L'affaire Benallou et le dossier El Ferrah font ressurgir les vieux démons régissant les rapports entre argent et politique. Ces scandales au caractère pénal risquent d’éclabousser plusieurs partis politiques.
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Quel est le point commun entre les cigares de Benallou et les « virements occultes » de Mohamed El Ferrah ? Dans les deux cas, on ne sait pas à qui étaient destinés les « petits cadeaux » en nature ou en espèces. C’est ce que cherchent à savoir les juges qui épluchent le dossier de l’ancien patron de l’ONDA et celui de l’ex-président de la MGPAP. Mardi dernier, le juge d'instruction Abdelkader Chentouf a ainsi décrété la saisie des biens mobiliers et immobiliers de Mohamed El Ferrah en rapport avec une affaire de détournements qui porte sur quelque 700 millions de dir-hams. L'ex-président de la Mutuelle générale du personnel des administrations publiques qui est soumis à des auditions marathoniennes est pour l’instant poursuivi en état de liberté provisoire. Mais au vu du dossier brûlant de la Mutuelle générale, l’affaire revêt un caractère pénal. En attendant, le juge a saisi au passage les départements de l’Emploi et des Finances ainsi que la Mutuelle et ses fournisseurs privés. L’ex-patron de la MGPAP est soupçonné de s’être généreusement servi, utilisant les fonds publics à des fins privées. Il faisait notamment virer des millions de dirhams sur le compte de diverses associations telles que l’Association des maladies chroniques (Amason) dont il assurait également la fonction de trésorier, comme il se permettait d’acheter des bâtiments – à des prix faramineux – au nom de la Mutuelle, sans l’autorisation du ministère de tutelle. Cerise sur le gâteau, le personnage qui est également maire d'Essaouira, s’est vu refuser récemment, par le gouverneur de la ville, le transfert de près d’un million de dirhams pour le compte de l'association sportive dont il est président.
Quant à Benallou, il comparaît aux côtés d’une bonne dizaine de responsables pour s’expliquer sur l’évaporation de plusieurs millions de dirhams des caisses de l’ONDA. En plus des cigares achetés par l’Office, ce sont les marchés passés dans des conditions douteuses qui intéressent aujourd’hui la justice. La construction des terminaux a notamment connu des irrégularités flagrantes. Nombre de marchés de l’ONDA apparaissent en effet suspects. En témoigne le poste pourtant mineur des « uniformes des employés de l’Office » dont la facture s’élevait à 675 000 dirhams en 2003 et qui est passé à 27 millions de dir-hams en 2007 alors que le nombre des employés n’a pratiquement pas augmenté ! Des combines pour améliorer les fins de mois, des détournements effectués dans une impunité totale. L’affaire Benallou et le dossier El Ferrah font ressurgir les vieux démons régissant les rapports entre l'argent et les politiques.
Faire tomber de gros bonnets
Certains « scandales » ont attendu le feu vert politique et l’accord entre les partis au pouvoir pour éclater au grand jour ; c’est autant le cas pour l’affaire Benallou que pour le dossier sulfureux d'El Farrah. Ce dernier, parlementaire d’Essaouira sous les couleurs de l’USFP, est considéré comme étant le numéro deux de la puissante centrale syndicale de Noubir El Amaoui. Il a toujours menacé de faire tomber de gros bonnets partisans si on cherchait à le faire passer à la barre. Tous les ministres qui ont essayé de demander des comptes à « l’homme fort de la CDT » se sont cassés les dents. Jettou en a fait l’amère expérience alors que Mustapha El Mansouri, qui était alors ministre de l’Emploi, avait cherché à maintes reprises à ouvrir une enquête sur les dépassements d’El Farrah, sans succès. L’homme avait non seulement de solides appuis au sein de la hiérarchie du parti de Abdelwahed Radi mais, de plus, dès qu’on lui cherchait noise, il mettait en branle ses troupes, menaçant le gouvernement d’une grève générale. En février 2009, à la Chambre des conseillers, le ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle s’était défendu en expliquant qu'une « commission de l'IGF était chargée d'établir un audit, depuis 2004, alors que son département avait saisi en vain le président du MGPAP en vue de prendre les mesures nécessaires pour appliquer la loi ». Pour ceux qui ne le savent pas, Abdelhanine Benallou a longtemps flirté avec la gauche. Sous les couleurs du PSD, l’ex-haut fonctionnaire du ministère de l’Energie s’était même présenté aux élections législatives de 1997 à la circonscription Bab Mrissa, à Salé. « Il s’agit d’un cas de figure classique, celui de partis qui ferment les yeux, voire qui profitent de la position économique et financière d’un membre pour des raisons occultes », explique Tarek Sbaï.
« Nos partis politiques sont sous-tendus par une dynamique bien particulière. Dans le meilleur des cas, les leaders pensent à tort que le fait de dénoncer, voire d’exclure une brebis galeuse risque de ternir l’image du parti. Sinon, les plus corrompus d’entre eux ne peuvent pas supporter d’être tenus loin des marchés publics et profitent ainsi allègrement de la manne », ajoute le président de l'instance nationale pour la protection des biens publics. En dehors de Abderrahman Youssoufi qui payait les pourboires de sa poche, les patrons d’office, chefs d’entreprises publiques ou même ministres ont souvent un train de vie somptueux qui dépasse de loin leurs revenus officiels, faisant allègrement la confusion entre les dépenses personnelles et celles liées au fonctionnement de l'Etat.
La Cour des comptes a passé au peigne fin les dépenses de l’ex-directeur de ONDA, et son dossier est aujourd’hui étudié par le procureur. El Ferrah, lui, est enfin devant les juges. D’autres dossiers devraient connaître rapidement le même sort. Beaucoup d'efforts, donc, pour moraliser un système où les tentations sont fortes. Et, malgré tout, il existe encore des cas litigieux ; des patrons d’office qui ignorent le conflit d'intérêts ou des élus qui franchissent allègrement les lignes rouges. Ces exemples d'« indélicatesses » malheureusement abondants se heurtent à une justice encore laxiste face à ces puissants d’un jour. Même si les juges démontrent, depuis quelque temps, une pugnacité nouvelle dans leur volonté de traquer les corrompus... ce qui promet d’animer les mornes journées du ramadan. Du Centre cinématographique marocain (CCM) à la plupart des offices régionaux de mise en valeur agricole ou d’autres établissements publics, les dossiers s’accumulent. L’effet Naciri ? Peut-être, même s’il est trop tôt pour tirer une telle conclusion, d’autant qu’elle conforte paradoxalement l’image d'un parquet aux ordres.
Abdellatif El Azizi |