ni les véritables militants ni les baltajias payés grassement par le maire de Fès, Chabat n'a pas failli à ses habitudes.
Entouré sur scène de l'essentiel des poids lourds du parti, dont Adil Douiri et Nizar Baraka, le maire de Fès a énuméré les fléaux qui minent le Maroc, mais aussi les défis qu'il croit utile de relever. Formules choc, accusations à l'emporte-pièce et menaces de chaos : « Allez jeunesse du pays, sauvez le Maroc des nihilistes » ou encore « nous devons immoler le PAM, sinon c'est le PAM qui nous sacrifiera » !
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Un discours de vainqueur
La veille à Rabat, Benkirane haranguait ses troupes. Le chef des islamistes n'a pas attendu le démarrage de la campagne pour mettre tout en œuvre afin de se défaire du costume étriqué du super candidat d'un parti d'opposition, pour se glisser dans celui de l'homme d'État qui est déjà aux commandes.
A cette fin, son entourage ne cesse de le présenter comme un visionnaire à qui l'environnement géopolitique arabe donne raison. Le pouvoir politique ne s'use que si l'on ne s'en sert pas, et les islamistes comptent bien s'en servir à satiété.
Les militants du PJD ont eu donc droit à un véritable discours de vainqueur : « Nous avons toutes les chances d'être premiers aux législatives du 25 novembre pour une raison très simple, nous représentons cet espoir dont les Marocains ont tellement besoin. » Car le Royaume est, selon lui, dans une situation critique. Entouré de l'ex-maire de Tanger, Samir Abdelmoula, et de l'ancien juge Jaâfar Hassoune, Benkirane a enfoncé le clou : « Pour nous, le roi représente deux choses essentielles, un symbole pour tout le monde et une dimension politique. Pour ce qui est du symbole, il est pour nous sacré et personne ne pourrait y toucher, mais en ce qui concerne la politique, je pense que nous avons notre mot à dire. »
D'une manière générale, le week-end fut placé sous le signe de sorties ciblées telles que celles de Aziz Akhannouch venu expliquer aux habitants des douars périphériques de Tiznit qu'il « ne laisserait passer aucune occasion pour contribuer à l'amélioration des conditions de vie de ces paysans qui souffrent d’un manque d'eau et d'infrastructures de base ».
Akhannouch n'a pas hésité au passage à tancer sévèrement les élus en place, notamment sur la question de la moralisation de la vie publique. Quant aux partis socialistes, ils ont préféré laisser leurs candidats faire cavalier seul, resservant à satiété les mêmes promesses de la gauche.
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Sortir le pays de la crise ?
Si bien que la campagne électorale se résume à une joute de gladiateurs où les responsables de parti ont tendance à se référer exclusivement à la compétition permanente qui les oppose au lieu de se focaliser sur des programmes. Une politique spectacle qui voit des responsables de premier plan tel Benkirane, condamnés à jouer de leur charisme quand ils devraient d'abord expliquer aux Marocains ce qu'ils comptent faire pour sortir le pays de la crise.
Paradoxe purement marocain : même si le scrutin de liste devrait inciter les électeurs à voter plutôt pour des partis que pour des candidats, la personnalisation joue à fond, et ce, au détriment des idées. A Fès, c'est Chabat qui fait courir les gens et non pas l'idéologie de l'Istiqlal.
Ce système a été poussé si loin qu'il n'y a même plus de meetings pour favoriser la mobilisation et la participation politique. Or, réduire la campagne à quelques slogans racoleurs, repris par des médias en manque d’inédit, ne fait guère avancer le débat.
D'autant plus que d'inquiétantes rumeurs faisant état d'escadrons de femmes distribuant des billets à tout va laissent présager un cru 2011 au Parlement avec son lot de voyous, de truands et de trafiquants en tous genres.
Abdellatif El Azizi
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Les circonscriptions de la mort
Les ténors des partis vont s’affronter dans des villes symboliques. Petit tour du Maroc des circonscriptions les plus chaudes.
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Fès, Super Chabat
A Fès, les deux circonscriptions Fès Nord et Fès Sud font l'objet d'âpres batailles entre les milices de Chabat. Ce dernier promet de rafler les quatre premières places à Fès Chamalia. Il aura fort à faire avec l'ingénieur du PJD, Omar El Fassi, qui jouit d'une bonne réputation au sein des couches populaires de la région.
