Les hommes politiques marocains sont devenus plus provocateurs que leurs aßnés. Les écarts de langage se suivent et ne se ressemblent pas. Plongée dans le monde du « politiquement incorrect ».
Comment dit-on « Casse-toi, pauvâcon ! » en marocain ? Les Ă©carts de langage des hommes politiques comme Chabat, ou le sulfureux Zemzemi en passant par Fouad Ali El Himma, nâont rien Ă envier Ă la cĂ©lĂšbre sortie du prĂ©sident français. Grand spĂ©cialiste des Ă©carts de langage, le maire de FĂšs sâest fait un point dâhonneur de trĂŽner au top ten des dĂ©clarations Ă lâemportepiĂšce puisque sa derniĂšre sortie en date, oĂč il traitait les membres du PJD « dâ hypocrites et de faux musulmans », nâen ïŹ nit pas dâenrager Abdelilah Benkirane et ses coĂ©quipiers.
Ce nâest dâailleurs pas la premiĂšre fois que lâhomme se paie les islamistes. En effet, Ă la veille des lĂ©gislatives de 2007, il sâen est fallu de peu que le maire de FĂšs (encore lui) et Abdelilah Benkirane, le patron du PJD nâen viennent aux mains comme de vulgaires chiffonniers dans lâenceinte de la coupole. Au « Voleur, escroc » de Benkirane, rĂ©pondait le «Vendeur de tord-boyaux, hypocrite, faux musulman » de Chabat qui se dĂ©lectait dâexpliquer Ă lâassistance que Benkirane Ă©tait propriĂ©taire dâun hĂŽtel oĂč on distribuait de lâalcool ! Cet Ă©change trivial est plutĂŽt frĂ©quent entre les reprĂ©sentants de la nation.
Pour ce qui est des sĂ©ances publiques du Parlement, les tĂ©lĂ©spectateurs qui ont encore le courage de suivre les questions orales sont habituĂ©s Ă ces arrĂȘts subis de transmission. Quand la camĂ©ra sâarrĂȘte de ïŹlmer, câest que nos honorables dĂ©putĂ©s ont dĂ©passĂ© le stade de la polĂ©mique verbale pour sombrer dans lâinsulte. Souvent, la vĂ©nĂ©rable institution est le thĂ©Ăątre de bousculades, insultes et autres incivilitĂ©s qui volent vraiment bas... Un simple dĂ©bat entre ces dignes reprĂ©sentants du peuple risque ainsi de dĂ©gĂ©nĂ©rer en attaques virulentes personnalisĂ©es.
Stress incontrĂŽlable
Heureusement que le prĂ©sident du Parlement use Ă satiĂ©tĂ© de son pouvoir de rĂ©gulation pour remettre sur le droit chemin les brebis Ă©garĂ©es, avant de permettre Ă la camĂ©ra de reprendre la retransmission des dĂ©bats. Câest dâailleurs dans cette vĂ©nĂ©rable coupole quâun dĂ©putĂ© de lâUnion constitutionnelle sâĂ©tait tout rĂ©cemment rĂ©pandu en insultes antisĂ©mites « priant le ciel que la grippe porcine dĂ©cime tous les juifs ! »
Autre spĂ©cialiste de dĂ©clarations dĂ©calĂ©es Abdelbari Zemzemi multiplie les maladresses et provoque les polĂ©miques lâune aprĂšs lâautre. Cette ïŹgure importante du salaïŹsme « modĂ©rĂ© » et dĂ©putĂ© du PJD nâhĂ©site pas une seconde à « bouffer de lâ homo » comme lorsquâil a dĂ©clarĂ© en mai 2009, que lâattaque subie par le site de lâAssociation kif kif regroupant les homosexuels marocains et reprĂ©sentĂ© par un jeune Rifain Ă©tait, non seulement justiïŹĂ©e, mais parfaitement lĂ©gitime.
Plus encore, il y a quelques mois de cela, le Forum vĂ©ritĂ© et justice (FVJ) avait demandĂ© lâouverture dâune enquĂȘte judiciaire sur les dĂ©clarations Ă rĂ©pĂ©tition du cheikh qui a rĂ©cidivĂ© Ă propos de Mehdi Ben Barka, en le traitant encore une fois de renĂ©gat « dont lâassassinat Ă©tait justiïŹĂ© du moment quâil avait desambitions rĂ©volutionnaires Ă lâencontre de la monarchie et quâil avait bien lâintention de tuer le souverain ». Ces Ă©carts de langage sont-ils consĂ©quents Ă des montĂ©es de stress incontrĂŽlables ou font-ils partie dâune stratĂ©gie parfaitement pensĂ©e ? « Il y avait sans doute autant de dĂ©rapages auparavant, mais aujourdâhui, deux facteurs nouveaux ont ampliïŹĂ© le phĂ©nomĂšne. Il y a dâabord davantage de moyens de capter ces dĂ©rapages et dâen avoir une preuve tangible.
