La mort de jihadistes marocains en Mauritanie et en Irak remet à l’ordre du jour le dossier des Marocains d’Al-Qaida. Le point sur une filière marginale mais très active.
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Abdel Ali Chaïri fut un lion, un combattant courageux. » C’est ainsi que décrit le site d’« Al-Qaïda aux pays du Maghreb » ce Tangérois ayant péri le 22 juillet dernier dans l’opération militaire, menée conjointement par les armées française et mauritanienne. Quant à Abou Oussama Al Maghribi et Abou Soufiane, ils ont défrayé la chronique en se faisant exploser en Irak à la même période. Selon les révélations au journal Al Khabar d’un jihadiste algérien qui les a côtoyés, il y aurait encore plus d’une dizaine de Marocains dans les rangs d’Al-Qaida en Irak. Les deux Marocains, identifiés par Al-Qaida sur un site jihadiste, ont été recrutés à partir de l’Europe.
Selon une source diplomatique, il existe plus de 40 jihadistes marocains dans les prisons irakiennes, le Camp Cropper, celui de Taji et le centre d’internement de Camp Bucca, près de Basra, fermé en septembre 2009. La majorité d’entre eux ont été arrêtés par les autorités irakiennes, les forces américaines ou multinationales. Sept jihadistes marocains se trouvent actuellement en prison à Kirkouk entre les mains des forces armées de la région autonome du Kurdistan. Selon la même source, chaque jihadiste marocain capturé en Irak est signalé au bureau du CICR à Bagdad et à Kirkouk. Le CICR les signale à son tour aux autorités de leur pays d’origine ou celui de leur seconde nationalité car la majorité des jihadistes marocains d’Irak jouissent de la double nationalité marocaine et européenne (France, Belgique, Italie…).
En février 2008, Adil Loghlam, un Marocain arrêté par les services libyens et extradé vers le Maroc, avait révélé des connexions étroites entre les membres des cellules jihadistes pour l'envoi de volontaires en Irak et dans les rangs de la branche maghrébine d'Al-Qaida. La même année, Adil Loghlam avait été condamné à quatre ans de prison ferme. Selon l'acte d'accusation, cet individu était en contact avec le Tunisien Abdelhadi Messahel qui purge une peine de 15 ans de prison ferme pour actes de terrorisme. Il avait réussi à rejoindre la Turquie et ensuite la Syrie pour retrouver les groupes jihadistes en Irak, avant de retourner en Libye où il a été arrêté et extradé vers le Maroc.
De nombreuses ramifications
Le Tunisien serait alors entré en contact à Casablanca et à Salé avec des membres présumés d'une mouvance intégriste, tous candidats potentiels et volontaires pour rejoindre un groupe jihadiste en Irak. Abdelhadi Messahel est considéré comme le cerveau du groupe.Il s’agit de huit Marocains, un Tunisien et un Algérien, accusés d'être en relation avec un Algérien dénommé Amir Laaraj, alias « Salim El Ouahrani », qui leur facilitait les rencontres avec des membres du GSPC (Groupe algérien salafiste pour la prédication et le combat), devenu depuis Al-Qaida au Maghreb islamique. A l’époque, la justice marocaine leur avait reproché de planifier un attentat contre l’ambassade américaine à Rabat à travers un tunnel. Une accusation qu'ils avaient niée, tout en affirmant ne pas être au courant de ce projet terroriste. Selon les PV de la police, cette mouvance, qui aurait de nombreuses ramifications au Maghreb et en Europe, entretenait des rapports avec le GSPC.
Elle était accusée notamment d'avoir tenté de « recruter » des « volontaires marocains » pour mener le jihad en Irak. Données confirmées par les informations publiées en 2009 par un rapport américain qui avait révélé l'identité d'une trentaine de Marocains originaires presque tous de Casablanca et précisément du quartier Oulfa, embrigadés sous les couleurs de « l'Etat islamique d'Irak », un groupe similaire à Al-Qaida au Maghreb.
Le 15 novembre 2007, la Cour d'appel de Salé avait confirmé la peine de 15 ans de réclusion prononcée en première instance contre Abdelhadi Messahel. Il y a quelques semaines de cela, des agents des services marocains ont fait le déplacement de Amman vers Bagdad et Kirkouk pour prendre note des derniers Marocains capturés en Irak. Depuis le déclenchement de la guerre en Irak en 2003, les services marocains (DGED et DGST entre autres) avaient d’ailleurs recensé plus de 80 personnes ayant quitté le pays avec l'intention d'aller combattre en Irak. Dix d’entre elles ont été tuées dans des attentats-suicides dont Jamal Ahchouchi, 25 ans, originaire du quartier Jamaâ Mezouak à Tétouan et qui s’est fait exploser le 28 octobre 2007 à Bagdad.
Des jihadistes au sort incertain
Selon une source proche du dossier, le sort des jihadistes marocains détenus en Irak demeure incertain ; ils sont rarement extradés vers le Maroc sauf ceux qui sont capturés en Syrie ou en Jordanie. Le Maroc ne disposant plus de représentation diplomatique à Bagdad, c’est l’ambassade du Maroc à Amman qui s’occupe du dossier Irak ainsi que du volet renseignement et liaison avec les services étrangers en Irak. La seule façon de les transférer au Maroc reste les vols secrets de la CIA.
Tortures et méthodes musclées sont le lot des jihadistes qui tombent entre les mains des irakiens. « Ils ont été entraînés par la CIA et les procédures sont calquées sur Guantanamo », affirme notre source. Le scandale de la prison d’Abou Gharib n’est pas si loin.
Mohamed El Hamraoui |