La guerre que se livrent les partis pour attirer le maximum de jeunes dans leurs rangs se heurte à leur désaffection exacerbée par la chute de popularité de ces mêmes formations.
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Au sein de la Chabiba IttihaÂdie, c’est la guerre de tranÂchĂ©es entre les affidĂ©s de l’ancienne garde de l’USFP, qui font front autour de Ali Elyazghi, et les contestataires de plus en plus nombreux. Il y a quelques semaines de cela, dans une lettre adressĂ©e au bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), le bureau national de la Chabiba avait dĂ©noncĂ© le comportement « immoÂral et irresponsable » de Ali Elyazghi, secrĂ©Âtaire gĂ©nĂ©ral de la Jeunesse Ittihadie. Les jeunes Ittihadis avaient reprochĂ© au fils Elyazghi, entre autres, de s’être accaparĂ© la participation de la Jeunesse Ittihadie aux travaux du congrès de l’Union interÂnationale de la jeunesse socialiste qui s’est tenu du 26 au 28 mars dernier en Suède.
C'est la goutte qui a fait dĂ©border le vase. « Étant convaincus de la nĂ©cessitĂ© de rĂ©forÂmer l’organisation et de la restructurer sur des bases saines, nous nous sommes insÂcrits positivement dans la dynamique de la nouvelle rĂ©partition des missions au sein du bureau national de la Jeunesse et dans le règlement des diffĂ©rends qu’a connus notre organisation dans le passĂ©. MalheuÂreusement, cette volontĂ© noble s’est heurtĂ©e Ă un comportement immoral et irresponÂsable du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Chabiba, Ali Elyazghi », expliquait le bureau natioÂnal de la Chabiba dans sa fameuse lettre.
Depuis, le torchon brĂ»le entre les deux parties malgrĂ© les interventions de caÂciques socialistes, venus jouer aux pomÂpiers. Du cĂ´tĂ© de l’Istiqlal, les tractations vont bon train pour le prochain congrès de la jeunesse, prĂ©vu le 4 juin, mĂŞme si cette Ă©chĂ©ance n’attire pas grand monde ; pour une raison toute simple, c’est qu’au sein de ce parti, plus qu’ailleurs, seul le canÂdidat choisi par le bureau politique a des chances d’être Ă©lu. Concernant le PAM, le Cercle des jeunes dĂ©mocrates marocains ambitionne dĂ©jĂ d’occuper le champ poliÂtique par des actions mĂ©diatiques Ă grande valeur ajoutĂ©e telle la fameuse opĂ©ration du plus grand drapeau du monde, orgaÂnisĂ©e Ă Dakhla.
Ce nouveau venu dans le champ politique a d’ailleurs engagé une vaste opération de séduction visant à attirer le maximum de jeunes. Salah El Ouadie a ouvert le bal avec une rencontre à Casablanca le dimanche 30 mai. Le rendez-vous qui a eu lieu à Sidi Moumen, fief des kamikazes du 16 Mai, a porté sur la jeunesse et la politique avec un thème central : « À générations nouvelles, nouvelles visions. »
Faire courir tout ce beau monde
Pourquoi les jeunes font-ils courir tout ce beau monde ? Il y a Ă©videmment la proxiÂmitĂ© du scrutin de 2012. Le rĂ©servoir de vote que constitue la jeunesse fait d’auÂtant plus saliver les formations politiques que près de 55 % de la population a moins de 25 ans. Cerise sur le gâteau, l’âge lĂ©gal pour voter ayant Ă©tĂ© ramenĂ© Ă 18 ans, on comprend que la capacitĂ© des partis Ă sĂ©Âduire cette tranche de la population fera pencher lourdement la balance d’un cĂ´tĂ© ou de l’autre de l’échiquier politique. La danse du ventre des partis politiques a-t-elle des chances de faire mouche ? Rien n’est moins sĂ»r. S’attirer les faveurs de la jeunesse n’est pas chose aisĂ©e pour les diÂnosaures qui tirent les ficelles de l’arène politique. Militant de la gauche et alterÂmondialiste, Kamal Lahbib porte un regard sĂ©vère sur ces partis politiques moribonds qui n’ont pas encore compris l’avantage qu’ils pouvaient tirer d’une jeunesse en pleine Ă©bullition : «Altermondialisme, rock alternatif, Ă©cologie... autant de mouvances qui maintiennent un bouillon d'agitation chez une jeunesse qui s’est dĂ©tournĂ©e de la politique telle qu’elle est imaginĂ©e par les formations politiques. Contrairement Ă ce que l’on croit, les jeunes ne sont pas apoliÂtiques, ils font tout simplement de la poliÂtique autrement. » Le prĂ©sident du Forum social cite pĂŞle-mĂŞle, la cyberdissidence, les manifestations de rue, la musique contesÂtataire, autant d’expressions inĂ©dites qui permettent aux jeunes de convertir leur expĂ©rience militante dans des actions qui dĂ©noncent tel ou tel abus.
Au lendemain des lĂ©gislatives de 2007, le taux d’abstention de près de 70 % a poussĂ© divers acteurs Ă s’interroger sur la dĂ©safÂfection des jeunes pour la politique. L'AsÂsociation marocaine des laurĂ©ats du proÂgramme Fulbright avait ainsi invitĂ© de nombreux spĂ©cialistes et des hommes poÂlitiques Ă s’exprimer sur la question, dans le cadre d’une confĂ©rence sur « Les jeunes et la politique au Maroc ». Si les causes de la bĂ©rĂ©zina de 2007 transcendent le clivage jeunes/anciens, une grande partie de la jeunesse a boudĂ© les urnes parce qu’elle ne se reconnaissait pas dans les programmes proposĂ©s.
« Comment voulez-vous intĂ©resser un jeune universitaire avec un programme politique dupliquĂ© par tous les autres partis, sans compter les sorties mĂ©diatiques rĂ©pĂ©ÂtĂ©es de dirigeants de la vieille gĂ©nĂ©ration ? », s'interrogeait alors Faouzi Chaâbi. Autre grief qui revenait souvent , « la crĂ©dibilitĂ© des hommes politiques Ă©claboussĂ©s rĂ©guÂlièrement par des affaires de corruption, de passe-droit ou de moeurs ».
Prêts à en découdre
De plus, parce qu’ils sont plus pragmatiques, le rapport des jeunes à la politique est à appréhender sous l’angle de leur projet de carrière. Ils sont plus enclins à en découdre avec les forces de l’ordre pour décrocher un poste dans l’administration que prêts à manifester pour le «changement de la Constitution».
Et la jeunesse dorée ? « Elle ne fait pas de politique » ou plutôt, elle n’a pas besoin de faire de la politique. Et pour cause, comme Obélix, elle est tombée dedans quand elle était petite. Fils de ministres, les Adil Douiri, Brahim Fassi Fihri et autres Ali Elyazghi sont assurés de se retrouver au bon endroit, au bon moment, grâce au parapluie de papa. C’est pour cela qu’elle dédaigne se prévaloir de tout sentiment qui puisse la relier à la mémoire collective de la politique. Elle regarde les violences électorales et les affrontements partisans d'un air hautain, se situant au-dessus de toute cette agitation.
Abdellatif El Azizi |