Face à l’épreuve des urnes, les partis politiques semblent succomber à la facilité en tissant des alliances improbables, quand elles ne sont pas contre nature.
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Salaheddine Mezouar, patron du Rassemblement national des indépendants (RNI), a pris tout le monde de court en annonçant, à Rabat, la naissance de « l’alliance pour la démocratie ». On les croyait quatre, ils deviennent huit.
Le quartette PAM (Parti authenticité et modernité), RNI, UC (Union constitutionnelle) et MP (Mouvement populaire), qui devait former un grand pôle de droite, s’élargit et s’ouvre aussi bien aux gauchistes qu’aux barbus.
Les partis travaillistes (PT), du congrès socialiste (PCS), de la gauche verte (PGV), de la renaissance et de la vertu (PRV-islamiste) se joignent aux premiers. A la surprise générale.
Ni à gauche ni à droite, et encore moins au centre, les huit composantes de la nouvelle alliance refusent de se positionner politiquement. « Ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous sépare », affirme Mezouar, assurant qu’il s’agit d’une coalition stratégique fondée sur un « projet démocratique et moderniste authentique »… Si la démocratie, c'est le patchwork, ce « G8 » devient bien l'étalon des alliances arc-en-ciel.
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Sans programme « o bikhir »
Il y a à peine quelques jours, tous les observateurs attendaient l’annonce officielle d’un grand pôle de droite, réunissant le RNI, le PAM, l’UC et le MP, lesquels s’acheminent, depuis l’été dernier, vers les législatives en rangs serrés. Le quartette ne parlait pas de coalition, mais plutôt de coordination.
« Les alliances se font sur la base de programmes et de référentiels en commun, nous sommes au stade de la concertation, sur un travail commun au sein de l’hémicycle. Cela va se faire après les élections et dans le cadre de la formation d’un éventuel gouvernement », avançait-on à l’époque.
Ces propos n’ont plus d’importance depuis que le cercle s’est élargi et que les dirigeants des huit formations répètent en chœur qu’il ne s’agit pas d’alliances tactiques ou conjoncturelles, mais plutôt d’une « alliance politique durable ».
Mais cette entente qui se veut libre « des calculs électoralistes étriqués » risque de n’avoir aucun sens après les résultats du scrutin. « Dans les pays démocratiques, les alliances peuvent avoir lieu avant le vote, notamment pour boucler les préparatifs (lois, campagnes électorales, ndlr).
Les vraies alliances, elles, naissent après le scrutin », explique le politologue Nadir Moumni. Et d’ajouter : « Ces regroupements pré-électoraux ne posent pas problème à condition d’avoir des programmes clairs et bien ciblés… surtout pas des programmes qui s’adressent à toute les catégories et contiennent, de ce fait, beaucoup de contradictions. »
Cette théorie ne trouve visiblement pas d’écho dans la pratique. Abdelkrim Benatiq, secrétaire général du Parti travailliste (gauche), et l’un des architectes de la nouvelle alliance, insiste d’emblée : « Aujourd’hui, la question des affinités idéologiques est dépassée.
Nous avons tous un point commun : nous sommes démocrates. » C'est bien le moins quand on se présente à des élections. Mais qu’en est-il des programmes ? « Ils figurent sur notre agenda et nous nous pencherons dessus dans les prochains jours », nous répond le patron du RNI, qui se veut rassurant.
On attend avec impatience un programme commun entre les écolos de gauche et l'islamisme pittoresque de Zemzemi. Idem pour l’éventuelle présentation de candidatures communes, une question « qui n’est pas encore tranchée ». A seulement sept semaines du scrutin, on leur souhaite bien du courage !
