Pour les partis politiques, enrĂŽlĂ©s pour assurer la mobilisation des Ă©lecteurs, la campagne rĂ©fĂ©rendaire avait un autre objectifâ: les prochaines lĂ©gislatives. PrivĂ© de congrĂšs, le RNI est parti Ă la rencontre de toutes les rĂ©gions. Reportage.
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C'est faitâ! Les Ă©lecteurs sont allĂ©s voter. Ou non⊠Ceux qui se sont dĂ©placĂ©s ont exprimĂ© leur adhĂ©sion, ou leur refus, de la nouvelle Constitution. En toute libertĂ©. Les dĂ©s sont donc jetĂ©s⊠RĂ©sultatâ? Dans quelques heuresâŠ
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Mais ce rendez-vous du 1er juillet aura Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© dâune campagne Ă nulle autre pareille. Les grandes formations politiques et leurs leaders ââtoutes et tous unanimes pour soutenir le projet prĂ©sentĂ© par le roi le 17 juin dernierââ nâauront pas mĂ©nagĂ© leur peine pour multiplier les rĂ©unions et meetings, Ă la rencontre de leurs militants, sympathisants, et⊠curieux.
Le calendrier électoral, singuliÚrement resserré, aura contraint les formations politiques à se démultiplier pour assurer le service partout dans le Royaume. actuel a suivi durant 48 heures la campagne du RNI.
Tout avait mal commencĂ©. PremiĂšre grande formation Ă tenir meeting Ă Casablanca, le RNI a failli voir sâempoigner les participants rĂ©unis dans lâenceinte Mohammed V. Quelques insultes profĂ©rĂ©es dans les gradins, et autant de bouteilles dâeau balancĂ©es Ă travers la salle.
Mouiller la chemiseâŠ
Une ambiance Ă©lectrisĂ©e par quelques perturbateursâ? Un coup bas de certains opposants Ă la direction nationale venus invectiver le patron du RNIâ?... Les avis divergent, au sein mĂȘme de la direction, sur lâorigine exacte des incidents.
Casablanca servira de leçon pour le RNI et pour les autres formations qui resserreront leur dispositif de campagne. Ce qui nâempĂȘchera pas un dĂ©bat houleux lors dâun meeting du PPS entre les jeunes du 20-FĂ©vrier et un Nabil Benabdellah qui nâa guĂšre lâhabitude de se laisser intimiderâ!
Pour le prĂ©sident du RNI, comme pour la quasi-totalitĂ© des formations qui sâapprĂȘtent Ă en dĂ©coudre lors des toutes prochaines Ă©lections lĂ©gislatives, cette campagne rĂ©fĂ©rendaire constituait un double enjeu.
Enjeu immĂ©diat, il sâagissait de mobiliser les Ă©lecteurs en faveur du «âOuiâ» Ă la nouvelle Constitution ââmais qui, Ă la veille du scrutin, redoutait vraiment que le «âNonâ» lâemporteâ? En vĂ©ritĂ©, lâenjeu Ă©tait ailleurs. Pour tous les grands leaders, la multiplication des rĂ©unions et meetings avait le mĂ©rite de constituer un vĂ©ritable tour de chauffe de la prochaine campagne des lĂ©gislatives.
Le RNI ne sây est pas trompĂ©. Il est vrai que, pour lui, lâenjeu Ă©tait dâimportance. Le calendrier de la Constitution est venu perturber lâordonnancement de sa mise en ordre de marche ââĂ commencer par son congrĂšs extraordinaire prĂ©vu fin juinââ en vue des prochaines Ă©lectionsâ? QuâĂ cela ne tienneâ! La campagne rĂ©fĂ©rendaire sera lâoccasion de (re)mobiliser les troupes autour de sa direction et dâaffirmer un leadership pour les combats Ă venir.
Jamais sans doute lâexpression «âmouiller la chemiseâ» nâaura Ă©tĂ© autant dâactualitĂ©. Au sens propre comme au figurĂ©. Au plus fort de la pĂ©riode de chaleur quâa connue le Royaume en cette fin du mois de juin, les caravanes politiques ont toutes subi les assauts de tempĂ©ratures Ă©crasantes, amplifiĂ©es par la promiscuitĂ© de foules rassemblĂ©es dans des enceintes surchauffĂ©es.
Lorsque Salaheddine Mezouar entre dans une salle de sport, dimanche dernier Ă Tanger, devant quelque 2â000 militants et sympathisants, lâambiance est Ă son paroxysme. Public Ă©clectique. Et Ă©lectrique.
Un président omniprésent
Hommes, femmes, jeunesâ: tous sont venus pour entendre «âleurâ» ministre et prĂ©sident du parti. Mezouar se sait attendu. Chaque Ă©tape est pour lui lâoccasion de rencontrer les responsables locaux, de prendre la mesure de la qualitĂ© des relais du parti, et de lâengagement des tĂ©nors rĂ©gionaux Ă ses cĂŽtĂ©s.
