Lâespace dâun mariage, la monarchie est devenue une « machine Ă fabriquer du rĂȘve ». Les Occidentaux sâinterrogent sur lâavenir de ce systĂšme politique.
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LâAngleterre a fait en sorte que le mariage princier mette en Ă©moi le monde entier. AprĂšs lâunion du prince William avec Catherine Elizabeth Middleton, le 29 avril, le Diamond Jubilee, en juin 2012, commĂ©morera les soixante annĂ©es de rĂšgne de la reine.
Sâensuivra une rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale de la cĂ©rĂ©monie de succession pour le trĂŽne. MĂȘme les funĂ©railles de la reine, qui vient de fĂȘter ses 85 ans, ont dâores et dĂ©jĂ Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©es sur un ancien aĂ©roport militaire.
Les 2 milliards de tĂ©lĂ©spectateurs ont Ă©tĂ© servis mais le plus surprenant, câest que les projecteurs braquĂ©s sur cette union royale auront provoquĂ© un vaste dĂ©bat sur lâavenir des monarchies dans le monde. Les pour, les contre, les oui mais⊠la presse, les blogs et le Web ont vibrĂ©, lâespace de quelques jours, aux sons et aux images de cet Ă©vĂ©nement sans doute dĂ©mesurĂ©ment vantĂ© par les mĂ©dias internationaux.
Et ce qui a peut-ĂȘtre Ă©chappĂ© aux media planners de la couronne britannique, câest que le cĂŽtĂ© people de lâĂ©vĂ©nement aura vite Ă©tĂ© Ă©vacuĂ© au profit de dĂ©bats plus sĂ©rieux sur lâavenir de la monarchie dans le monde, sa compatibilitĂ© avec la dĂ©mocratie, sa capacitĂ© Ă se fondre dans la modernitĂ©, etc.
« Rois désuets »
Dans ces dĂ©bats qui traversent lâOccident, la premiĂšre question rĂ©currente est celle de la compatibilitĂ© (ou non) des monarchies avec la dĂ©mocratie. La rĂ©ponse est en gĂ©nĂ©ral positive, mis Ă part quelques monarchies du Moyen-Orient considĂ©rĂ©es comme particuliĂšrement rĂ©trogrades.
Le journal lâHebdo qui sâinterroge sur «âLa monarchie, une idĂ©e moderneâ?â» nâhĂ©site pas Ă brocarder ces politiques qui trouvent «âles rois dĂ©suetsâ», les raillent comme «âdâemperruquĂ©s fin de race, des costumĂ©s au visage blanchi de vieille poudreâ».
A ceux qui ricanent Ă propos de la monarchie, lâauteur Christophe Passer oppose lâexemple de la Grande-Bretagne, premiĂšre dĂ©mocratie dans le monde. Au moment oĂč lâidĂ©e de nation est battue en brĂšche par la mondialisation, il sâavĂšre que les pays oĂč les monarques cristallisent lâamour de la patrie rĂ©sistent mieux aux partitions.
Il donne ainsi souvent lâexemple de lâEspagne oĂč «âle roi Juan Carlos 1er (73 ans) a permis lâĂ©closion de la dĂ©mocratie espagnole en rĂ©sistant au coup dâEtat militaire du 23 fĂ©vrier 1981. Il y a aussi la Belgique, oĂč lâactuel roi Albert II a rĂ©ussi jusquâĂ prĂ©sent Ă Ă©viter, ou du moins Ă retarder la scission dâun pays en proie Ă des dĂ©chirements communautairesâ».
Le journaliste sâinterroge par contre sur la lĂ©gitimitĂ© de nombreuses rĂ©publiques. «âVoyez lâItalie de Berlusconi et la SuĂšde de Carl Gustaf XVI, oĂč est lâhonnĂȘtetĂ© dĂ©mocratiqueâ? Entre Nicolas Sarkozy, sa France clanique, et la NorvĂšge du roi Harald V, quâest-ce qui est le plus lĂ©gitimeâ?â»
Les 4 premiÚres démocraties sont des monarchies
Argument imparable, le dernier classement de The Economist est souvent mis en avant. Si le monde ne compte plus que vingt-huit monarchies sur cent soixante-douze Etats indĂ©pendants, treize des vingt-cinq premiers pays ââselon le dernier classement 2010 par indice de dĂ©mocratieââ sont des monarchies.
