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Constitution Le dĂ©bat en cinq questions  
actuel n°100, vendredi 24 juin 2011
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Le texte étant tombé dans le domaine public, place désormais au débat, à certaines querelles… et à toutes les questions restées sans réponse.


***

Dites oui à la Constitution. Comme on s’y attendait, le roi s’est déclaré totalement favorable au projet constitutionnel qu’il a détaillé dans son discours du 17 juin. Deux jours après, plus exactement le 21 juin, en lançant la campagne pour le référendum, la majorité des partis ont exhorté leurs troupes à participer au référendum.

Le marketing y afférant aura été inédit : plusieurs grands meetings, des passages radio et télé avec interventions en direct de ministres, acteurs associatifs, dirigeants de parti... L’effort sera aussi porté sur la jeunesse avec des réunions prévues dans toutes les universités du Royaume.

Pour sa part, la campagne institutionnelle financĂ©e par le ministère de l’IntĂ©rieur entend ratisser large.  « Notre objectif est d’inciter les citoyens Ă  participer au rĂ©fĂ©rendum et Ă  s’exprimer librement sur la Constitution », explique un responsable au ministère de l’IntĂ©rieur.

Cette campagne de dix jours sera la plus cruciale du règne du roi Mohammed VI.  Pour son baptĂŞme de feu constitutionnel, le souverain est en face d’un vĂ©ritable test populaire parce qu’il s’agit lĂ  du premier rĂ©fĂ©rendum totalement transparent de l’histoire du pays.

Si la majorité écrasante des quarante-quatre formations politiques et syndicales ont clamé leur adhésion au projet de réforme, il n’en demeure pas moins que la CDT, le PSU, le PADS, le CNI et la Voie démocratique appellent au boycott.

Sans oublier les disciples de cheikh Yassine qui, eux, ont déjà démarré leur campagne anti-Constitution. Tacticiens, les adlistes n’ont pas appelé à voter « Non », car un « Non » minoritaire mettrait fin au mythe « d’une armée des adeptes de Yassine », mais ils insistent sur le boycott.

Paradoxalement, les premiers à applaudir au nouveau texte, ce sont les frères ennemis que sont l’USFP et le PJD. Abdelouahed Radi, secrétaire général de l’USFP, n’a pas caché sa joie du fait que « le projet proposé contient 97 des 100 propositions faites par le parti ».

Quant aux islamistes, ils étaient 90% à voter « Oui » pour la Constitution lors du Conseil national du parti. Sur les 142 membres du Parlement du parti, seuls 11 ont voté contre le projet et 4 se sont abstenus.

A peu près d’accord sur l’appel massif à voter « Oui », les chefs de la majorité ont désormais une question beaucoup plus délicate à régler : celle du leadership. L’impopularité de ces formations politiques risque de jouer à contre-courant quant à un « Oui » clair à la Constitution. Reste l’opération « Restore Hope » de Mohammed VI, qui jouit toujours d’un grand pouvoir de séduction sur la rue. En attendant, voici quelques réponses à des questions que nous nous posons, finalement, tous.

A.E.A.

 

Que cède véritablement le roi ?

On ne l’a pas assez souligné : la disparition des ministères de souveraineté est une véritable révolution dans l’exercice du pouvoir au Maroc. Que les ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères ou celui des Habous soient désormais choisis par le chef de la majorité met fin aux technocrates choisis par le Palais, qui n’avaient de comptes à rendre qu’au roi. Comme en Espagne, les membres du gouvernement sont nommés par le roi après proposition du chef du gouvernement.

Et dans tous les cas, le gouvernement n’est effectif qu’après un vote de confiance du Parlement. Une grande partie des pouvoirs du roi ont été transférés aux députés. Si le roi nomme un gouvernement ne répondant pas aux attentes du Parlement, celui-ci doit être dissout immédiatement.

Autre nouveauté, la disparition de la toute-puissance du fameux Dahir, épée de Damoclès sur la tête des responsables. Désormais, toutes les décisions du roi (promulguées par un Dahir) sont contresignées par le président du gouvernement.

Et la présidence du conseil des ministres, qui relevait de la chasse gardée du Palais, peut être déléguée au chef du gouvernement. Par ricochet, le chef du gouvernement aura la main sur plusieurs questions majeures, notamment les orientations stratégiques de la politique de l’Etat, la loi de Finances, le projet d’amnistie et la déclaration de l’état de siège ou de la guerre après délibération du conseil des ministres.

A.E.A.

 

 

Qu’est-ce qui a changé ?

Quelques jours avant le discours du roi, les islamistes, furieux de constater que la liberté de croyance faisait partie des points proposés dans le texte de la Constitution, sont montés au front, menaçant de la boycotter. La fièvre est tombée après le discours royal. Mohammed Moâtassim a cédé à la pression.

Si l’islam reste toujours la religion d’Etat, ce dernier devra veiller à son respect, tout en garantissant le libre exercice des cultes. Le roi est aussi président du Conseil supérieur des oulémas, la seule instance habilitée à émettre des fatwas officielles.

Cela dit, si la monarchie, comme la religion musulmane, « ne peuvent faire l’objet d’une révision constitutionnelle », la gestion du champ religieux apparaît comme nettement séparée de la sphère civile.

En effet, le pouvoir religieux du roi a été dissocié de son pouvoir temporel. Il est désormais bien marqué que le pouvoir d’« Amir al Mouminine » ne concerne que la sphère religieuse. C’est l’amorce d’une séparation subtile entre le sacré et le temporel.

A.E.A.

 

 

Que sont les baltajias ?

