L’arrestation de l’artiste attitré du 20-Février, le rappeur L7a9ed a provoqué un large mouvement de soutien. Mais pourquoi est-il menacé de prison ?
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7na koulna 7a9dine, ghir chdouna kamline ! » (On a tous la haine, qu’on nous jette tous en prison). Devant le tribunal de première instance de Ain Sbaâ, les militants du 20-Février font le pied de grue en cette matinée du lundi 12 septembre pour connaître le sort du rappeur emblématique du mouvement, « L7a9ed », arrêté suite à une plainte pour « coups et blessures » déposée par un jeune « royaliste ».
Au final, le procureur décidera, en milieu d’après-midi, de poursuivre le militant en état de détention. Mais il n’a toujours pas fixé, à l'heure où nous mettions sous presse, la date de la première audience.
Toutefois, les vingtfévrieristes n’ont pas attendu l’ouverture du procès pour le qualifier de « politique ». Selon eux, L7a9ed aurait été arrêté à cause de sa musique engagée et l’affaire serait montée de toutes pièces pour le faire taire.
L’histoire a pris une proportion telle qu’elle a éclipsé la rentrée politique de la section casablancaise du mouvement. Le coup d’envoi de celle-ci ayant été donné par les marches du dimanche 11 septembre.
Coup monté ?
Depuis l’arrestation de L7a9ed, plusieurs sit-in de soutien ont été organisés, relayés par une large campagne d'appui sur les réseaux sociaux.
Tout commence le vendredi 9 septembre. Selon Nabil, témoin et ami du rappeur L7a9ed, de son vrai nom Mouad Belghouate, se trouvait dans son quartier Oukacha à Casablanca, en compagnie de ses amis.
Un certain Hamouda Taliani, activiste du « mouvement des jeunes royalistes », qui avait l’habitude de « provoquer » les militants du 20-Février selon les amis de Mouad, était également présent dans le quartier ce jour-là .
« A chacune de ses provocations, Mouad l’ignorait malgré ses menaces répétées. Hamouda le traitait de traître et le narguait en lui disant qu’il finirait par l’acheter », raconte Nabil, présent lors de l’incident.
Cette fois-ci, l’échange est plus virulent, mais pas au point d’en venir aux mains, affirment les vingtfévrieristes. « Après les avoir séparés, Mouad est rentré chez lui, tandis que Hamouda s’est dirigé vers une ambulance qui l’attendait déjà .
C’est ce qui a attiré notre attention. On sentait le coup monté », poursuit le témoin. Alerté par ses amis, Mouad décide de se rendre au commissariat Dar El Hamra pour déposer plainte pour harcèlement.
Les employés du commissariat prennent son numéro de téléphone et l’assurent qu’il sera recontacté. Ce sera chose faite en fin de journée, Mouad reçoit l’appel de la police qui lui demande de se rendre au poste pour relater sa version des faits. Il sera arrêté dans le sillage de l’interrogatoire. D’après la partie adverse, Hamouda Taliani serait, lui, dans le coma...
Créateur de slogans
Autre son de cloche des « jeunes royalistes » : selon eux, Mouad aurait bel et bien attaqué Hamouda. Ils en veulent pour preuve un certificat médical de 45 jours, présenté par la victime supposée.
« Hamouda Taliani n’est pas un baltaji, il était sans cesse provoqué par ce jeune homme du mouvement du 20-Février qui lui demandait combien il se faisait payer pour manifester », affirme Mustapha Daouf, activiste du mouvement du 9 mars.
Le principal intéressé reste, lui, injoignable. La défense de l’artiste, composée d’une dizaine d’avocats, crie au scandale et dénonce les multiples incohérences. « Les quatre témoins à charge de l’accusation se contredisent, notamment sur la localisation des blessures et les horaires, sans oublier qu’ils font partie de son propre mouvement. Ils sont donc juges et parties. »
Les témoins de la défense affirment que la victime n’était pas blessée. Or, dans les affaires de coups et blessures, les poursuites reposent en principe sur les témoignages, explique Me Mohamed Massoudi. « Mouad n’est pas d’une nature violente, bien au contraire. C’est lui qui nous calmait quand les baltajias nous provoquaient pendant les manifs », raconte l’humoriste et membre du 20-Février, Ahmed Snoussi.
Pour cet autre militant, Hosni Al-Mokhliss, L7a9ed paye le prix des morceaux engagés qu’il a mis en ligne sur Youtube. « On s’inspirait de sa musique pour nos slogans, c’est dire sa popularité », explique Salma Abid, membre du mouvement.
Parmi ses morceaux de bravoure, le slogan « si le peuple un jour aspire à la vie, il se doit de prendre la parole et de défendre sa cause. Ils ont bouffé nos richesses et nous laissent les miettes. N’oublions pas tous les militants qui sont morts pour qu’aujourd’hui on puisse parler ».
Rap opposant
Les thèmes abordés par L7a9ed sont dans la droite lignée des revendications du 20-Février. Le rappeur n’a pas froid aux yeux et s’attaque à la « razzia des Fassis », parodie les discours royaux (« Khitab ») et dénonce « les injustices que subit le peuple » (Mgharba 3i9o).
Cette dernière vidéo a été visionnée près de 40 000 fois sur le site Youtube. « Mon frère a toujours été engagé à travers sa musique, bien avant le 20-Février, même s’il ne fait partie d’aucune formation politique.
Il est sorti dès la première manifestation et était très actif. En plus de la musique, il distribuait les tracts, prenait part aux réunions…», raconte Hamza, son frère, également membre du 20-Février. Fils d’une famille modeste de cinq enfants, L7a9ed, 24 ans, est bachelier et salarié d’une société de câblage à Casablanca.
« Il travaille, comme tous les artistes opposants, avec les moyens du bord. Aucun studio d’enregistrement n’a voulu de lui », explique Ahmed Snoussi. L7a9ed enregistre chez lui, avec son PC, et travaille activement avec la section créative de Casablanca du mouvement du 20 février. Selon ses amis, c’est un jeune homme calme et sociable qui n’a jamais eu de démêlés avec la justice.
Sa famille est aujourd’hui inquiète. « Je suis favorable à ce qu’il milite mais je lui disais toujours de se méfier et de ne pas se risquer à trop critiquer le Makhzen », se désole son père Mohamed Belghouate.
Du côté de ses amis du 20-Février, L7a9ed est désormais une icône de la contestation et son arrestation les incite à manifester davantage. Hosni Al-Mokhliss résume l’état d’esprit du mouvement : « Certes, L7a9ed est le premier détenu d’opinion du mouvement à Casablanca. Mais il ne faut pas oublier que des membres du mouvement du 20 février croupissent dans les prisons à Marrakech, Taza, Tétouan, Guelmim, Bouarfa... Cela va nous pousser à être encore plus mamfakinch ! »
Depuis l’arrestation de L7a9ed, le ton des slogans est d’ailleurs monté d’un cran. Si le procès du rappeur le mène en prison, le mouvement du 20 février pourrait davantage se durcir.
Zakaria Choukrallah
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