Quelques minutes plus tĂŽt, câest pourtant en toute dĂ©contraction quâil vient prendre son petit dĂ©jeuner Ă lâhĂŽtel oĂč son Ă©quipe a passĂ© la nuit. Les meetings, dĂ©jĂ , sâenchaĂźnent au cĆur du Royaume ââdes montagnes de Tissa, dans la province de Taounate, Ă FĂšsââ et le programme de la semaine sâannonce Ă©prouvant. Tanger, SalĂ©, KĂ©nitra, MeknĂšs, Marrakech, mais aussi Agadir, LaĂąyoune ou encore OuarzazateâŠ
Le prĂ©sident du RNI a fait le choix dâĂȘtre omniprĂ©sent, dans toutes les rĂ©gions du Royaume, jusque tard dans la nuit de jeudi Ă vendredi, jour du scrutin. DĂ©cidĂ©ment, cette campagne, courte, ramassĂ©e, constitue le meilleur palliatif Ă un congrĂšs qui sâannonçait dĂ©licat.
«âCertains estimaient que le congrĂšs conduirait Ă des changements brutaux, observe Mezouar. Mais tout ça, aujourdâhui sâest dĂ©gonflĂ©âŠâ» Les attaques rĂ©pĂ©tĂ©es, au sein mĂȘme de la majoritĂ© gouvernementale, Ă lâencontre du ministre de lâEconomie et des Finances, les soubresauts internes au parti qui agitaient un avant-congrĂšs aujourdâhui reportĂ© sine die⊠Salaheddine Mezouar entend se montrer serein. «âJâagis en homme libre, reconnaĂźt-il, jâavance selon mes convictions.â»
Ce dimanche matin, avant dâaffronter une journĂ©e qui le verra en matinĂ©e Ă Tanger et en fin dâaprĂšs-midi Ă SalĂ©, le prĂ©sident du RNI partage un rapide petit dĂ©jeuner avec son staff de campagne. Derniers conciliabules avec ses conseillers sur la salle qui lâattend dĂ©jĂ impatiemment.
Le cortĂšge sâĂ©branle pour gagner le meeting. Des convictions sur la Constitution, sur ce «âgrand rendez-vous dĂ©mocratique pour le paysâ», Mezouar en a Ă revendre. «âIl y a une vĂ©ritable adhĂ©sion au projet, commente-t-il, les gens sây intĂ©ressent. Ils veulent sâexprimer. Ils viennent pour le ââOuiââ. Oui Ă la Constitution. Oui Ă lâunitĂ©. Oui Ă la monarchie.â» Des convictions, donc.
Un rituel bien rodé
Et une salle tout acquise à la cause de cette consultation. Tanger a bien fait les choses. Sans doute se rappelle-t-elle que Salaheddine Mezouar a passé ici une grande partie de son enfance et de son adolescence.
Accueil chaleureux, embrassades, slogans scandĂ©s Ă rĂ©pĂ©tition, drapeaux ââcelui du parti ornĂ© de la colombe et le drapeau nationalââ agitĂ©s en tous sens. Portraits du roi abondamment distribuĂ©s et brandis Ă bout de brasâŠ
Le responsable tangĂ©rois du parti a du mal Ă contenir lâenthousiasme de ses troupes. Mezouar sâefforce dâenfiler le tee-shirt aux couleurs de sa formation que lâon vient de lui mettre en mains. Pas de chanceâ!
Offrir un tee-shirt small Ă lâancien capitaine de lâĂ©quipe nationale de basket pourrait constituer une erreur dâapprĂ©ciation. Mezouar en sourit, avant d'enfiler un tee-shirt de secours plus conforme Ă ses mensurations⊠Mais le rituel des meetings est dĂ©sormais bien rodĂ©.
Mot dâaccueil du responsable, «âcoordinateurâ» de lâĂ©tape. Lecture par un imam de versets du Coran. Hymne national, hymne du parti⊠la salle nâattend plus que Mezouar sâexprime, enfin. Mais il faudra encore patienter. A chaque Ă©tape, plusieurs intervenants prĂ©cĂ©deront le prĂ©sident du parti.
Pour exprimer leur choix qui au nom de la section locale, qui au nom dâune association, qui encore, comme Ă Tanger, au nom dâune dĂ©lĂ©gation du 20-FĂ©vrier originaire de TĂ©touan venue dire son adhĂ©sion au «âOuiâ» Ă la Constitution, et annoncer son ralliement au RNIâ!
