Le timing du dĂ©bat nâest pas un hasard du calendrier. Le gouvernement espĂ©rait faire passer sa copie du projet controversĂ© en lâabsence des principaux concernĂ©s : les journalistes !
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Le dialogue national sur « MĂ©dias et sociĂ©tĂ© » a clĂŽturĂ© ses auditions. Tout le monde a dĂ©battu de lâavenir de la profession : patrons de presse, imprimeurs, distributeurs et ONG, Ă l'exception des principaux intĂ©ressĂ©s, les journalistes. Pire encore, la couverture des sĂ©ances dâaudition a Ă©tĂ© sĂ©lective ; Ă plusieurs reprises, des journalistes ont Ă©tĂ© refoulĂ©s car les sĂ©ances se tenaient Ă huis clos. Seul un communiquĂ© laconique Ă©tait adressĂ© Ă la MAP Ă la fin de chaque audition. « Si le dialogue est transparent, pourquoi ce culte du secret ?», avance un journaliste scandalisĂ©.
Depuis le 1er mars dernier, vingt-deux auditions institutionnelles et organisationnelles ont Ă©tĂ© dĂ©nombrĂ©es, complĂ©tĂ©es par une quinzaine de journĂ©es d'Ă©tudes et dâateliers thĂ©matiques dans plusieurs villes.
Le dialogue national sur les mĂ©dias a Ă©tĂ© initiĂ© officiellement par les groupes parlementaires des deux Chambres : l'Istiqlal, lâUnion socialiste des forces populaires, le Parti authenticitĂ© et modernitĂ© avec le soutien du Parti du progrĂšs et du socialisme, du Mouvement populaire et du Rassemblement national des indĂ©pendants, sans oublier la participation du PJD appelĂ© Ă la rescousse Ă la derniĂšre minute.
Grand oral financé par le PAM ?
Selon des sources concordantes, ce grand oral a Ă©tĂ© financĂ© par le prĂ©sident de la deuxiĂšme Chambre, Mohamed Cheikh Biadillah qui nâest autre que le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du PAM. Plus de 3 millions de dirhams ont ainsi Ă©tĂ© injectĂ©s dans les caisses de lâinstance du dialogue dirigĂ©e par Jamal Eddine Naji. Ahmed Akhchichine et Jamal Eddine Naji nâen sont pas Ă leur premier essai. En 1993, les deux enseignants â Ă lâĂ©poque Ă lâISIC (Institut supĂ©rieur de l'information et de la communication) â avaient Ă©tĂ© mandatĂ©s par Driss Basri, alors ministre de lâIntĂ©rieur et de lâInformation, pour prĂ©parer le contenu de la « ConfĂ©rence nationale sur lâinformation ». Le dialogue sur les mĂ©dias, entamĂ© sous lâĂ©gide de la DeuxiĂšme Chambre, donne ainsi lâimpression dâune confĂ©rence bis repetita oĂč on retrouve toujours les mĂȘmes tĂȘtes : Naji, Benabdallah, Bakkali, Moujahid...
Selon Mohamed El Aouni, prĂ©sident de lâOrganisation pour les libertĂ©s dâinformation et dâexpression (OLIE), qui dĂ©nonce lâabsence de coordination avec les journalistes : « Les assises dudit dialogue se tiennent Ă huis clos et sans la contribution idoine des premiers concernĂ©s. La tenue du dialogue coĂŻncide, de maniĂšre troublante, avec la poursuite de la rĂ©pression des mĂ©dias. Quant au contenu, ce ââdialogueââ a limitĂ© son champ dâintervention aux rapports entre la presse et la sociĂ©tĂ©, alors que la vĂ©ritable problĂ©matique concerne les diffĂ©rends qui opposent le pouvoir et la presse. » MĂȘme son de cloche chez SaĂŻd Benjebli, prĂ©sident de l'Association des bloggeurs marocains : « Cette initiative provient du PAM, on a lâimpression quâelle a Ă©tĂ© lancĂ©e pour faire passer le son de cloche de lâĂtat, sans prendre en compte lâopinion des journalistes. Sinon, pourquoi tiennent-ils des sĂ©ances Ă huis clos ? »
Selon des sources parlementaires, le timing choisi nâest pas un hasard du calendrier. Lors de la session du printemps, le gouvernement espĂ©rait dĂ©poser sa copie du projet contestĂ© du code de la presse, qui accuse un retard depuis 2002. Le but Ă©tant dâarriver Ă un consensus avec les « reprĂ©sentants » des mĂ©dias tels que le SNPM, la FMEJ, les imprimeurs et le secteur de la distribution. Selon la mĂȘme source, deux options seront choisies pour rĂ©gler la question controversĂ©e des dĂ©lits de presse : la crĂ©ation dâun conseil national de la presse pour la rĂ©gulation de la presse Ă©crite, en charge de toutes les mesures disciplinaires et sanctions, ou bien la crĂ©ation de Chambres spĂ©cialisĂ©es dans les dĂ©lits de presse au sein des tribunaux.
