Don Quichotte ou militant de la première heure ? Mohamed Tarek Sbaï est aujourd’hui le poil à gratter de la classe politique. Ses sorties intempestives, ses multiples plaintes et ses accusations à l’emporte-pièce font partie du quotidien de cet avocat qui a fait ses premières armes au sein de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), avant de se concentrer sur la lutte anti-corruption.
Président de l’Instance nationale de protection des biens publics
« La lutte contre la corruption rime souvent avec politisation »
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actuel : Le ministre de la Justice et des Libertés n’a pas donné suite à la plainte de l’Instance nationale de protection des biens publics, concernant l’affaire des primes versées à l’ancien ministre des Finances, Salaheddine Mezouar, et au trésorier du Royaume, Noureddine Bensouda. Qu’en pensez-vous ?
Tarek Sbaï : Effectivement, Mustafa Ramid, qui est lui-même le président du parquet général, n’a toujours pas donné suite à notre plainte. Pour l’instant, le procès se déroule en correctionnelle. Le fonctionnaire des Finances, Louiz, est poursuivi pour avoir divulgué, selon l’acte d’accusation, une décision administrative. Or, il serait plus juste et judicieux de s’interroger sur l’infraction commise par Mezouar et Bensouda, sachant que les primes sont issues de fonds publics.
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En êtes-vous sûr ? D’autant plus que les intéressés parlent de primes parfaitement légales, perçues dans un système en vigueur aux Finances depuis le protectorat…
Pourquoi alors poursuivre en justice quelqu’un qui n’a fait que rendre publique « une information légale » ? Si des poursuites judiciaires ne sont pas déclenchées par le ministre de la Justice, nous pensons sérieusement porter plainte pour « constitution de bande criminelle et de vol qualifié en invoquant notamment l’article 509 du code pénal ». Cet article stipule que sont punis de la réclusion de dix à vingt ans les individus coupables de vol.
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Votre instance semble avoir plus de chances à Marrakech, où le maire Fatima Mansouri a décidé, à la suite des plaintes de la section locale de l’INPBP, de diligenter une requête devant la justice sur tous les dossiers que vous dénoncez. Comment expliquez-vous ce succès ?
Il y a d’abord à cela une raison objective, c’est que la section de Marrakech est la plus dynamique de toutes nos antennes régionales. Pas moins de 22 plaintes ont été déposées en justice contre des élus – qui opèrent (ou opéraient) essentiellement dans la mairie de la ville ocre – soupçonnés de prévarication, de corruption ou encore de dilapidation de biens publics. Deuxième facteur positif, c’est que pour la première fois, nous avons affaire à un maire intègre. La première responsable du conseil de la ville a montré à plusieurs reprises qu’elle n’avait aucune pitié pour les ripoux. C’est tant mieux pour nous qui trouvons toujours de grandes difficultés à dénoncer et à combattre la corruption, le favoritisme et autres détournements de fonds publics.
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Mezouar, Bensouda, Hjira, Baddou... est-ce que vous possédez vraiment les documents et preuves qui étayent les graves accusations que vous portez régulièrement à l’encontre de certains responsables politiques ?
Oui, nous avons tous les documents possibles et imaginables. Les intéressés ont d’ailleurs très souvent brandi la menace de nous poursuivre en justice. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait jusqu’à présent ?
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Pourtant, les journalistes eux-mêmes vous reprochent souvent de brasser du vent, de procéder à des effets de manche. Certains vous accusent même d’instrumentaliser les dossiers, d’autant plus que vous ne montrez jamais les documents que vous êtes supposés détenir contre telle ou telle personnalité ?
Vous oubliez qu’avant d’être président de l’Instance nationale de protection des biens publics, je suis avocat, et le secret professionnel est l’une des règles fondamentales de cette profession. Il s’agit pour nous de garantir à tout citoyen qui décide de dénoncer un abus l’absence d’ingérence des pouvoirs publics, une garantie majeure dans un Etat de droit. L’obligation absolue de protéger nos sources nous impose de garder confidentiel le contenu des discussions, des courriers et des documents qui ne sont dévoilés qu’à la justice au moment du procès. On milite d’ailleurs pour doter les plaignants de l’assistance juridique nécessaire pour les protéger contre les pressions dont ils peuvent être l’objet.
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Vous avez un nouveau dossier sous le coude ?
Nous mettons les dernières retouches à une plainte contre Hamid Chabat, en qualité de maire de Fès. C’est un dossier sulfureux qui porte sur le transfert, dans des conditions plus qu’opaques, de 18 hectares de terres de l’Etat à des particuliers. Vous comprenez pourquoi souvent la lutte contre la corruption rime avec politisation…
Propos recueillis par Abdellatif El Azizi
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