Parmi les 167 pays analysĂ©s, lâhebdomadaire a rĂ©pertoriĂ© 26 dĂ©mocraties (full democracies) dont les quatre premiĂšres places sont raflĂ©es par quatre monarchies nordiquesâ: NorvĂšge, Islande, Danemark et SuĂšde respectivement, dont les notes vont de 9,80 Ă 9,50. Sur la base dâune sĂ©rie de questions qui vont du pluralisme aux droits de lâhomme, en passant par le fonctionnement du gouvernement, ou encore la participation politique.
La monarchie est Ă©galement mise Ă lâĂ©preuve de la laĂŻcitĂ©. De nombreuses voix craignent que la restauration dâun monarque mette en cause le fragile Ă©quilibre de la laĂŻcitĂ©, qui est lâun des actes fondateurs des sociĂ©tĂ©s politiques de nombreux pays europĂ©ens. Or la monarchie nâest pas inĂ©luctablement basĂ©e sur une lĂ©gitimitĂ© religieuse et, le cas Ă©chĂ©ant, elle ne menace pas forcĂ©ment la laĂŻcitĂ©.
«âLa fidĂ©litĂ© Ă la couronne et Ă la personne du souverain est plus facile Ă admettre de la part des citoyens, quelle que soit leur origine ethnique ou religieuse, que la rĂ©fĂ©rence Ă une ââidentitĂ© nationaleââ et Ă des ââvaleurs rĂ©publicainesââ dont on est bien en peine de dĂ©finir lâessenceâ», Ă©crit Joseph SavĂšs sur le site HĂ©rodote.
En France, le dĂ©bat sur la restauration de la monarchie est souvent tournĂ© en dĂ©rision par une grande majoritĂ© de la population. Si les monarchistes en France sont considĂ©rĂ©s juste comme de joyeux lurons, ils nâen sont pas moins actifs. A lâoccasion du mariage britannique, on les a beaucoup entendus.
Sur France Info, le 29 avril, Bertrand Renouvin, chef de file de la Nouvelle action royaliste rĂ©pondait Ă la question «âun roi, pour quoi faireâ?â» «âCe que les Britanniques vivent, câest cette relation simple Ă lâautoritĂ© politique. Il nâest pas possible de lâĂ©prouver dans notre paysâ», explique Bertrand Renouvin. Selon lui, le Premier ministre reprĂ©sente le pouvoir direct mais la Reine «âdonne sens Ă lâaventure nationale de la Grande-Bretagne, assure le lien socialâ».
DâaprĂšs lui, le monarque ne reprĂ©sente pas un danger pour la dĂ©mocratie car «âil se situe au-delĂ des partisâ». «âDans les monarchies constitutionnelles, le roi est un arbitre, dâailleurs la Grande-Bretagne est la mĂšre des parlements en Europe. En France, nous votons thĂ©oriquement pour avoir un arbitre mais, en ce moment, on voit que câest davantage un chef de parti qui mĂšne constamment campagne Ă©lectorale pour lui-mĂȘmeâ», ironise cet ancien candidat Ă la prĂ©sidentielle de 1974.
Fascination des Occidentaux
Sur cette question, le Nouvel Obs sâen tire avec lâhumour dĂ©capant dâun François Reynart qui se plaĂźt Ă imaginer «ânotre reine dâAngleterre Ă nous, M. Sarkozy. Le jour de Westminster, le pauvre ne sera pas Ă la noce car celle-ci le mettra face Ă une comparaison brutale. Dix jours Ă peine aprĂšs viendra une autre date, Ă©galement marquante dans lâhistoire du monde, le quatriĂšme anniversaire de son accession au trĂŽneâ»â!
En conclusion, câest Dominique MoĂŻsi qui a le mieux rĂ©sumĂ©, dans les colonnes du quotidien Ouest France, cette fascination toute neuve quâexerce dĂ©sormais la monarchie sur les Occidentaux. «âLes Français peuvent regarder avec un mĂ©lange dâamusement, de fascination et de nostalgie les rituels monarchiques de leurs voisins.
Les AmĂ©ricains, dont le prĂ©sident est entourĂ© dâune pompe toute monarchique, regardent, eux aussi, avec rĂ©vĂ©rence la couronne britannique. Les deux films anglais qui ont eu le plus de succĂšs aux Etats-Unis rĂ©cemment â The Queen et Le Discours du Roiââ ne sont-ils pas deux cĂ©lĂ©brations du systĂšme monarchiqueâ?â», sâinterroge ce conseiller spĂ©cial Ă lâIfri (Institut français des relations internationales).
Abdellatif El Azizi |