Guéguerre de représentativité
Il semblerait dâores et dĂ©jĂ que lâon sâachemine vers la seconde option qui a plus de chances dâaboutir ; car la crĂ©ation dâun conseil national de la presse va raviver les tensions dĂ©jĂ aiguĂ«s, provoquĂ©es par la guĂ©guerre pour la reprĂ©sentativitĂ© au sein du futur conseil. Deux prĂ©tendants, un directeur de journal et un universitaire proche du PAM se disputaient le poste ! « Si lâidĂ©e de la crĂ©ation dâun conseil national de la presse est adoptĂ©e, la profession doit ĂȘtre seule responsable de sa rĂ©gulation », affirme Nabil Benabdallah, membre du bureau politique du PPS et ancien ministre de la Communication.
Ce dialogue recĂšle aussi quelques zones dâombres, le ministre de la Communication ayant Ă©tĂ© Ă©cartĂ©. Normalement câest ce dĂ©partement qui devait superviser ledit dialogue. Khalid Naciri avait dĂ©clarĂ© que 2009 allait ĂȘtre lâannĂ©e du dialogue avec les mĂ©dias, or rien nâa Ă©tĂ© entrepris. Pire encore, la relation entre lâĂtat et la presse sâest envenimĂ©e. Selon une source proche du dossier : « LâĂtat a vu que Khalid Naciri nâavait rien fait, alors le PAM a Ă©tĂ© mandatĂ© pour faire le travail. » Lors de la sĂ©ance dâouverture du dialogue, Naciri n'a fait qu'une brĂšve allocution et sâest Ă©clipsĂ©.
Lâinstance a auditionnĂ© Fayçal LaraĂŻchi, PDG de la SNRT et Salim Cheikh, DG de 2M, dâune part, et les professionnels de lâaudiovisuel dâautre part. Les parlementaires ont dĂ©celĂ© une contradiction entre les propos rassurant des directeurs et ceux alarmants des professionnels concernĂ©s et ont demandĂ© une confrontation entre les deux camps.
Le dialogue fut aussi Ă©maillĂ© dâanecdotes ; le lundi 3 mai, Jamal Edinne Naji a adressĂ© Ă la MAP un communiquĂ© dĂ©nonçant les allĂ©gations contenues dans un article publiĂ© par le quotidien Al Jarida Al Oula (il a cessĂ© de paraĂźtre depuis) qui avançait que des intervenants du dĂ©bat national sur la presse auraient demandĂ© au prĂ©sident-directeur gĂ©nĂ©ral du pĂŽle audiovisuel public, Fayçal LaraĂŻchi, de rĂ©duire le temps dĂ©diĂ©, lors des journaux tĂ©lĂ©visĂ©s, Ă la couverture des activitĂ©s royales.
Le dialogue national va publier, Ă lâissue de ses travaux, un livre blanc qui fera la part belle aux recommandations, Ă lâinstar de la confĂ©rence de Driss Basri de 1993. Une chose est sĂ»re, le gouvernement nâa pas rĂ©ussi Ă faire passer la pilule amĂšre du code de la presse au cours de la session du printemps. Pour les journalistes de la presse Ă©crite, le dĂ©bat nâa pas Ă©voquĂ© les vĂ©ritables problĂšmes de la profession : les licenciements abusifs, la censure indirecte, lâabsence dâassurance en cas de perte dâemploi ou encore la retraite complĂ©mentaire⊠En somme, un dĂ©bat nul et non avenu.
Mohamed El Hamraoui |