Etrillé par le 20-Février, Fouad Ali El Himma ne se représente pas aux législatives. Et sa colistière de la circonscription des Rhamna vient de se faire évincer par son autre colistier...
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Ce jour-là , Fatiha Layadi a laissé tomber son dress code de députée. Casquette Ferrari vissée sur la tête et Converse au pied, elle arpente la campagne à un quart d’heure de piste de la route. Nous sommes dans un douar au sud des Rhamna. La terre craquelée annonce la couleur : l’eau est rare ici. Et imbuvable : « Même les vaches n’en veulent pas. »
Cela fait vingt ans que les sources se sont taries. Fatiha Layadi arrive accompagnée de trois Français de l’ONG « L’orme » qui finance en partie un puits creusé à 70 mètres. Dans quelques mois, l’eau jaillira à nouveau à Jaydate et 3 000 habitants pourront bénéficier d’un compteur et de l’eau courante.
On imagine qu’autour du puits et du château d’eau en construction, les militants humanitaires et la députée de Rhamna sont accueillis avec chaleur. Un agent de la commune affirme même qu’il n’y a « qu’un seul homme dans cette région, c’est elle ». Avant d’ajouter qu’il voterait pour Fatiha aux prochaines élections.
Sauf qu’il n’en aura probablement pas l’occasion. Car l’héritière des Layadi, une grande famille de cette vieille terre de « essiba » devenue légitimiste, ne devrait plus représenter Rhamna aux prochaines législatives.
La visite du puits a eu lieu le 30 septembre. Le lendemain, lors d’un conclave tenu à Marrakech, elle était évincée des accréditations aussi bien locales que nationales. C’est le choc pour cette figure du PAM et du Parlement, ancienne journaliste, ex-dircom de Benabdellah du temps de sa splendeur au ministère de la Communication, fille de député, petite-fille du caïd de Rhamna et proche de Fouad Ali El Himma.
Un vrai caĂŻd !
Fatiha Layadi n’est pas n’importe qui et ne vient pas de n’importe où. Son grand-père, le caïd Layadi, avait osé défier le Glaoui sous le protectorat en refusant de faire allégeance au sultan Moulay Arafa, jouet du pacha de Marrakech.
Sacrée personnalité le grand-père. On raconte qu’un jour le Glaoui avait envoyé un émissaire pour lui transmettre ce message : « Dites au caïd Layadi de fermer la porte qu’il a percée dans la muraille de Marrakech. » Et le caïd de répondre au messager : « Dites au Glaoui que s’il est un homme, qu’il vienne la fermer lui-même. »
Fatiha Layadi a de qui tenir et pourtant elle n’a pas toujours été une femme de pouvoir. Le déclic a lieu en 2007 après le décès de son père. Lors du « talet », le repas du troisième jour des funérailles, elle a la surprise de recevoir des centaines de personnes venues rendre hommage à son père.
Chaque douar de Rhamna a délégué cinq habitants. « Je me suis dit alors qu’il fallait perpétuer ce lien. Mais je me demandais comment partager le quotidien de ces personnes comme ils étaient venus partager ma douleur. »
La réponse arrive quelque temps plus tard. Fouad Ali El Himma démissionne de l’Intérieur pour, dit-il, se consacrer à sa région. Fatiha Layadi l’appelle alors pour lui dire qu’elle est prête à l’aider : « Trois jours après, il m’a proposé d’être sur sa liste. Je n’ai hésité que cinq minutes. L’image de toutes ces personnes m’est revenue à l’esprit. »
Pas fou FAH, dans une région où les liens tribaux sont encore vivaces, il sait que l’héritière du notable de Rhamna est un atout de choix pour gagner les élections. On murmure qu’il lui doit son siège.
Modeste, Fatiha Layadi préfère simplement noter que « le fait que je sois placée en dernier a probablement permis à notre liste de remporter les trois sièges ». Sur Fouad Ali El Himma, madame la députée ne tarit pas d’éloges : « Il a un sens de l’écoute qu’on aimerait pouvoir retrouver ailleurs dans les sphères de l’Etat. »
Elle est plus avare de compliments quand il s’agit d’évoquer l’oncle de FAH, Hamid Narjisse, l’homme fort de la zone, président du conseil régional, élu député de Rhamna en deuxième position en 2007, et coordinateur régional du PAM, l’instance qui vient de l’écarter des prochaines législatives...
On dit que ces deux-là ne se sont jamais entendus. Ce que dément Hamid Narjisse. « Je n’ai aucun problème avec elle », dit-il à actuel. Mais Fatiha Layadi affirme ne pas avoir été prévenue de la tenue de la réunion d’accréditation. Narjisse affirme qu’il lui a envoyé un SMS.
Quoi qu’il en soit, la coordination de Marrakech a désigné en tête de la liste nationale la présidente de l’arrondissement de Guéliz, Zakia Mrini, une proche de Narjisse. Fatiha Layadi et Fatima-Zahra Mansouri, la maire de Marrakech sont arrivées avant-dernière et dernière... « C’est un coup d’Etat régional pour forcer la main au parti », commente la députée de Rhamna.
Suivez son regard, le nouveau Glaoui de Marrakech est dans le viseur. Mais il s’en défend : « Pourquoi me mettez-vous ça sur le dos ? Moi je n’ai pas voté. Si j’ai le pouvoir d’influencer 60 personnes, il y a quelque chose qui ne va pas. » C’est à la commission nationale de trancher.
A l’heure où nous mettons sous presse, elle n’avait pas encore donné son verdict. Mais même en contestant le tonton de FAH, Fatiha Layadi semblait sereine. «  Fouad est une personne qui a des yeux pour voir, qui réfléchit et qui tire ses conclusions. » On saura bientôt si le Parlement a perdu une députée réputée compétente... ou bien si le journalisme a retrouvé une bonne plume.
Eric Le Braz |