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AĂŻcha Mokhtari  
Actuel n°81, vendredi 18 février 2011
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Les « j’accuse »  du frère

Après le décès de Aïcha Mokhtari, en août 2009, d’un cancer qui l’a rongée durant près de deux ans, son frère a engagé une bataille juridique en vue de condamner de nombreux ministres pour « non-assistance à personne en danger ».


***

Il a déjà réussi à faire condamner Yasmina Baddou et Abbas El Fassi et il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Le tribunal administratif d’Oujda a répondu à la plainte de Abdelaziz Mokhtari en condamnant, en septembre dernier, le Premier ministre, Abbas El Fassi, et la ministre de la Santé, Yasmina Baddou, à payer 450 000 dirhams de dommages et intérêts pour non-assistance à personne en danger (article 430 du code pénal).

Cette Marocaine est décédée en août 2009 d’un cancer qui l’a rongée durant près de deux ans. Deux ans qui auraient dû être suffisants pour que la patiente, âgée de 52 ans, puisse être sauvée, selon la famille. Aïcha Mokhtari, dont le cancer avait été diagnostiqué en 2007, était suivie au centre d’oncologie HassanII à Oujda.

Face à son cas plutôt compliqué, les médecins recommandent une évacuation urgente vers un hôpital spécialisé en France. Mais le visa lui est refusé par le consulat de France à Fès, qui ne prend même pas la peine de motiver son refus. Depuis, Mokhtari s’est juré de « démasquer les assassins de sa sœur » !

 

« Arrogance des politiques »

Ce cadre bancaire BCBG passe désormais le plus clair de son temps à rédiger des courriers aux hommes politiques des deux côtés de la Méditerranée, instruit plainte sur plainte et compulse des dizaines de recueils juridiques pour déceler la faille qui permettra de faire condamner l’un ou l’autre des protagonistes de ce dossier. Abdelaziz Mokhtari se défend de réagir à chaud.

« J'ai appris à décrypter le message qui se cache derrière l’arrogance des politiques, comme il ne fait aucun doute que la France pratique une discrimination qui ne dit pas son nom », soutient le banquier, qui a des réflexes d'homme de terrain. L’affaire de sa sœur – scandale d’une mort programmée – l'arrime définitivement au concept de « discrimination par la condition sociale ou par l’argent ».

Au Maroc, il a promis de faire condamner la première responsable de la santé et son supérieur hiérarchique, le Premier ministre, avant de s’attaquer à l’ancien wali d’Oujda et au maire actuel de la ville, accusés également d’avoir mis au rebut le dossier de Aïcha Mokhtari au moment où ils devaient le transmettre à Rabat.

Le frère de la défunte a décidé de porter plainte contre l’État en les personnes de Abbas El Fassi et de Yasmina Baddou pour non-assistance à personne en danger. Il dispose en effet d’une batterie de correspondances adressées aussi bien à Baddou qu’au Premier ministre, en leur qualité de responsables gouvernementaux dont l’intervention officielle aurait changé le cours des choses. « Le 9 juillet 2008 à 20h30 précises, lors de sa visite à Oujda et en présence de son mari M. Fassi Fihri, directeur général de l’ONEP, j’ai remis, en mains propres, le dossier médical homologué de ma sœur à Yasmina Baddou qui m’avait assuré de faire le nécessaire », précise Mokhtari.

 

« Escroquerie »

Après avoir eu gain de cause contre les ministres concernés, Abdelaziz Mokhtari vient de s’attaquer à l’État français. Méthodique, rigoureux, l’homme a d’abord échangé plusieurs correspondances avec de nombreux responsables français, dont Nicolas Sarkozy qui lui a répondu à cinq reprises. En plus d’Hortefeux, Copé, Kouchner, Rama Yade, et bien d’autres encore.

Abdelaziz Mokhtari, qui accuse l’état français d’avoir refusé un visa à sa sœur Aïcha, parle « d’escroquerie ». « Comment appelez-vous l’opération qui consiste à encaisser une somme d’argent pour un visa que l’on vous refuse sans vous rembourser et de surcroît sans explication ? », s’indigne l’homme. L’administration française, à travers ses services consulaires au Maroc, est ainsi traînée devant la justice suite à une plainte déposée par le biais de l’avocat Wiliam Bourdon auprès du tribunal administratif de Paris.

L’affaire remonte à 2008, quand des médecins de l’hôpital d’oncologie d’Oujda expliquent à Aïcha Mokhtari que son cas nécessite une prise en charge urgente à l’étranger. Sur la base du certificat médical, en avril de la même année, Aïcha réussit à obtenir une hospitalisation à l’institut Gustave-Roussy à Villejuif, en France.

Sa demande de visa médical, déposée le 25 mars 2008, est refusée. Désespéré, le frère de la malade s’adresse en dernier recours au ministère de l’Immigration. La réponse tombe quelque jours plus tard, signée par le chef de cabinet de Brice Hortefeux. Pierre Castoldi constate « qu’aucune demande de visa au nom de Mme Aïcha Mokhtari n’a été récemment enregistrée, depuis la dernière demande de visa qui a fait l’objet d’un refus le 10 avril 2007. » Les Mokhtari, qui affirment que leur sœur n’a jamais effectué de demande de visa en 2007, en concluent que sa demande est tout simplement passée à la trappe puisque les services informatiques du consulat n’ont pas enregistré la requête d’avril 2008.

Toujours dans l’espoir d’arracher l’hospitalisation de Aïcha à Paris, les Mokhtari s’adressent à la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France. Qui ne fera que confirmer le refus du consulat en mai 2009. Le 31 mai 2010, en réponse à plusieurs articles parus dans la presse française, Bernard Kouchner commet une bourde supplémentaire : « Nous nous associons bien évidemment à la douleur de la famille Mokhtari.

Mais comme le dossier comportait des insuffisances, la famille de Aïcha Mokhtari a été contactée à plusieurs reprises par notre représentation consulaire à Fès pour des compléments d’informations, demandes auxquelles elle n’a pas donné suite. » Une thèse infirmée par la famille qui voudrait bien savoir par quels canaux le consulat les a contactés. Même la thèse de l’insuffisance de ressources financières, évoquée au passage par le consulat, n’est pas crédible puisque Aïcha Mokhtari avait adjoint une copie de l’attestation d’Isaaf Mondial Assistance, témoignant de l’existence d’un contrat en son nom, qui garantissait ses frais médicaux à hauteur de 30 000  euros.

Une année avant la réponse de Kouchner, la mort aura été plus clémente envers Aïcha qui a cessé de souffrir, après un combat inégal contre la bureaucratie locale et le tour de vis sécuritaire de la patrie des droits de l’homme. Pour son frère, le combat ne fait que commencer.

Abdellatif El Azizi

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