Plus de croissance, plus d’emplois, un SMIG à 3 000 dirhams. Les principaux partis rivalisent de promesses pour séduire les électeurs. Mais sont-elles toutes réalisables ? Si oui, à quel prix ?
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La lutte électorale promet d’être féroce. A deux semaines de l’échéance fatidique, la tension monte d’un cran. Et les promesses affluent. Meeting, tables rondes et autres colloques se succèdent à un rythme effréné.
De nouvelles têtes se joignent à la course pour tenter de séduire un électorat en mal de confiance. Les Benkirane, Mezouar, El Fassi et autres ténors des grandes formations politiques sortent leur artillerie et déploient leurs talents d’orateurs pour marquer les esprits.
D’autant que cette année, la bataille promet d’être plus serrée eu égard à l’importance des nouveaux enjeux. Chacun y va donc de ses promesses les plus alléchantes. Chiffres à l’appui, bien que souvent très généraux, les engagements se veulent, cette année, plus convaincants. Aux électeurs donc de faire la part de ce qui est réaliste et réalisable, et de ce qui relève du populisme.
Quand, au nom de l’Alliance démocratique (G8), Salaheddine Mezouar, promet, devant une salle archi comble à la CGEM, une croissance de 6%, un taux d’inflation de moins de 3% et un déficit budgétaire à 3% du PIB, l’on est en droit de se demander comment il réussira ce tour de force dans un contexte de récession mondiale ?
D’autant que les contrecoups du printemps arabe risquent de s’accentuer au-delà de 2012. Mezouar, que le RNI imagine déjà Premier ministre alors que son bilan aux Finances est mitigé, s’engage à créer 200 000 emplois chaque année.
Pourtant, pas plus de 120 000 nouveaux postes ont vu le jour en 2010. Sans oublier que l’actuel ministre des Finances a eu toutes les peines du monde à boucler le budget 2011… Occultant toutes ces difficultés, Mezouar compte sur trois leviers pour tenir ses engagements : les partenariats public-privé, les fonds d’investissement privés et souverains et… une partie de la manne des 30 milliards d'euros promise par le « G8 européen », au Maroc, à l’Egypte, à la Jordanie et à la Tunisie.
Les islamistes, eux, s’ils peuvent se targuer d’un programme un tantinet plus structuré, ne sont pas avares de promesses tout aussi impressionnantes et, a priori, peu réalistes. Ainsi, le parti de Abdelilah Benkirane s’engage à augmenter de 40% le revenu individuel, au cours des cinq prochaines années.
Comme ses ennemis jurés du G8, il promet une maîtrise du déficit budgétaire, autour de 3% du PIB. En revanche, le parti de la lampe, plus prudent, vise une croissance de 7% à partir de 2014, et s’accorde donc un répit de deux ans, pour surmonter les difficultés conjoncturelles. Entre 2012 et 2013, il faudra, selon le PJD, se contenter d’un taux de croissance de 5,5%.
Le doyen de la sphère politique, le parti de l’Istiqlal, se distingue globalement par des engagements relativement mesurés, tenant compte de la réalité économique du Royaume et à l’international… et sans doute des embûches rencontrées lors de l’exercice du pouvoir.
Ce qui explique que le taux de croissance annoncé par le parti de la balance ne dépasse guère les 5%. Le parti de Abbas El Fassi promet la création de 170 000 emplois dans les secteurs privé et public sur la période 2011-2016.
Sur ce registre, l’Istiqlal fait d’une pierre deux coups, en axant ses efforts sur les aspects susceptibles d’améliorer le quotidien des électeurs : renforcement des effectifs au sein de la Sûreté nationale, la Justice, la Santé publique et l’Education. De là à qualifier ces annonces de populistes, il n’y a qu’un pas que déjà ses adversaires n’hésitent pas à franchir. Florilège des promesses les plus marquantes.
Emploi
C’est le thème numéro un qui focalise le plus les attentes, et donc les promesses des politiques. Normal, au regard du niveau du taux de chômage (9,1% à fin septembre) qui frappe surtout les jeunes diplômés, nul besoin de rappeler que les attentes sont très fortes, sur ce registre.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les principaux partis politiques se montrent très généreux. La palme d’or revient au PPS qui promet 250 000 emplois et un SMIG à 3 000 dirhams. Le parti reste cependant muet sur le mode de financement de cette dépense supplémentaire.
Le G8 n’hésite pas à s’engager, pour sa part, sur la création de 200 000 emplois par an et promet la création d’un fonds de soutien pour l’emploi des jeunes de 3 milliards de dirhams. Cependant, il ne se prononce pas sur le niveau du SMIG ni sur la contribution du secteur public dans l’offre de nouveaux postes.
Réalité de terrain oblige, l’Istiqlal fait preuve de plus de modération. Il avance un taux de chômage de 8% (contre 7% en 2007) et la création de 170 000 emplois par an dans les secteurs privé et public. Même partition que le G8 : priorité à l’auto-emploi et à la création de très petites entreprises (TPE) via un dispositif fiscal incitatif, assorti d’une couverture sociale spécifique.
Les ténors du PJD promettent, eux, de faire baisser le taux du chômage de deux points et de créer 250 000 emplois. Ils tentent d’innover en promettant une prime directe de stage en faveur de 100 000 candidats par an. Mais le PJD ne se prononce pas sur le montant de la prime en question.