Au sud, c'est Ahmed Réda Chami qui peinera à se positionner devant le candidat du PAM, Rachid El Faïk, un ancien topographe devenu milliardaire, qui a ses entrées dans la vieille médina. « Malgré sa probité exemplaire et une bonne réputation, Chami cible essentiellement les intellectuels et autres membres de la société civile fassie, or c'est malheureusement cette classe qui boude les urnes », rappelle Abdelmajid Gouzi, directeur d'un journal régional de Fès. On retrouve également les rnistes Hassan Chahbi et Ahmed Laraichi, ainsi que Hamid El Mernissi, transfuge du PAM qui a rejoint l’UC.
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Salé, Le fief des islamistes
Salé a toujours représenté un enjeu de taille pour les islamistes. C'est le fief d'Al Adl Wal Ihsane, et le PJD y a aussi ses entrées. Dans cette circonscription, l'opposition islamiste ne s'est jamais empêchée d'entrer dans le jeu législatif. C'est l'une des raisons pour lesquelles Abdelilah Benkirane a jeté son dévolu sur Salé.
Sur les milliers d'adhérents PJD de la circonscription, on peut imaginer que la majeure partie appuiera son chef. Sans compter que la ville reste marquée par un conservatisme de bon aloi. C'est d'ailleurs sur ce terrain que se battra également le candidat de l'Istiqlal Younes Sibari, le directeur de la Chambre d'artisanat.
Quant au poids lourd du Mouvement populaire, Driss Sentissi, il revient sur la scène avec l'assurance du soutien des solides réseaux qu'il est arrivé à tisser dans la ville. Le PAM a préféré lancer un jeune, Rachid Abdi, bardé de diplômes décrochés à l'étranger. Les socialistes de l'USFP ont mis dans la course un membre du bureau politique de sexe féminin, Fatima Mouden.
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Agadir, Le cœur à gauche
Nul doute que la bataille d'Agadir se révélera une des plus animées des législatives. Côté USFP, le vainqueur, sauf cataclysme électoral, sera l'indétrônable Tariq Kabbage. Bien que la circonscription d'Agadir Ida Outanane annonce une bataille à la mesure des poids lourds des têtes de listes locales pour les quatre postes à pourvoir.
L’actuel président de la commune urbaine de la ville, Tariq Kabbage, aura fort à faire avec le député sortant Aissa Mkiki du PJD. Alors que Abdellah Aber du RNI, qui conduit la liste de son parti, s'oppose au puissant homme d'affaires Saïd Skalli qui roule pour le MP. A priori, la droite semble plutôt vulnérable sur ce territoire détenu depuis 1998 par la gauche.
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Tanger, PAM versus PJD
Pour l'heure, tandis que le PJD a reconduit Najib Boulif, l’un des économistes du parti les plus en vue, et qui semble bien parti pour rempiler, le PAM a préféré faire confiance à l'actuel maire de la ville, Fouad Omari. Celui-ci compte bien mettre à profit le bilan positif de ses quelques mois à la tête de la mairie pour appeler les Tangérois à voter PAM.
Au niveau de la capitale du détroit, les pronostics restent difficiles même si le parti de la lampe a cartonné en 2007 en réussissant le tour de force de rafler la moitié des sièges lors des législatives. Surtout avec l'entrée en lice de candidats comme Mohamed Zemmouri, issu de l’Union constitutionnelle, mais qui est soutenu par ses alliés de l’Alliance pour la démocratie.
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Mohammédia, La poule aux œufs d'or
A Mohammédia, les trois sièges que compte cette circonscription font saliver beaucoup de monde en raison d'enjeux économiques et politiques énormes. Le poumon économique du Grand Casablanca a séduit Saâd Eddine El Othmani, l’ancien secrétaire général du Parti justice et développement, Mohamed M’Fadel, l’actuel président du conseil de la ville de Mohammédia, qui roule pour le Parti authenticité et modernité, et Abdelhamid Jmahri, membre du bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires et directeur de publication du quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki. On retrouve également en ordre de bataille Mohamed Atouani, ancien président du conseil de la ville de 2003 à 2009, du Rassemblement national des indépendants, et Ouahid Jamaï du parti de l’Istiqlal.
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Marrakech, Les femmes d’abord
Les femmes sont-elles des hommes politiques comme les autres ? Une atmosphère tonique flotte autour des circonscriptions de Marrakech depuis que les femmes candidates ont ravi la vedette aux caciques de la région. Pas moins de sept candidates sont en course dans la cité ocre.