Les manifestations du 20-Février ont pris une autre tournure le dimanche 19 juin. A Casablanca, Rabat, Tanger, Safi et dans d’autres localités, des contre-manifestations ont été organisées une heure avant et au même endroit que les protestations du 20-Février.

A Casablanca, près d’un millier de personnes ont répondu à cet appel, drapeau du Maroc et photos du roi en main. actuel a pu constater la désorganisation et la violence dont ont fait preuve les contre-manifestants.

Une journaliste a été prise à parti par ces groupes qui l’ont qualifiée, entre autres, de « traître ». Elle a dû se réfugier dans une maison en attendant une intervention tardive de la police.

A Rabat, des militants du 20-Février ont été attaqués, rapportent des témoignages. Ibtissam Lachgar, une vingtfévrieriste, a été frappée, traînée par les cheveux et jetée dans un taxi.

Un journaliste étranger a, lui, été obligé d’embrasser une photo du roi avant d’être copieusement insulté. La foule de « baltajias » était surtout composée de jeunes, dont certains paraissaient sous l’emprise de psychotropes.

« Personne ne nous a envoyés manifester. On est ici pour dire « Non » aux traîtres du 20-Février. Le roi a parlé, ces gens doivent se taire car on sait que c’est des mangeurs du ramadan et des gens financés par le Polisario », lance un « pro-Constitution ».

Un autre nous raconte fièrement avoir « séquestré 15 personnes du 20-Février ». Selon nos constatations, les « baltajias » sont venues à l’appel d’associations, dont certaines affiliées à des partis politiques, mais aussi d’élus locaux, et certaines ont été encouragées par les autorités locales, selon des témoignages. Le ministre de l’Intérieur a, lui, nié toute implication dans l’organisation de ces manifestations.

Z.C.

 

 

A quoi sert le boycott ?

Le mouvement du 20-Février, les jeunesses ittihadies du 20-Février, le PADS, le PSU, le CNI et la centrale syndicale de la CDT ont tous appelé, non pas à voter « Non » au projet constitutionnel, mais à le boycotter. « L’objectif est de dire que cette Constitution n’est pas démocratique et qu’elle n’installe pas une monarchie parlementaire », explique Mohamed El Aouini, membre du bureau politique du PSU. « Les listes électorales n’ont pas été sérieusement revues. Il n’y a pas eu de débat autour du texte constitutionnel, qui a même été modifié trois fois sans qu’il y ait débat après la fin des consultations, etc. », explique-t-il.

En rejetant tout le processus, ces forces politiques ne veulent pas cautionner le futur texte et misent sur la non-participation qui a valeur de message politique. Et les critiques expliquant ce rejet ne s’arrêtent pas là.

Les partisans du boycott remettent en question aussi la campagne électorale jugée très courte et sans grande possibilité de débat. Ils auraient souhaité un même temps de parole sur les télévisions pour le « Oui » et le « Non », or l’Etat a décidé de répartir le temps de parole selon la représentativité des partis.

Z.C.

 

Changer les mentalités

Un texte, aussi révolutionnaire est-il capable de changer les mentalités, les pratiques ? La réponse va de soi : non. Sauf qu’un Etat de droit est d’abord un Etat qui met la suprématie de la loi au-dessus de toute autre considération.

La nouvelle Constitution posera bien sûr les jalons, mais il faudra du temps pour que les députés ripoux ne lorgnent plus sur la coupole, que les ministres habitués à se servir au lieu de servir prennent conscience de l’épée de Damoclès du contrôle parlementaire qui pèse sur leur tête, que les juges comprennent enfin que la justice aux ordres est désormais reléguée aux oubliettes de l’Histoire…

C’est toute une idéologie qui est à reconstituer. Un autre monde est bien sûr possible, mais les difficultés à aplanir sont immenses, au moment où une population largement dépolitisée n’arrive pas à construire l’intelligence collective qui manque si cruellement à ce pays.

A.E.A.

Encadré

Pendant ce temps, le patronat

Pas de doute, le patronat jouera le jeu jusqu’au bout et appellera à voter « Oui ». Et pour cause, les 18 recommandations formulées par la CGEM ont été retenues dans la mouture finale de la Constitution.

« Je dirais même que les dispositions contenues dans le texte vont au-delà de nos espérances. De ce fait, nous invitons les membres de la confédération à voter pour la réforme constitutionnelle et à prendre les dispositions pour permettre aux salariés d’aller voter », tient à préciser Mohamed Horani, président de la CGEM.

Tout en respectant la liberté de vote des membres, il met en avant les nouveautés du texte dans le domaine économique : liberté d’entreprendre, bonne gouvernance, transparence, indépendance de la justice, équité sociale et protection de la formation.

Autant de dispositions qui visent à améliorer le climat des affaires, à consolider les bases d’une économie sociale de marché et à drainer des flux d’investissements locaux et étrangers.

Oui à la liberté d’entreprendre, mais attention aux dérapages car pour évoluer dans des conditions saines et transparentes, l’environnement des affaires a besoin de garde-fous.

D’où la constitutionnalisation d’instances comme le Conseil économique, social et environnemental, le Conseil national des droits de l’homme, le Conseil de la concurrence ou encore l’Instance de probité, de la prévention et de lutte contre la corruption.

Toutes les instances de bonne gouvernance et de régulation sont donc désormais inscrites dans la Constitution, à l’exception de l’ANRT. Pour les analystes, il ne s’agit pas d’un oubli puisque le Conseil de la concurrence est là pour veiller aux respects des règles dans tous les secteurs, y compris les télécoms.

M.K.

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