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TĂ©lĂ©, Al Jazeera montre les crocs
Actuel n°67, samedi 30 octobre 2010
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De procès en procès, les relations entre Al Jazeera et le Maroc sont au plus bas. A la grande joie des Algériens qui ont réussi à verrouiller le journal du Maghreb après la suspension du bureau de Rabat.


***

Jusqu’où ira le bras de fer entre Al Jazeera et les autorités marocaines ? Pour l’instant, la chaîne qatarie a été déboutée par le tribunal administratif de Rabat, le 5 octobre dernier, dans sa plainte contre le Premier ministre et le ministre de la Communication pour « refus d’accréditation de deux de ses journalistes ». Al Jazeera, qui a fait appel de ce jugement, compte bien montrer jusqu’au bout sa volonté d’en découdre avec les Marocains. En témoigne ses couvertures à répétition des activités du Polisario et le peu de cas que la chaîne fait des informations appuyant les thèses marocaines. Le meilleur exemple étant l’absence de couverture de l’affaire Ould Sidi Mouloud qualifiée par les responsables de la chaîne de « non-événement ».

La crise qui couvait depuis bien longtemps ne date pas d’hier. Des sources font remonter le début de la querelle à fin 2007, date à laquelle Alger avait réussi à placer au sein du bureau d’Al Jazeera, à Rabat, un journaliste algérien venu spécialement de Doha. Une fois sur place, Nacer Allaoui, qui avait été « bombardé » rédacteur en chef de l’édition Maghreb, avait définitivement verrouillé le JT sur le Maghreb. Le reportage de l’arrivée d’une centaine de ralliés au Maroc, en 2008, avait été éludé et, depuis cette date, la chaîne n’a cessé de défendre les thèses algériennes relatives au Sahara. Le chef du Polisario est abonné au plateau de la chaîne et tous les prétextes sont bons pour provoquer les autorités marocaines. « C’est là l’atout et la faiblesse d’Al Jazeera. La liberté donnée aux journalistes de confectionner leur reportage en toute indépendance peut avoir des conséquences graves quand l’information est carrément orientée dans un sens ou un autre par ces mêmes journalistes », explique un journaliste marocain de la chaîne.

Summum de la crise

La crise a atteint son summum, en juillet 2008, avec le procès du responsable du bureau d’Al Jazeera à Rabat et d’un militant des droits de l’Homme qui lui avait servi d’informateur. Hassan Rachidi, chef du bureau local de la chaîne qatarie, et Ibrahim Sebaâ El Layl, président du Centre marocain pour les droits de l’Homme, avaient été accusés de « diffusion de fausses informations et de complicité ». Le gouvernement marocain avait retiré l’accréditation de Rachidi après la diffusion d’un reportage affirmant qu’entre six et dix personnes avaient été tuées lors des manifestations organisées le 7 juin dans la ville de Sidi Ifni alors qu’il n’y avait eu aucun décès parmi les manifestants. Dans la foulée, Le Journal du Maghreb avait été suspendu.

A l’époque, le ministre de la Communication, Khalid Naciri avait tenu à préciser que « ce programme était suspendu et non interdit en attendant que la chaîne de télévision régularise sa situation juridique». Pour des raisons techniques, l’Agence nationale pour la régulation des télécommunications (ANRT) avait notifié à la chaîne la suspension de l’utilisation des fréquences de transmission qu’elle utilisait pour la diffusion de ses programmes.

La chaîne diffusait grâce à des autorisations de diffusion provisoires de trois mois qui étaient renouvelées en attendant la régularisation de sa situation. Mais ce qui avait laissé planer des doutes sur l’argument avancé à l’époque par les autorités de tutelle, c’est que la décision tombait au moment où les relations avec la chaîne étaient au plus bas.Pour Khalid Smouni, le président du Centre marocain des droits de l’Homme, « l’affaire n’aurait pas dû en arriver là : la succession des procès et la condamnation à 50 000 dirhams pour le militant de l’organisation de défense des droits de l’Homme et pour Hassan Rachidi, le directeur du bureau d’Al Jazeera à l’époque, qui est aujourd’hui en cassation. Une information donnée dans le feu de l’action qui se révèle fausse ou incomplète, cela arrive dans toutes les télés du monde. En général, un simple démenti suffit. La chaîne a bien relayé la désapprobation du gouvernement concernant les évènements d’Ifni mais sans faire de démenti clair et net. Et c’est peut-être, ce qui a provoqué la colère des autorités», précise Cherkaoui.