Il y a bien entendu l’incontournable mairesse de la ville, Fatima Zahra Mansouri, qui défend les couleurs du PAM au niveau de la circonscription de Sidi Youssef Ben Ali, secondée par une autre pamiste, la présidente du conseil provincial de Marrakech, Jamila Afif, qui se bat pour décrocher la première place à Guéliz. Quant à Hassania Rouissi, elle défend les couleurs de l’Alliance marocaine pour la démocratie à Ménara. Sans oublier Zoubida Zaghloul qui se présente dans la circonscription de Chichaoua au nom du PRV.
Abdellatif El Azizi
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Les partis se disputent l’islam
Les joutes verbales islam/laïcité qui enflammaient les débats sur la réforme constitutionnelle n’ont pas été renouvelées en campagne électorale.
Nous sommes dans le centre de conférences de Skhirat, au cœur de la précampagne électorale. Les poids lourds du parti font leur entrée sous les ovations nourries de l’assistance. Puis un fqih est invité à inaugurer la rencontre avec la psalmodie coranique. On se croirait dans un meeting du PJD, sauf qu'il s’agit d’un événement du RNI. Et ce clin d’œil à la religion est loin d’être fortuit. D’autres formations, toutes tendances confondues, font de même en adoptant ce qu’on appelle désormais le « référentiel islamique ». Une tendance est née.
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Paraphrase de la Constitution
Construction de mosquées, augmentation des salaires des imams, reconsidération du rôle du département des Habous, rajeunissement du conseil des oulémas, ou encore redynamisation des valeurs « authentiques », sont autant de promesses faites par les formations politiques de gauche comme de droite.
Dans leurs dépliants de campagne, les partis mettent le paquet sur la religion. Ainsi, dans la présentation de son projet « démocratique et moderniste authentique », le G8 met l’accent sur « l’importance symbolique et spirituelle du référentiel islamique ».
La Koutla démocratique va, elle, jusqu’à paraphraser la Constitution. « [L’alliance] demeure attachée à l’islam en tant que composante essentielle de l’identité marocaine et dans laquelle se fondent les affluents arabe, africain et amazigh », lit-on dans la plateforme commune du bloc.
Sur le volet religieux, les formations politiques jouent toutes la même musique. Et si le PJD, l’Istiqlal et le RNI ont clairement cité le référentiel islamique dans leurs programmes, d’autres formations comme le PPS, l’USFP ou encore le MP l’ont fait indirectement en se contentant d’adhérer au référentiel islamique dans les déclarations communes de leurs alliances respectives, sans le mentionner sur leurs tracts. Reste que sur les questions sociétales les plus épineuses, directement liées à la religion, tels que les droits économiques de la femme, la législation sur l’alcool ou encore la loi sur l’avortement, les partis restent muets.
Evasifs, dans le meilleur des cas. « Il sera temps d’aborder les libertés individuelles lorsque le Parlement votera les lois organiques », estime Abdelouahed Souhail au PSS qui considère que le Maroc a d’autres priorités. Sur ce registre, le PJD prend une longueur d’avance en s’opposant très clairement à la parité dans l’héritage ou encore à la légalisation de l’alcool. Mais d’autres questions, tels le port du voile, la mixité sur les plages ou encore l’avortement, suscitent des réactions très ambiguës au sein des partis.
Le chercheur Mohamed El Khalfi, secrétaire général de la jeunesse du PJD, reconnaît que son parti ne fait plus exception en se référant à l’islam dans son discours et son programme. Il présume que « c’est probablement pour faire de la concurrence au PJD que les autres partis adoptent son discours ». Ce dont il est toutefois certain, c’est que « cette tendance montre clairement la faiblesse et l’impasse étroite dans laquelle se trouvent les chantres de la laïcité… minoritaires dans la société marocaine ».
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Exit la liberté de conscience ?
Assistons-nous vraiment à la fin du débat sur la liberté de conscience au Maroc ? D’aucuns estiment que cette appropriation par les politiques du référentiel religieux émane davantage d’une volonté d’aller caresser les électeurs dans le sens du poil, en vue de rafler le maximum de sièges, plutôt que de s’aventurer sur le terrain miné de la religion et de l’identité.
Pourtant, la liberté de conscience a failli être intégrée dans la Constitution. Les débats s’étant déroulés à huis clos, il est difficile de savoir qui a été derrière cette proposition. Il n’empêche qu’il existe actuellement un courant – tout au moins au sein de la société civile – qui considère que la reconnaissance de la liberté de conscience n'affecte en rien l’identité marocaine puisque la non-référence au caractère religieux de l’Etat n’est pas un reniement de sa foi. Mais ce ne sera pas retenu pour le moment.
Ali Hassan Eddehbi |