« Ça sent le PAM »
Non seulement hybride et surprenante, cette alliance ne serait également pas innocente selon des sources qui y voient d’abord une démarche dirigée vers les islamistes. Salaheddine Mezouar balaie tout d’un revers de la main : « Ceux qui s’allient pour faire face aux autres n’ont pas de projet. Nous on a le nôtre, et on ne cherche à barrer la route à personne. »
Au milieu de cet étrange panel, certains voient la main invisible du PAM qui tente de refaire surface après une éclipse involontaire suite aux critiques acerbes de la rue marocaine depuis le 20 février. « Le PAM cherche à se diluer dans une alliance panachée, et à en ressortir encore plus fort », confie un fin observateur du champ politique. Et à moins que les autres alliances ne bougent, ce « G8 » sorti de nulle part pourrait rafler la mise.
A quatre déjà , les partis de l’ex-coordination de droite pesaient, sur le papier, environ 40% des votes. Les nouveaux alliés apportant aussi leur lot de suffrages, l’alliance atteindrait la moitié des voix exprimées et Mezouar ou Biadillah, secrétaire général du PAM, auraient de fortes chances de succéder à El Fassi, au risque de provoquer la rue.
La Koutla en apesanteur
Le 28 septembre dernier, les instances dirigeantes de l’Istiqlal, de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et du Parti du progrès et du socialisme (PPS) ont de leur côté décidé, par voie de communiqué conjoint, de mettre en place des commissions de travail communes avec pour mission « d’élaborer des initiatives et mesures à même de concrétiser les objectifs qu’elle (la Koutla, ndlr) se fixe sur le terrain ».
A l’étude : la possibilité d’aborder les prochaines élections avec un programme uniforme et celle de présenter des candidats uniques symboliques.
Cette relance de la Koutla, dont le mérite revient en grande partie au PPS, intervient après de vaines tentatives de rapprochement entre les partis de la gauche en août dernier. Le Parti socialiste (PS), le Front des forces démocratiques (FFD), l’USFP et le Parti de la gauche verte caressaient l’espoir d’un grand rassemblement de la gauche qui n’a finalement pas eu lieu en raison de plusieurs divergences internes, notamment la position du Parti socialiste unifié (PSU) et du Congrès national ittihadi (CNI) qui ont préféré ignorer l’appel au regroupement.
L’USFP a donc rejoint la Koutla de l’Istiqlal et du PPS avec pour priorité de contrer une rude concurrence incarnée par le quartette de droite libérale. Vont-ils faire le poids devant le groupe des huit ? A moins de revoir toutes leurs cartes, il est fort probable qu’ils échouent le jour du scrutin.
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Joker islamiste
Quant au Parti de la justice et du développement (PJD), il ne se range, pour l'instant, d’aucun côté et préfère se faire oublier en cette période de tractations préélectorales. « Pour le moment, la question des alliances n’est pas à l’ordre du jour », confie Saâdeddine Othmani.
Théoriquement le PJD se positionne au centre et laisse entendre qu’il pourrait pencher aussi bien vers la gauche que vers la droite. Mais dans la pratique, le parti préfère ne pas parler d’alliance avant le déroulement des élections.
Interrogé sur la possibilité de rapprochement avec la Koutla, et notamment avec l’USFP, M. Othmani affirme que le parti n’exclut pas une éventuelle alliance avec les socialistes, même s’il y a des doutes sur la capacité des deux partis à présenter un programme commun en raison de leurs référentiels très éloignés.
Et si jamais ce rapprochement avec les socialistes ne donnait rien, les compagnons de Abdelilah Benkirane pourraient bien aller chercher ailleurs. « Nous ne sommes pas du tout chauds à l’idée de faire partie d’une alliance où se trouve le PAM.
Cela étant, nous ne disons pas que nous refusons. Si nous sommes acculés, ce sera vraiment le dernier recours », nous confie l’ex-secrétaire général du parti de la lampe. Une option fort envisageable d’autant plus que l’alliance démocratique se dit « ouverte à toute nouvelle adhésion ». Etourdissant !
Ali Hassan Eddehbi |