L’Istiqlal, qui reprend la même promesse, va plus loin et suggère une prime correspondant à 100 jours de travail en contrepartie de l’accomplissement d’un travail d’utilité publique. L’Istiqlal comme le G8 font les yeux doux au patronat en promettant une prime à l’embauche, histoire d’encourager la transformation des contrats de préembauche en contrats à durée indéterminée.
En revanche, le parti de la balance reste muet sur la revalorisation du salaire minimum. Pour conquérir les smigards, Benkirane, lui, promet de le porter à 3 000 dirhams. Une proposition qui devrait faire grincer des dents les milieux d’affaires, les entreprises étant déjà en mal de compétitivité. Tout comme elle pourrait faire fuir des investisseurs étrangers qui ont opté pour la destination Maroc, séduits par sa main-d’œuvre bon marché.
Déficit budgétaire
Tous les partis s’engagent à ne pas dépasser un taux de 3% du PIB. Promesse qui semble, a priori, difficile à tenir au regard de leurs engagements au niveau des dépenses publiques. Sauf si la réforme fiscale annoncée par le G8, le PJD et le PPS, est menée à son terme. Là aussi, des doutes sont permis, compte tenu des difficultés rencontrées jusque-là par le gouvernement sortant, pour élargir l’assiette fiscale et réformer la TVA. D’ailleurs, sur ce volet, silence radio de l’Istiqlal.
Taux d’inflation
Les trois partis vedettes se sont clairement prononcés à ce propos. Le PJD table sur un taux d’inflation proche de 2%, et le G8 à moins de 3%. L’Istiqlal promet, de son côté, une gestion encore plus rigoureuse pour stabiliser le taux à 2%.
RĂ©forme fiscale
Le parti de la lampe prévoit une réforme globale d’ici à 2016. Il focalise en particulier sur l’exonération totale des produits de base. Pour compenser ce manque à gagner pour les caisses de l’Etat, le PJD table sur une optimisation des recettes fiscales en promettant une hausse des entrées de 20% par an. Il promet aussi de réduire l’IS de 2% par an, pour arriver à un taux de 25%. Et de retenir trois taux de TVA, de 10% et 17%, en plus d’un taux de 30% sur les produits de luxe.
Dans le même esprit, le G8 suggère une TVA à 3 taux avant d’arriver, à terme, à un système à 2 taux. Idem pour l’IS qui devrait être réduit de 1 point par an, pour arriver à 25%, histoire d’alléger les charges des PME. Pour l’IR, Mezouar s’engage à poursuivre la baisse de taux pour la tranche de 60 000 à 100 000 dirhams par an, pour encourager les PME à recruter les jeunes diplômés.
Ce qui revient à une baisse de l’IR de 10% en 5 ans. Sachant que toute réforme fiscale nécessite un effort financier, l’Etat aura-t-il les moyens de poursuivre ce chantier ? Pour exemple, la réforme de l’IR engagée jusque-là aura coûté aux caisses de l’Etat, 10 milliards de dirhams… De son côté, le parti de Abbas El Fassi ne lâche pas prise et compte défendre jusqu’au bout l’ISF.
Ce qui lui permettrait de créer deux fonds de solidarité, l’un pour financer la lutte contre la pauvreté et l’autre pour rééquilibrer les régions. Comme le PJD, l’Istiqlal envisage d’alimenter ces fonds via la taxation des très hauts revenus, des produits de luxe et des ventes de terrains nus.
Caisse de compensation
Le G8 comme le PJD revendiquent le ciblage des aides aux populations démunies. Mais le PJD opte pour l’optimisation du système de compensation grâce à la mise en place d’une panoplie d’impôts solidaires, comme la taxe sur les tranches supérieures de consommation d’eau et d’électricité, l’impôt urbain sur l’habitat pour les logements dont le loyer dépasse 48 000 dirhams dans les grandes villes, et 36 000 dirhams dans les villes moyennes.
Concernant la taxation des signes extérieurs de richesse, Benkirane ne lâche pas prise et entend taxer lourdement les véhicules de luxe par exemple. Toutes ces mesures devraient générer des recettes de l’ordre de 3 à 4 milliards de dirhams/an.
De plus, le PJD compte sur 2 à 3 milliards de dirhams supplémentaires en optimisant la collecte des impôts. Mais, l’essentiel des ressources, soit 40 à 50 milliards de dirhams, devrait provenir des financements alternatifs.
Mezouar défend un autre son de cloche. Il s’agit d’utiliser à bon escient l’enveloppe de 40 milliards de dirhams affectée chaque année à la Caisse de compensation. Le G8 entend affecter 50% de cette enveloppe aux aides directes aux plus démunis via le fonds de solidarité, et 50% au soutien des prix de certains produits de base pour préserver le pouvoir d’achat de la classe moyenne.
Enfin, l’Istiqlal ne déroge pas à la règle et soutient la nécessité d’un ciblage des familles défavorisées qui constituent 70% de la population rurale, en versant des subventions directes par enfant scolarisé (Tayssir)... Mais comme les partis concurrents, l’Istiqlal n’a pas l’intention de se passer de la Caisse de compensation puisque le soutien du prix de certains produits de première nécessité est jugé incontournable.
Khadija El Hassani et Mouna Kably |