Saleddine Mezouar, lui, observe. Ces longues minutes qui anticipent son intervention lui permettent de «âsentirâ» la salle. Et, dans un instant, dâadapter son discours au public qui lui fait face. «âJe ne prĂ©pare jamais de discours, confesse le patron du parti. Jâessaie dâadapter mon message en fonction du public. Urbain ou rural. Masculin, ou plus fĂ©minin. Sans oublier les jeunes, qui attendent beaucoup des Ă©volutions en cours.â»
Ces derniers le lui rendent bien, qui ne cessent de monter sur les chaises en clamant des slogans et en projetant des gradins des bulletins «âOuiâ» en autant de confettis qui submergent la salle. «âLe pays a besoin des jeunes. La force du Maroc, câest sa jeunesse. Une force qui doit ĂȘtre utilisĂ©e pour construire le pays, pas pour sâenfermer dans lâassistanat. La jeunesse doit ĂȘtre entreprenante.â»
Sâil ne dispose dâaucune note, Mezouar nâignore rien des messages quâil entend faire passer. Le fil rouge de son intervention est maĂźtrisĂ©. Il peut ĂȘtre Ă©nergique et dĂ©monstratif, comme Ă Tanger ou SalĂ©. Mais aussi, posĂ© et didactique, comme Ă KĂ©nitra ou MeknĂšs. Question dâambiance, question de public.
«âJe dois expliquer les bĂ©nĂ©fices attendus de cette Constitution. En quoi elle va changer la vie des gens. Comment ils vont pouvoir devenir des acteurs de la sociĂ©tĂ© nouvelle.â»
Et dâenchaĂźner ses «âconvictionsâ»⊠Le moment est «âhistoriqueâ» car la Constitution qui vient dâĂȘtre proposĂ©e «âcorrespond Ă lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ© marocaine. Nous devons avoir confiance pour assurer cette mutation. Le Maroc fait le choix de lâirrĂ©versibilitĂ© du choix dĂ©mocratique. Il nây aura pas de retour en arriĂšre. Sur un plan politique, câest fondamental.â»
Un taux de participation redouté
Les avant-bras appuyĂ©s sur le pupitre, balayant les militants du regard, Mezouar sâemploie Ă convaincre en dĂ©clinant les principaux articles de la Constitution. Islam, monarchie, unitĂ© nationale, irrĂ©versibilitĂ© de la rĂ©forme, des droits de lâhomme, de la paritĂ©, de la justice sociale, de la prĂ©Ă©minence des conventions internationales, Ă©largissement des prĂ©rogatives du Parlement, de la responsabilitĂ© du gouvernement dans la gestion des affaires publiques⊠aucun des grands articles nâest oubliĂ©. Le patron du RNI se veut pĂ©dagogue.
Chef de parti, ce nâest pas le «âNonâ» quâil redoute ââla victoire du «âOuiâ» est acquiseââ mais câest bien le taux de participation qui sera analysĂ©, dissĂ©quĂ© pour dire lâampleur, ou non, de lâadhĂ©sion des Marocains Ă leur nouvelle Constitution.
Les 37% de participation aux derniĂšres Ă©lections lĂ©gislatives ont laissĂ© des traces⊠Alors, Mezouar sâefforce de convaincre toutes les catĂ©gories dâĂ©lecteurs de se prononcer en faveur du «âOuiâ» en explicitant aussi clairement que possible un texte par essence ardu. «âCâest un moment de mobilisation trĂšs fort, explique t-il. Les militants ont besoin de sentir que le parti est prĂ©sent. Câest lâoccasion de construire une relation durable.â»
PĂ©dagogie
Une relation durable⊠Visiblement, MeknĂšs nâen attend pas moins. En ce lundi aprĂšs-midi, au plus fort dâune journĂ©e caniculaire, le prĂ©sident du RNI se sait doublement attendu. Les responsables locaux ont fait les choses en grand. 5â000 personnes patientent pour voir enfin les tĂ©nors du parti dans la grande salle des congrĂšs.
Moncef Belkhayat, Yassir Zenagui, Anis Birou accompagnent leur prĂ©sident. Ce rendez-vous est dâimportance. Câest ici que Salaheddine Mezouar devrait se prĂ©senter lors des prochaines lĂ©gislatives. Et cette campagne-lĂ sâannoncera dĂ©terminante, au lendemain de lâadoption de la nouvelle Constitution. «âLe jeu est ouvert. Il nây a pas de vainqueur prĂ©dĂ©terminĂ©.
Le RNI va Ćuvrer pour construire des alliances claires, sur un programme clair. Nous sommes dĂ©cidĂ©s Ă ne pas ĂȘtre un parti supplĂ©tif, qui complĂšte un gouvernement.â» Mais, pour lâheure, câest encore de pĂ©dagogie quâil sâagit de dĂ©ployer. AppuyĂ© au pupitre comme pour mieux communiquer encore avec une salle toute acquise au «âOuiâ», Mezouar rĂ©itĂšre un argumentaire dĂ©sormais Ă©prouvĂ©.
Demain, ce sera Marrakech. Puis les grandes villes du Sud. Campagne Ă©prouvante. Mais lâobjectif porte bien au-delĂ du 1er juillet. Et cela, comme tous les leaders des formations nationales, Mezouar lâa bien compris.
Henri Loizeau |