Où est passée la gauche ? Depuis quelque temps, on n’entend plus parler que du PAM et du PJD.
***
Où est passée la gauche ? Face à l’activisme du PAM et aux sorties programmées du PJD, les partis de gauche se sont murés dans un silence sidéral. Sahara, régionalisation, rentrée politique, perspectives électorales à l’horizon 2012, rien ne semble troubler le sommeil profond des autres formations de gauche. De temps à autre, une polémique interne nous rappelle que les socialistes sont toujours en vie. Vers la mi-août, un article incendiaire de la lettre électronique Ittihadi, animée par Ali Ghanbouri, un activiste de la chabiba, faisait sortir le bureau politique de sa torpeur. Ittihadi s’attaquait alors à des dinosaures du parti tels que Driss Lachgar, ou encore Fathallah Oualalou, maire de Rabat, tous deux membres du bureau politique. L’intervention de Abdelouahed Radi auprès de Jamal Aghmani, ministre de l’Emploi, pour qu’il « punisse » Ali Ghanbouri qui travaille sous ses ordres, a eu pour seul effet de faire enrager les jeunes loups de l’USFP sans pour autant éteindre le feu puisque la jeunesse socialiste a promis de rendre coup pour coup.
Le PPS est occupé à parader
Quant au PPS, trop occupé à parader à la fête de l’Huma qui s’est tenue le week-end dernier à Paris, ses dirigeants n’ont pas encore trouvé le temps de s’occuper de la politique locale. A l’exception de Nouzha Skalli qui a lancé le débat sur le quota des femmes pour les législatives pendant le ramadan, le moins que l’on puisse dire, c’est que les ministres qui émargent à gauche ne brillent pas particulièrement par leur dynamisme. Au contraire, quand un Himmich se fait remarquer, c’est pour ses sorties déplacées ou encore pour des polémiques stériles avec les artistes et autres écrivains. Dans la plupart des cas, les ministres socialistes sont restés partisans d’un discours idéologique qui ne mange pas de pain.
D’une manière générale, ces responsables ont failli et des départements aussi importants que ceux de la justice et de l’éducation pâtissent aujourd’hui de plusieurs décennies de pouvoir socialiste. Jamais dans l’histoire du pays, ces deux départements ne sont descendus aussi bas. « Et le pire dans tout cela, c’est que des individus qu’on n’a jamais vus au parti, ont reçu l’onction socialiste, la veille de leur nomination, juste pour être bombardés ministres, alors que tout le monde se rappelle les basses manœuvres d’un Elyazghi pour décrocher coûte que coûte un poste dans le gouvernement. Qui a entendu parler de l’homme depuis ? », s’indigne un vieux militant ittihadi.
Même déliquescence au niveau de la politique locale. Malgré la bérézina des communales et les résultats médiocres des législatives, on croyait la gauche encore capable de se tenir debout mais les échos des communes font remonter des informations inquiétantes pour l’avenir de ces formations au niveau local. Pour Abdelmajid Gouzi, patron d’Al Ichrak, un journal régional de Fès, la gauche fait profil bas depuis les dernières échéances électorales. « Mohamed Debbagh, ex-parlementaire de l’USFP, Mohamed Khaddouri, ex-député de la même formation, se sont mis à l’écart ; on n’entend plus parler d’eux et au niveau de Fès, l’USFP semble avoir entamé sa traversée du désert. » D’autres observateurs vont encore plus loin accusant Chabat de contrôler les élus de gauche. Toujours à Fès, de jeunes loups surnommés ironiquement « la police scientifique » en raison de leur dextérité en matière de nouvelles technologies roulent pour Chabat tout en continuant à émarger dans les partis de gauche. Toujours à Fès, des profils comme Hassan Boucenna, ex-PPS, ont été récupérés par le PAM. Même topo à Mohammédia où la plupart des élus de la gauche se sont réfugiés au PAM.
Au profit des islamistes
La chute de représentativité est similaire au niveau de l’université : l’âge d’or de l’UNEM, orchestré par les socialistes, appartient désormais au passé. La gauche a perdu le campus au profit des islamistes du PJD (Wahda Wa Tawassoul), d’Al Adl Wal Ihsane et des étudiants de l’extrême gauche d’Annahj Addimocrati.
La gauche divisée ? Oui, les dissensions et autres démissions se multiplient mais le plus grave, c’est que les socialistes ne représentent plus cette force de proposition et d’initiative qui faisait leur succès il y a quelques décennies. Bien que des militants comme Kamal Lahbib ne soient pas aussi catégoriques et ne cachent pas leur souhait de construire une force inédite qui se positionnerait sur le clivage opposant non pas tant la gauche et la droite mais altermondialistes de diverses sensibilités et capitalistes sauvages. Il récuse le procès fait à la gauche dont les militants, précise-t-il « ont déserté les formations partisanes, rejetant le discours de leaders embourbés dans le marais des compromissions, pour venir grossir les rangs de la société civile ». Pour cet ex-prisonnier politique et secrétaire général du Forum des alternatives Maroc, si la gauche partisane est en train de mourir de sa belle mort, le débat est toujours d’actualité ailleurs. « Chez nous au Forum social, ce sont des sensibilités de gauche qui proposent désormais des alternatives au capitalisme sauvage. Nous, en tant qu’altermondialistes, nous avons tous des parcours et des visions politiques différents mais nous sommes, pour la grande majorité, de sensibilité de gauche. Chaque groupe essaie d’apporter des réponses très différentes à des problématiques identiques. Nous militons toujours pour un monde équitable, solidaire, démocratique, pour l’écologie, le bien-être des individus et des collectivités ; nous sommes contre la guerre, l'impunité... A la seule différence, c’est qu’il ne viendrait à l’idée de personne de transformer le Forum social mondial en organisation de gauche avec un bureau politique. »
Il cite, pour exemple, la démocratie participative dans les pays d’Amérique latine, où c'est la gauche qui dispose vraiment de la réactivité la plus saine pour en finir avec l’exclusion sociale produite par la concentration du capital. Mais le Brésil n’est pas le Maroc... Et ici ce n’est pas le Pérou !
Abdellatif El Azizi |