L’Istiqlal est sous le feu des critiques. La formation de Fouad Ali El Himma a décidé d’attaquer frontalement le Premier ministre et son parti. Le PAM est-il prêt à assumer les conséquences d’une grave crise politique ?
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La hache de guerre est désormais déterrée entre le PAM et l’Istiqlal. La formation d’El Himma a promis de « passer à l’opposition », et le président du groupe de conseillers du PAM à la Deuxième Chambre, Hakim Benchemass, a appliqué les consignes. Résultat, non seulement l’Istiqlal a été sommé de se soumettre en raison d’une gestion réputée désastreuse de l’exécutif, mais le PAM a poussé la délicatesse jusqu’à demander à faire passer Abbas El Fassi devant les juges pour répondre des conséquences fâcheuses du scandale d’Annajat. Ce dernier, qui avait mis sur le carreau des milliers de candidats à l’émigration aux Emirats, impliquait notamment l’actuel Premier ministre, à l’époque ministre de la formation professionnelle. S’en sont suivies des attaques ciblées du PAM qui présagent à l’évidence une crispation sur la personne du Premier ministre et de son parti.
S’agit-il d’une tentative de déstabilisation ou de manœuvres dilatoires suscitées pour revenir à l’actualité après une traversée du désert ? Ou le PAM a-t-il réellement le désir de renverser le gouvernement en déposant une motion de censure en bonne et due forme ?
C’est plutôt la première option qui est privilégiée par les observateurs. A cela plusieurs raisons. Après avoir constitué une destination attractive pour les députés nomades, le PAM vient de vivre sa première grande défection au sein de son groupe parlementaire. Plusieurs députés qui émargeaient jusqu’à présent au PAM sont revenus dans les rangs de leur parti initial, l’Union constitutionnelle. Un retour, au lendemain de la création d’un groupe parlementaire unifié au sein des deux Chambres du Parlement, baptisé « Rassemblement constitutionnel unifié », constitué de députés du Rassemblement national des indépendants (RNI) et de l’Union constitutionnelle (UC) ; et ce quelques jours avant le début de la session du printemps de la troisième année législative.
Ce groupe, présidé par l’ancien ministre Rachid Talbi Alami, compte aujourd’hui quelque 69 députés ; ce qui le place bien loin devant la formation de Abbas El Fassi (vainqueur des législatives de septembre 2007 avec 54 sièges). Cette nouvelle donne, officialisée le 15 avril dernier, relègue ainsi le PAM à la deuxième position avec 55 députés, le PJD (deuxième force de l’opposition) arrive au 4e rang avec ses 46 parlementaires. L’USFP garde sa 5e position avec 40 sièges. Le score du Rassemblement constitutionnel unifié a été possible grâce notamment à une série de « ralliements » de députés d’autres formations politiques. Les députés frondeurs viennent du PAM, mais également du MDS de Mahmoud Archane, du FFD, de l’Alliance des libertés (dissous dans le PAM) ou même du MP et du PPS, pour ne citer que ces derniers.
La lune de miel révolue
La constitution de ce groupe unifié a ainsi permis au RNI et à l’UC de devenir le premier groupe parlementaire dans les deux Chambres, dépassant de loin le PAM. Une situation qui démontre encore une fois la fragilité de l’identité politique des partis de la droite. Le PAM lui-même, dans les deux Chambres, est souvent constitué d’un rassemblement hétéroclite de parlementaires nomades que rien ne réunit sauf peut-être d’obscurs intérêts politiciens. La création de ce nouveau groupe ne masque toutefois pas les difficultés dans lesquelles se débat la formation de Mezouar, attisées par le climat de tension qui règne entre le PAM et le RNI. Selon une source RNIste, après le départ forcé de Mustapha Mansouri, le parti a perdu, d’un seul coup, la présidence des deux Chambres et un poste de ministre. Conséquence, la lune de miel entre le PAM et le RNI est bel et bien révolue. En témoigne la grogne à l’intérieur même des rangs des partisans de Salaheddine Mezouar, nouvelle figure de proue du parti.
A Casablanca, les coordinateurs du parti de la capitale économique ont demandé à Mezouar la convocation d’une réunion d’urgence pour trancher le cas de Mohamed Bentaleb, indésirable au sein de la majorité des RNIstes locaux, qui avaient même boycotté la réunion des coordinateurs tenue à Mohammedia lors de l’affrontement entre Mezouar et Mansouri. Selon nos informations, le parti risque même d’être encore plus fragilisé si Mezouar n’arrive pas à stopper l’hémorragie. Les RNIstes se seraient, en effet, sentis floués par le PAM qui leur avait fait croire que le RNI allait recueillir toutes les composantes du pôle centre droit composé du PAM, du RNI, de l’UC et d’autres partis. Une option refusée par Mustapha Mansouri, et qui n’est pas davantage à l’ordre du jour chez les adhérents du PAM.
Mauvais scénario
En effet, face aux coups de boutoir d’une réalité politique locale trop complexe pour être réglée en quelques alliances contre nature, et une guerre sans merci contre les islamistes, le PAM a dû revoir ses ambitions premières à la baisse. Sans roulements de tambour ni claquements de portes. Mais dès à présent la messe semble dite. Fin d’une époque. Fin des « espérances ». Fin des grands mots, des belles histoires et des drapeaux qui claquent. Fin de l’exception du « parti de l’ami du roi » venu faire la révolution dans un champ politique promis au « devoir de grisaille ». Pour comprendre ce mauvais scénario politique, il faut revenir en arrière. La dernière révision du champ politique semblait acquise au nouveau parti, le RNI allait aider à la création d’un pôle libéral, la gauche mettre son grain de sel pour faire front contre les islamistes, et l’Istiqlal continuer à servir de punching-ball aux colères de la rue. Or le RNI n’a pas été facile à avaler - en témoigne la résistance du clan Mansouri -, le PJD est toujours aussi fort, voire plus fort, et son rapprochement avec la gauche ne relève guère de l’impossible. Quant à l’Istiqlal, les récentes sorties de Hamid Chabat ont montré que la formation du Premier ministre avait encore du répondant. L’expression de ces ambiguïtés a donc été un choc pour les nouveaux venus, armés certes du soutien du palais, mais peu ancrés dans la réalité marocaine.
L’équation du changement est aujourd’hui complètement différente. Et ceci explique sans doute cela. Sauf à s’installer dans la posture suicidaire de gardien du temple et à promettre du même coup au PAM le sort réservé aux partis moribonds de l’administration, PND et autre UC, les éminences grises de FAH avaient-elles d’autre choix que de s’attaquer à la dernière figure emblématique de la Koutla ? Ce fut d’autant plus facile que ces derniers temps, Fouad Ali El Himma en personne et ses lieutenants se sont prudemment tenus à l’écart de toutes les batailles, comme si, pour eux, les choses sérieuses ne devaient réellement commencer que demain, c’est à dire… à la veille des échéances électorales de 2012.
Mohamed Madani |