Si la monarchie parlementaire cristallise les débats du 20-Février, elle n’est pas la seule revendication des jeunes. Lors des dernières marches, les revendications propres à chaque région se sont multipliées. Florilège.
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Le 3 avril, les jeunes du Mouvement du 20 février ont à nouveau investi les rues. A Casablanca, ils étaient près de 10 000 à réclamer « une monarchie parlementaire », « l’abolition de l’article 19 », « la démission du gouvernement »… mais cette fois-ci, avec une originalité de taille.
Aux demandes de refonte de la Constitution se greffaient les slogans « Sajid dégage », « Lydec dégage » et même « Joujou dégage », en référence au vice-président du conseil de la ville, Mohamed Joudar, dont la photo côtoyait celle d’Ahmed Brija, autre vice-président dans le collimateur des manifestants.
Un constat s’impose : les revendications locales sont de plus en plus présentes, sans toutefois empiéter sur les réformes globales qui constituent la toile de fond.
« Si les services de la ville ne sont pas à la hauteur, c’est à cause des élus, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité », tempête Fettah Laïdi, membre du 20-Février de Casablanca. Il explique que les jeunes veulent « mettre encore plus l’accent sur les revendications sociales et économiques auxquelles le discours royal n’a pas répondu ».
« La Lydec n’investit pas assez, Casablanca est toujours la première ville en nombre de bidonvilles, les places dans les écoles publiques du quartier huppé d’Anfa se négocient contre du bakchich, les véhicules de M’dina bus sont dans un sale état, etc. », énumère-t-il encore.
La gestion déléguée de l’eau et de l’électricité est certainement le sujet qui fâche… et met d’accord tous les manifestants ! A Tanger, des jeunes ont fondé le « Mouvement pour défendre le compteur », appelant carrément au boycott du paiement des factures d’Amendis. La société est dans l’œil du cyclone, depuis le début des protestations, dans tout le Nord.
Gestion déléguée dans la mire
A Rabat, on ne dit pas autre chose et on en veut à Veolia « qui ne nettoie pas certains quartiers », tout en pointant du doigt « le problème d’anciens employés des bus toujours sans travail », nous dit Najib Chouki, de la section rbatie.
Ce dernier tient à placer le débat sur les dépassements locaux dans leur cadre global. « Il ne faut plus qu’il y ait de conflit de prérogatives entre les walis et les élus locaux, car ces derniers sont comptables devant les électeurs, contrairement aux cadres de l’Intérieur.
Aucun véritable contrôle n’est possible actuellement, et quand bien même, les audits de l’Intérieur restent secrets. On s’insurge aussi contre le fait que les rapports de la Cour des comptes aient été classés sans suite », explique-t-il.
A Marrakech, l’impunité est également au centre des débats. Selon Me Mohammed Ghalloussi, membre du 20-Février et président de la section locale de l’Instance nationale pour la protection des biens publics, « il faut des mesures accompagnatrices et commencer par traduire en justice les responsables de la dilapidation des biens publics ».
D’ailleurs, le vendredi 1er avril, un sit-in dans ce sens était organisé devant la municipalité de Guéliz. En plus de ce problème transversal, la ville ocre souffre, selon ce militant, d’une mauvaise répartition des richesses et des infrastructures.
« On vit un grave problème de logement lié au prix exorbitant du mètre carré. La ville dépend trop du tourisme qui enregistre une baisse d’activité en ce moment, ce qui impacte le marché de l’emploi. En plus, les infrastructures ne suivent pas, beaucoup d’avenues sont délabrées, en contraste avec le côté touristique. »
La « mainmise » du PAM sur le conseil de la ville gêne aussi le militant qui pointe, sur un autre registre, le dossier du marché de gros : « Les bénéfices du marché se sont accrus d’une dizaine de millions de dirhams sans que l’on sache d’ou provient cette manne soudaine. On exige une enquête. »
Piqûres de scorpions
Si les « vingtfévrieristes » citadins portent un intérêt de plus en plus grand aux lacunes locales, cette tendance était fortement présente dès le début dans les petites agglomérations.
Ainsi, à Fam Lehcen, une localité de 7 000 âmes située dans la région désertique de Guelmim-Smara, on réclame plus d’attention. Tout simplement. Originalité de ce petit bourg : ce sont en majorité des femmes qui mènent la fronde.
« Les femmes sont plus réactives car elles sont directement interpellées par l’absence de services : ce sont elles qui fréquentent le dispensaire médical (construit par des Japonais) dans lequel il n’y a que deux infirmières. Ce sont elles également qui paniquent à l’idée que leurs enfants se fassent piquer par des scorpions et ne trouvent pas l’antidote », explique Lahcen, « vingtfévrieriste » local.
Une autre spécificité des revendications de cette localité réside dans le refus du nouveau découpage régional. « On nous a rattachés au Souss alors que nous profitons actuellement des subventions octroyées aux habitants du Sahara », s’indigne Lahcen.
En définitive, si d’une région à l’autre, les demandes sociales sont différentes, elles se rejoignent néanmoins toutes sur un point : la fin de l’impunité et une gestion plus transparente et rationnelle.
Zakaria Choukrallah |