La classe politique ne semble toujours pas prête à faire le grand saut vers le Maroc promis dans la nouvelle Constitution. Inquiétant.
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Circulez, il n’y a rien à voir ! L’expression sied parfaitement à cette rentrée politique, inaugurant la session parlementaire d’octobre, la plus courte dans l’histoire du Parlement marocain. Plus qu’une quarantaine de jours avant que les députés s’en aillent battre campagne.
L’essentiel des lois électorales a été voté. Reste, seulement, le projet de la loi de Finances, retiré du Parlement à la dernière minute, et dont une deuxième mouture vient d'être adoptée en conseil de gouvernement.
En somme, les quelques jours que durera cette session font figure d’un tunnel nous séparant du nouveau Maroc promis dans la Constitution du 1er juillet 2011. Le problème est que personne ne sait encore ce que l’on verra au bout de ce tunnel.
Mise en garde royale
Très attendu par les observateurs, le discours royal devant les deux Chambres n’a pas contenu d’annonces choc. Un arrêt-bilan et une feuille de route s’inscrivant dans la suite logique des messages précédents, à commencer par celui du 9 mars. Les propos du souverain ont néanmoins fait figure de mise en garde mettant les politiques devant leurs nouvelles responsabilités.
Extrait : « Nous nous adressons à vous dans un contexte bien particulier, qui se distingue par l'engagement de notre pays dans la mise en œuvre de la nouvelle Constitution, à travers la mise en place des institutions qu'elle prévoit dont, et au premier chef, le Parlement et le gouvernement. » Les « partis nationaux sérieux » sont également invités à assumer leur responsabilité politique et à présenter « des projets sociétaux clairs et différenciés ».
C’est évident, Mohammed VI pointe du doigt les partis politiques qui ne sont pas crédibles et qui ne disposent pas de programmes dignes de ce nom, quand ce n’est pas les deux à la fois. Cette fois-ci, ils n’auront pas droit à l’erreur.
Pour le politologue Mohamed Darif, ce discours « consacre le passage d’un mode de gouvernance à un autre, beaucoup plus participatif, attribuant au gouvernement de larges prérogatives, et le rendant seul responsable d'élaborer son programme et de veiller à son application ». Au vu des derniers développements, ce passage ne s’opérera pas de sitôt.
Signaux négatifs
Sachant que la présence du roi pour ouvrir la session parlementaire est le meilleur – sinon l’unique – moyen de réunir l’ensemble des parlementaires sous la coupole, le ministre de l’Intérieur, Taïb Cherkaoui, comptait bien profiter de l’occasion pour s’assurer le quorum nécessaire à l’examen de textes de loi sur la deuxième Chambre.
Pas de chance : les « représentants de la nation », plus rapides que leur ombre, disparaîtront dès la fin du discours. Une farce de très mauvais goût qui en dit long sur les dangers de reconduire les mêmes élites après le 25 novembre. Déjà , tout au long de la session extraordinaire – elle l’est à bien des égards –, nos politiques nous ont livré un avant-goût très amer de leur capacité à gérer leur agenda et surtout leurs différends.
Il n’y a qu’à se rappeler le fiasco lié au projet de loi de Finances, les alliances contre nature tissées à la va-vite, ou encore ce qui se passait lors des discussions des lois électorales, quand les chefs de partis acceptaient les propositions de Taïb Cherkaoui en réunion, avant que leurs groupes ne s’y opposent en commission parlementaire… « Les formations politiques n’arrivent même pas à se mettre d’accord au niveau de leurs affaires internes, comment voulez-vous qu’ils s’unissent autour d’une même politique gouvernementale ? », s’indigne un député en réaction à la « grande évasion » du vendredi.
Le Maroc retient son souffle
Pire encore, maintenant que les partis en ont fini avec le casse-tête chinois des accréditations, l’on voit bien que ce sont les mêmes figures sulfureuses qui se présenteront aux élections sans même apporter un programme, ou tout au moins l’ébauche d’un projet de société cohérent.
Interrogés à plusieurs reprises sur l’agenda qu’ils comptent appliquer une fois au gouvernement, les dirigeants politiques ne cessent de renvoyer la question aux calendes grecques. Cela s’explique aisément quand on se rend compte que c’est l’appât du gain de sièges qui triomphe de toutes les autres raisons de faire la politique au Maroc.
Un exercice hautement périlleux en cette conjoncture où tout le Maroc retient son souffle et cristallise ses attentes sociales sur une promesse de changement, dont les présages ne sont pas rassurants. On notera au passage que la campagne électorale débute quinze jours avant la date du scrutin, et que trois semaines seulement nous séparent de son coup d’envoi.
Difficile de croire au miracle : les partis vont-ils livrer en l’espace de quelques jours les programmes qu’ils n’ont pas réussi à élaborer pendant des années ? Bientôt, les éclats de campagne nous en diront plus sur les réelles intentions de notre classe politique.
Ali Hassan Eddehbi
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