Avec la tĂ©lĂ© et surtout Internet, un individu quelconque peut mettre en ligne une scĂšne de dĂ©rapage, quâil va partager avec dâautres internautes, jusquâĂ ce quâun mĂ©dia sâen saisisse et ampliïŹe le phĂ©nomĂšne jusquâau fameux buzz. DeuxiĂšmement, les leaders politiques de la nouvelle Ăšre sont beaucoup moins prisonniers que leurs aĂźnĂ©s de liens de ïŹliation, de cooptation ou dâallĂ©geance Ă un rĂ©seau ou Ă un zaĂŻm historique. Câest pour cela quâils sâestiment plus libres de dire raiment ce quâils pensent quitte Ă choquer lâassistance », explique le politologue Mohamed Darif.
Pour ce ïŹn connaisseur de la chose politique, contrairement Ă ce que lâon croit, ces nouveaux leaders tels que Hamid Chabat ou encore Fouad Ali El Himma sont des hommes politiques intelligents, parfaitement conscients de leur stratĂ©gie mĂ©diatique. Ils ont compris que si un homme politique veut exister mĂ©diatiquement, il doit en permanence surfer sur lâĂ©vĂ©nement et lâactualitĂ©. Dans lâutilisation de cette politique compassionnelle, les mĂ©dias sont tout simplement instrumentalisĂ©s, parfois mĂȘme Ă leur insu.
Pour comprendre les ressorts de cette popularitĂ© et de la mĂ©diatisation qui en dĂ©coule, il faut bien avoir Ă lâesprit que toute la communication dâun leader, comme Fouad Ali El Himma, est axĂ©e sur lâomniprĂ©sence mĂ©diatique. Sa stratĂ©gie de communication sâĂ©tend Ă lâensemble des mĂ©dias et repose sur une logique fondĂ©e sur la rĂ©activitĂ© aux Ă©vĂ©nements. En plein dĂ©bat sur la lĂ©galisation du cannabis, lâhomme fera le dĂ©placement Ă KĂ©tama, la mecque du haschich, pour dĂ©clarer devant les paysans Ă©bahis que « le Maroc devrait lĂ©galiser cette plante pour des raisons Ă©conomiques et sanitaires ! » Avant que la classe politique nâait repris ses esprits, Ă Nador, le mĂȘme FAH pourfend la corruption des gendarmes en rendant hommage au sniper de Targuist qui a donnĂ© des cheveux blancs au gĂ©nĂ©ral Hosni Benslimane.
Surfer sur lâactualitĂ©
Dans le cas de FAH comme de Chabat, lâhomme politique surprend par ses dĂ©clarations fracassantes, ses insultes Ă peine voilĂ©es, utilisĂ©es mĂȘme contre ses amis â Benmoussa ou Akhannouch pour le patron du PAM, et Abbas El Fassi pour le maire de FĂšs -, une offensive qui permet de dĂ©stabiliser dans la durĂ©e les adversaires politiques, tout en occupant lâespace mĂ©diatique durablement. Il nâest dâailleurs pas anodin que FAH ait lancĂ© sa boĂźte de communication, Mena Media Consulting, qui emploie une trentaine de personnes dĂ©diĂ©es Ă la veille et lâexpertise politiques.
EnïŹn, pour expliquer la disparition de ce « politiquement correct » si cher Ă notre classe politique, de nombreux observateurs sâaccordent Ă voir dans ce phĂ©nomĂšne un affranchissement de la parole et une libertĂ© de ton propres Ă la nouvelle Ăšre, les annĂ©es de plomb nâayant pas Ă©tĂ© particuliĂšrement clĂ©mentes avec ceux qui ne savaient pas tenir leur langue. « Il me semble observer une certaine ââdĂ©sinhibitionââ de la classe politique. Peut-on imaginer que, sous Hassan II, un ministre ou un haut responsable ait pu rester Ă son poste plus de quelques heures aprĂšs un comportement grossier ou une dĂ©claration dĂ©placĂ©e ? », se dĂ©sole un ancien ministre du roi dĂ©funt.
Abdellatif El Azizi |