Fallait-il en arriver là pour autant et claquer la porte à la chaîne qui fait trembler l’Amérique et dont l’audience dépasse de loin CNN ? On peut penser ce que l’on veut de la ligne éditoriale d’Al Jazeera ; on peut s’interroger sur les liens supposés ou réels de la chaîne avec les terroristes ; on peut trouver douteux le temps de parole accordé complaisamment à tous les barbus radicaux du globe, il n’en reste pas moins qu’Al Jazeera est une chaîne avec laquelle il faut désormais compter. Honnie par la plupart des chefs d’Etat arabes, crainte par ceux de l’Occident, décriée par les autres, la chaîne de télévision qatarie est au cœur de « l’événement » comme le dit si joliment son slogan.

Un des médias les plus influents au monde

Depuis qu’elle a démarré sa diffusion en 1996, Al Jazeera s’est imposée pour figurer aujourd’hui sur la liste des dix médias les plus influents au monde, caracolant en tête des diffusions dans le monde arabe et musulman. Sur quoi repose la notoriété de la chaîne ? Sur les principes universels de l’audimat : le choc des images et le buzz créé par des personnages controversés.

Al Jazeera, qui ne craint pas d’envoyer ses journalistes au charbon en couvrant toutes les guerres, a perdu en un temps record, une bonne douzaine de ses meilleurs reporters, tirés comme des lapins en Irak et en Afghanistan ou tout simplement envoyés derrière les barreaux pour les faire taire. Un de ses cameramen, Sami Al-Haj ,est détenu depuis 2002, dans la base militaire de Guantanamo, alors que l’ancienne vedette, Taysir Allouni, auteur du fameux entretien au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001, avec Oussama Ben Laden, a été condamné à sept ans de prison en Espagne pour des liens « imaginés par la CIA » avec l’organisation al-Qaïda.

Oussama Ben Laden, le mollah Omar, Hassan Nasrallah, Abbassi Madani, Hassan Tourabi, Donald Rumsfeld, Hugo Chavez et tous ceux qui comptent, ont fait un passage sur les plateaux d’Al Jazeera. Résultat, rares sont les Etats arabes qui résistent à l’envie d’en découdre avec la chaîne la plus crédible du monde arabo-musulman. Au Maghreb, ni l’Algérie ni la Tunisie n’ont permis l’ouverture d’un bureau de la chaîne, et les deux pays n’accordent toujours pas d’accréditation à ses correspondants.

Avec le régime saoudien, c’est la rupture totale depuis 2003, les autorités saoudiennes interdisant à Al Jazeera l’accréditation pour couvrir le pèlerinage à La Mecque, un évènement apolitique par excellence. On se souvient aussi de ses révélations sur le scandale d’Abou Ghraib. C’est la première chaîne dans le monde à avoir diffusé, en exclusivité, les images des pratiques inhumaines des soldats américains sur les prisonniers irakiens.

Une situation problématique

Dans ce pays, las d’assassiner les reporters de la chaîne, les Américains, accusant Al Jazeera d’attiser des sentiments anti-américains dans sa couverture des événements, ordonnent au gouvernement de fermer le bureau de la chaîne. Le bureau d’Al Jazeera à Baghdad a été fermé le 7 août 2004 après la diffusion d’un communiqué qui justifiait la décision par la volonté de « protéger le peuple d’Irak » ! Ça se passe également très mal avec les Iraniens. L’Iran a mis en garde à plusieurs reprises le bureau d’Al Jazeera à Téhéran. En novembre 2004, Téhéran a menacé de fermeture la chaîne si elle ne retirait pas de son site Internet une caricature jugée insultante. On le voit, la situation de la chaîne dans de nombreux pays est encore plus problématique qu’au Maroc.

C’est pour cela que le Royaume a tout intérêt à chercher un arrangement à l’amiable avec Al Jazeera, afin de consolider une évolution de la liberté de la presse en dents de scie, certes, mais bien réelle. Car il vaut encore mieux pour un journaliste exercer dans notre pays qu’en Algérie où subsistent toujours de véritables interdits, des sujets tabous, ou encore en Tunisie où la presse est toujours la voix de son maître.

Abdellatif El Azizi

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