Des tabassages systématiques des manifestants, un 20-Février que l’on dit au bord de l’implosion et qui n’échappe pas à certaines critiques, une Europe inquiète. L’exemplarité du printemps marocain se voit fragilisée.
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Que s'est-il passé dimanche 29 mai ?
Le week-end du 28 et 29 mai a connu son lot de manifestations interdites. A Rabat, un sit-in de protestation contre la répression policière a été dispersé à coups de matraque devant le Parlement.
Le journaliste et membre du 20-Février, Omar Radi, raconte qu’après avoir été frappé vers 16 heures lors de la dispersion, un policier l’aborde le soir, bien après la manifestation, le frappe puis lui dit : « La prochaine fois, je vais te briser le dos. Je me chargerai moi-même de te tuer et de t’enterrer. »
Le lendemain à Casablanca, le quartier populaire de Sbata est étroitement encadré par la police. Les manifestants réussissent à marcher par endroits et sont tabassés dans d’autres.
Des témoins rapportent la confusion qui a régné, entre des habitants qui ont soutenu les manifestants en huant la police et d’autres qui n’ont pas hésité à les insulter copieusement et à les frapper.
Que se passera-t-il le 5 juin ?
Le 20-Février se veut toujours présent, malgré la pression des autorités. Le dimanche 5 juin, une nouvelle série de marches est prévue au niveau national. Nouveauté : ce sera sous les couleurs de la coordination nationale des associations (une centaine) qui soutiennent le mouvement.
Le mot d’ordre sera « Non à la répression ». Ces manifestations seront-elles tolérées ? Les premiers indicateurs laissent penser le contraire : un sit-in organisé mercredi 1er juin par le 20-Février, devant le ministère de la Communication, n’a pas échappé au tabassage.
Tour de vis sécuritaire, le retour ?
Depuis le 15 mai, date du pique-nique sévèrement réprimé devant le « siège » de la DGST à Témara, l’Etat affiche zéro tolérance. Les marches du 22 mai sont matées, celles du 28 mai sont violemment dispersées à Rabat, Chaouen et Agadir.
L’histoire se répète le 29 mai à Casablanca et Tanger surtout, avec à chaque fois des dizaines de blessés. Désormais, tous les mouvements de protestation sont interdits et dispersés par la force.
Pour le vingtfévrieriste Hosni Al Mokhliss, « le Makhzen veut focaliser l’attention sur le matraquage et éviter le débat autour de la nouvelle Constitution ». Officiellement, les autorités ne tolèrent plus des manifestations non autorisées et qui impacteraient négativement l’économie.
Cette nouvelle donne a poussé les jeunes à adopter une nouvelle stratégie : manifester dans les quartiers populaires, même si nombre de voix à l’intérieur même du 20-Février estiment qu’il faut revenir aux grandes artères.
« C’est la seule manière pour nous de sauvegarder le mouvement de protestation et d’entraver la volonté du Makhzen de nous pourchasser », explique Najib Chaouki, du 20-Février Rabat.
Le 20-FĂ©vrier va-t-il imploser ?
Une des raisons avancées par le gouvernement pour justifier l’interdiction des manifestations du 20-Février est le risque de récupération islamiste. Le porte-parole du gouvernement, Khalid Naciri, explique que le 20-Février « est phagocyté par les islamistes et les mouvements de gauche », faisant référence à la gauche radicale et à Al Adl Wal Ihsane.
Des jeunes de l’USFP tentent aussi de peser au sein du mouvement. Pour Fathallah Arsalane, porte-parole d’Al Adl, « l’Etat répète le même refrain que les autres régimes arabes pour stopper l’élan de changement ».
Et de poursuivre : « Au début, l’Etat voulait décourager Al Adl en propageant les rumeurs sur l’athéisme des membres du 20-Février. Ils essayent maintenant de faire exploser le mouvement de l’intérieur. »
Les jeunes du 20-Février avouent que des dysfonctionnements existent, mais ne vont pas jusqu’à un contrôle exercé par une des composantes. « Après ces trois mois où l’on s’est fait connaître, je pense qu’il faut maintenant ouvrir un débat politique sur la future Constitution et synchroniser nos actions au niveau national », estime Hosni Al Mokhliss. De la capacité du 20-Février à maintenir le cap et à se renouveler dépendra l’avenir de ce mouvement.
Les anti-manifs, spontanés ou téléguidés ?
Cela a commencé à Sbata dimanche 29 mai. Des habitants ont manifesté… contre le Mouvement du 20 février. Argument : le chaos et la baisse des activités commerciales que les protestations entraînent dans le quartier.
Le même jour, à Rabat, plusieurs opérateurs économiques exprimaient leur colère contre « les dommages affectant leur activité en raison des manifestations et marches continues ».
Sur les boulevards Mohammed V et Hassan II, ces dommages se seraient traduits par un manque à gagner estimé entre 40% et 50%. Médias publics et officiels voudraient que ces marches soit aussi spontanées que justifiées. Mais bien des doutes planent sur ce registre.
Des témoignages recueillis à Sbata font ainsi part des tournées qu’élus locaux et moqaddems auraient effectuées, la veille de la manifestation, pour « recruter » des marcheurs et inciter les habitants à se désolidariser avec le 20-Février.
Le caractère local de ses sorties écarte la thèse d’un complot étatique. Mais encore faut-il éviter que ces événements ne contribuent à faire se retourner les Marocains les uns contre les autres.
Quid des autres ?
Ils ne se revendiquent pas du Mouvement du 20 février, ne plaident pas (forcément) pour des réformes politiques. Médecins résidents et internes, pharmaciens ou fellahs, bien des catégories professionnelles ne jurent désormais que par leur droit à la grève pour faire valoir leurs revendications.
Hasard de calendrier ou volonté de surfer sur le contexte actuel ? Pour l’acteur syndical Abdekader Azrie, cela pose d'abord le problème de l’encadrement des syndicats par leurs centrales.
« Auparavant, les mots d’ordre de grève étaient lancés par les centrales, qui prenaient en considération le contexte et la nature du secteur. Aujourd’hui, ce sont les secteurs qui décident », explique-t-il.
Il y a ensuite la mollesse qui a frappé certains départements à l’annonce d’élections anticipées. « Bien des revendications se sont heurtées à l’indifférence des ministères concernés, élections anticipées obligent », analyse Azrie.
Quels risques pour l’image du Maroc ?
C’est la première réaction du genre depuis le début des manifestations appelant aux réformes politiques et sociale au Maroc. La Commission européenne a exprimé lundi son inquiétude après les événements du dimanche.
« Nous sommes préoccupés par la violence dont il a été fait usage lors des manifestations au Maroc ce week-end », a déclaré, le lendemain, Natasha Butler, porte-parole du commissaire chargé de la politique de voisinage, Stefan Füle.
L’image positive dont a bénéficié le Maroc dans sa gestion des manifestations a-t-elle été entamée pour autant ? Pas en Europe, en tout cas, où la commission politique de l'Assemblée parlementaire vient de donner son feu vert pour que le Maroc soit un « partenaire pour la démocratie » de l’UE. La réaction de Butler ne vaut pas moins avertissement.
Zakaria Choukrallah et Tarik Qattab
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