Le courant retrouve de la vigueur en AlgĂ©rie, et les milieux proches du pouvoir accusent le Royaume dâĂȘtre la base arriĂšre de ce mouvement. Au Maroc, les chiites veulent profiter de lâouverture politique et confessionnelle initiĂ©e par la nouvelle Constitution.
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L'adoption dâune nouvelle Constitution qui tolĂšre dâautres courants religieux que lâislam sunnite servira-t-elle les intĂ©rĂȘts des chiitesâ? Câest du moins ce que pensent les intĂ©ressĂ©s qui ont rĂ©activĂ© leurs rĂ©seaux Ă lâĂ©tranger avant de se concentrer sur le Royaume.
Pour la premiĂšre fois, Alger sâinquiĂšte de lâoffensive chiite en AlgĂ©rie Ă partir du Maroc. Selon la presse algĂ©rienne, le phĂ©nomĂšne chiite sâest dĂ©veloppĂ© surtout dans les villes limitrophes de la frontiĂšre marocaine, dâoĂč cette dĂ©duction facile que le «âmalâ» viendrait du Maroc.
Depuis que le chiisme sĂ©duit de plus en plus dâAlgĂ©riens, la vĂ©ritable hantise du rĂ©gime aujourdâhui, câest que les services iraniens rĂ©activent leurs rĂ©seaux pour crĂ©er lâĂ©quivalent du Hezbollah en AlgĂ©rie, comme ils lâavaient tentĂ© dans les annĂ©es quatre-vingt-dix.
Le portail algeriesite.com explique que les enseignants venus dâOrient, qui avaient participĂ© au dĂ©veloppement du chiisme en AlgĂ©rie, avaient fait du bon travail. Des familles entiĂšres sâĂ©taient converties au chiisme, du fait des efforts menĂ©s, depuis les annĂ©es soixante, par des Irakiens et des Libanais chiites appelĂ©s Ă enseigner lâarabe dans le cadre de la politique dâarabisation prĂŽnĂ©e par BoumĂ©diĂšne.
Quant Ă lâaccusation faite aux Marocains de favoriser lâexpansion du chiisme en AlgĂ©rie, elle ne repose sur aucune donnĂ©e fiable.
En rĂ©alitĂ©, les chiites marocains les plus actifs ne se trouvent pas au Maroc mais plutĂŽt en Europe. A Bruxelles, «âce sont surtout les Marocains qui dĂ©cident de franchir le pasâ» annonçait dĂ©jĂ , en janvier 2009, le magazine flamand MO dans un reportage extrĂȘmement fouillĂ© sur les conversions massives de Marocains au chiisme.
Selon lâhebdomadaire, mĂȘme si la communautĂ© des musulmans chiites marocains en Belgique nâest presque pas connue du grand public, son activisme fait «âfrĂ©mir les autoritĂ©s marocaines confrontĂ©es Ă ce nouveau danger bruxellois qui menacerait le systĂšme religieux musulman (sunnite, malĂ©kite)â».
Car les adeptes du chiisme, quâils soient au Maroc ou ailleurs, nâaffichent jamais ouvertement leurs convictions religieuses, dâoĂč la difficultĂ© dâestimer leur force. Le principe de la Taqiya (lâobligation de cacher ses convictions religieuses en terre «âhostileâ») Ă©tant une obligation, la communautĂ© chiite est trĂšs difficile Ă approcher. Ils ont appris depuis longtemps Ă cultiver la vertu du silence.
De lâaveu mĂȘme dâun chiite marocain, «ânous respectons une citation de lâimam Jaafar Assadik qui avait dit ââla Taquiya est ma doctrine, celui qui ne fait pas la Taquiya nâa pas de religionâââ».
Driss Hani, qui se prĂ©sente comme thĂ©ologien chiite, est devenu depuis 2002 leur porte-voix. Il avait appelĂ© dâailleurs en 2008, Ă lâoccasion de la fĂȘte de Achoura, Ă ce que ce jour soit fĂ©riĂ© au Maroc.
