Depuis quelques années, le régime algérien tente de mettre la main sur des zaouïas qui font allégeance au Maroc. Retour sur une guéguerre, imprégnée de maraboutisme, où le spirituel reste accessoire.
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C'est désormais un rituel bien rodé : à chaque fois que l’occasion se présente, la machine médiatique de la Mouradia se met en branle. Cette fois, c’est la cérémonie d’investiture du « nouveau calife mondial de la confrérie tijania » à Aïn-Madhi, dans la province de Laghouat, que les caméras de la télévision officielle d’Alger ont immortalisé, zoomant allègrement sur le ministre des Affaires religieuses, sur un conseiller proche de Bouteflika et sur de nombreux représentants étrangers (Libye, Soudan, Gambie, Niger, Tunisie, Mauritanie et Sénégal). Le problème, c’est que la même obédience soufie a déjà un chef : Mohamed Al Kabir Ibn Ahmed Tijani, nommé par dahir par Mohammed VI en 2009, en tant que cheikh de la tariqa tijania, « toutes zaouïas confondues » comme le stipulait le communiqué officiel. Pourquoi cette surenchère autour d’une confrérie dont la majorité des adeptes se trouve à Fès, lieu où est inhumé son cheikh ? « L’instrumentalisation politique du soufisme pousse aujourd’hui l’Algérie à tenter de s’accaparer l’influence géostratégique de la tijania sous prétexte que le maître de la confrérie est né en territoire algérien. Ce qui ne veut rien dire, puisqu’à l’époque, les frontières entre les pays du Maghreb n’étaient pas encore clairement définies » précise Mohamed Darif.
Un rĂ´le historique et politique
Si en Algérie, l’amour de Bouteflika pour les confréries est récent, au Maroc, l’histoire du soufisme se conjugue avec celle des zaouïas, les sultans se contentant de doser l’équilibre entre l’orthodoxie des oulémas et le culte plus souple des confréries religieuses. Historiquement, les zaouïas ont tenu un rôle politique et social essentiel. Le problème s’est posé une première fois au début des années 60 quand Hassan II a voulu combattre les marxistes léninistes, et au début des années 80, quand il a fallu faire face à la menace chiite de Khomeini. C’est là où, plutôt mal conseillé, Hassan II avait ouvert la porte au wahhabisme dont les pétrodollars ont servi à financer des mosquées et ont « boosté » l’enseignement du salafisme radical dans les écoles coraniques du pays.
« La nomination d’Ahmed Toufiq, (membre influent de la tariqa boutchichiya) comme ministre des Habous et des Affaires islamiques, en 2002, prouve que le pouvoir cherche aujourd’hui à étatiser le soufisme, base essentielle de la personnalité musulmane marocaine », rappelle Mohamed Darif. Pour le politologue, la stratégie religieuse de Mohammed VI est dictée par l’actualité post 11 Septembre. « Si Hassan II a tablé sur les Salafistes pour faire face aux islamistes chiites de Khomeini, Mohammed VI table lui sur le rayonnement et la capacité de mobilisation des confréries pour faire face à ces mêmes salafistes. » L’exemple marocain, où le soufisme a bloqué l’expansion du salafisme radical, semble inspirer aujourd’hui l’Algérie. Quand Bouteflika a lancé la politique de réconciliation, il a voulu retrouver un islam libéral qui pourrait faire face au radicalisme religieux. Sans oublier que les Etats-Unis mettent la pression sur les pays arabes pour l’éclosion d’un islam soft. Les zaouïas, hier encore dénoncées pour leur archaïsme religieux et social, sont devenues un instrument commode de pérennisation du système. Le pouvoir politique a enfin compris le rôle de repoussoir qu’elles pourraient jouer pour contrebalancer l'avancée de l’islamisme extrémiste qui menace l’existence même du système politique en place. La création de l’association des zaouïas d’Algérie, qui a pour rôle de redonner ses lettres de noblesse à l’islam traditionnel algérien, a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir, en 1999, du président Bouteflika.
Jusque-là totalement marginalisées, les zaouïas qui bénéficient toujours d’une implantation territoriale très large et d’une réelle influence sur les populations, ont été ainsi valorisées pour être utilisées comme rempart contre la prédication salafiste, qui a donné naissance au FIS avant de plonger l’Algérie dans un bain de sang.
Abdellatif El Azizi |