Mais une faiblesse handicape le mouvement chiite au Maroc comme en AlgĂ©rie et les condamne Ă rester toujours dĂ©pendants de lâĂ©tranger. Ils nâont pas de rĂ©fĂ©rences (marajii) locales et sont de facto infĂ©odĂ©s aux ayatollahs Ă©trangersâ: iranien, libanais et irakien.
Et câest justement lĂ oĂč le bĂąt blesse. Aucun pays musulman, du Maroc au BahreĂŻn en passant par lâAlgĂ©rie, ne pourrait admettre que ses citoyens se rĂ©clament dâun islam aux ordres dâune nation Ă©trangĂšre.
Câest pour cela que face Ă la montĂ©e en puissance de lâinterventionnisme iranien dans les affaires intĂ©rieures des pays arabes Ă majoritĂ© sunnite, plusieurs Etats ont commencĂ© Ă prendre leur distance avec ce rĂ©gime qui se sert des minoritĂ©s chiites comme d'un tremplin.
Selon la mĂȘme source, le mouvement au Maroc ne touche que les intellectuels. Lâambassade iranienne Ă Rabat a tissĂ© de longue date des liens avec les diffĂ©rents acteurs de ce mouvement.
Et câest grĂące Ă des bourses iraniennes que des dizaines dâĂ©tudiants marocains ont pu se rendre dans les diffĂ©rentes «âhaouzaâ» en Iranâ; certains sont devenus dâailleurs de grands mollahs.
Les dessous dâune rupture
Le Maroc a rompu, le 6 mars 2009, ses relations diplomatiques avec lâIran. TĂ©hĂ©ran nâavait en effet pas apprĂ©ciĂ© le soutien du Maroc au BahreĂŻn dans un conflit frontalier, et lâambassadeur du Maroc en Iran avait Ă©tĂ© fermement tancĂ©.
Ce qui avait constituĂ© un prĂ©texte pour la rupture. Selon une source proche du dossier, cet incident nâĂ©tait que la goutte dâeau qui avait fait dĂ©border le vase. Depuis le mois de septembre 2008, lâambassadeur dâIran en poste Ă Rabat, le mollah Wahid Ahmadi, Ă©tait dans la ligne de mire des autoritĂ©s marocaines.
Ses dĂ©clarations mĂ©diatiques avaient Ă©tĂ© mal perçues Ă lâĂ©poque. Wahid Ahmadi nâavait pas hĂ©sitĂ© Ă critiquer lâimam et dĂ©putĂ© islamiste du parti Annahda Wal Fadila (PRV), Abdelbari Zemzami, sur les colonnes dâAl Jareda Al Oula, en raison de ses prises de position contre lâinfluence du chiisme au Maroc.
CâĂ©tait la premiĂšre fois au Maroc quâun ambassadeur critiquait ouvertement un dignitaire religieux marocain. Zemzami avait dĂ©clarĂ©, en octobre 2008 sur Al Jazeera, que depuis quatre ans on assistait Ă une multiplication des tentatives de conversion de Marocains au rite chiite.
Un autre point de divergence, le rĂŽle de plus en plus influent de lâIran dans la rĂ©gion du Maghreb depuis la guerre contre le Liban et la derniĂšre guerre israĂ©lienne Ă Gaza. Les drapeaux du Hezbollah libanais et les photos de Hassan Nasrallah ont mĂȘme fait leur apparition dans les manifestations de soutien au Liban et Ă Gaza, y compris lors du congrĂšs du PJD.
Une influence qui a Ă©tĂ© mal perçue du cĂŽtĂ© marocain. Le Maroc craignait une tentative iranienne de crĂ©er un relais au Maroc Ă lâinstar du Hezbollah libanais. Le Royaume risque-t-il de devenir chiite un jourâ?
En tout cas, les chiites ne renoncent pasâ: «âNous considĂ©rons le Royaume comme un pays historiquement chiite depuis lâarrivĂ©e de Idriss 1er, descendant de Fatima Zohra, au Maroc. Il existe des pratiques chiites culturellement visibles mais rares sont ceux qui en connaissent lâorigineâ», rĂ©pond lâun dâeux.
Mohamed El Hamraoui |