La polémique enfle autour du caractère constitutionnel de la Chambre des conseillers dans sa configuration actuelle. A défaut d’une saisine de la Cour constitutionnelle, ce sont les surenchères juridico-politiciennes qui prennent le dessus. Décryptage.
Nous sommes le mardi 16 octobre. C’est la séance inaugurale de la session d’automne de la Chambre des conseillers. Driss Radi, conseiller sous les couleurs de l’Union constitutionnelle (UC) – parti de l'opposition – prend la parole pour rappeler que le Parlement et le gouvernement ont pour première obligation de respecter la Constitution, sous peine de trahir les citoyens. Radi fait alors clairement allusion à l'absence du chef du gouvernement à la séance des questions orales. Une déclaration qui n’a pas l’heur de plaire au ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid, qui hoche la tête en signe de mécontentement. Un comportement que n’apprécie guère le chef de file des conseillers de l’UC. Les deux hommes vont alors se donner en spectacle. Une vraie querelle de chiffonniers.
L’incident a non seulement fait rire, ou grincer des dents, les observateurs présents, mais il a également relancé le débat autour de la deuxième Chambre du Parlement. Une institution qui se trouve, depuis le 6 octobre, dans une situation juridique pour le moins ubuesque.
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Imbroglio juridique
Lors d’une conférence de presse le 18 octobre, le président de la deuxième Chambre, Mohamed Cheikh Biadillah, a fait savoir que cette Chambre sera maintenue dans sa configuration actuelle, jusqu’aux prochaines élections. Le Maroc demeure donc avec une Chambre des sénateurs régie par l’ancienne Constitution. Celle de 1996 ! Pourtant, ce risque de blocage constitutionnel et politique ne semble pas interpeller outre mesure le président de cette honorable institution. Pour ce dernier, la question n’a même pas lieu d’être posée. « La situation actuelle de la Chambre est réglée par l’article 176 de la Constitution et l’article 98 de la loi organique de la deuxième Chambre qui lui permettent de rester en fonction jusqu’aux prochaines élections. Et il ne peut y avoir d’élections de la deuxième Chambre sans que ne soient organisées auparavant les élections régionales, professionnelles et celles des collectivités territoriales », affirme Biadillah qui semble se réfugier derrière ces deux articles de la Constitution pour éviter tout débat. Or, il y a bel et bien matière à débatttre sur ce sujet. « A compter de l’ouverture de la nouvelle année législative, le tiers des membres de la deuxième Chambre n’a plus le droit d’y siéger », estime un professeur de droit constitutionnel à l’université de Rabat. Notre juriste fait référence aux 90 conseillers élus le 6 octobre 2003 et dont le mandat a « logiquement » pris fin légalement le 12 octobre 2012, après les neuf ans d’exercice (ramenés à six ans dans la nouvelle Constitution). Un sentiment partagé par le président du groupe de l’Istiqlal à la deuxième Chambre, Mohamed El Ansari. Cité par notre confrère La Vie Eco, Ansari estime qu’« à supposer que la Chambre continue de fonctionner selon les termes de l’article 176 de la Constitution, mais avec des mécanismes régis par la Constitution de 1996, il est impératif de renouveler le tiers sortant et de réorganiser l’élection du président. Autrement, l’institution se trouve en situation d’infraction à la Constitution ». Pourtant ils sont toujours là  !
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Anomalie politique
Quid alors de l’article 176 brandi par Biadillah ? « Ce texte stipule que les Chambres actuellement en fonction continueront d’exercer leurs attributions, mais rien n’indique que les conseillers en poste continueront à exercer leurs fonctions même après expiration de leur mandat », explique ce constitutionnaliste. En somme, c’est un imbroglio juridique du ressort de la Cour constitutionnelle. Or, au lieu de saisir celle-ci, Biadillah a préféré s’en tenir à sa propre version de la Constitution. « Si la loi organique sur la Cour constitutionnelle avait été promulguée, cette juridiction aurait pu s’autosaisir, mais ce n’est pas le cas », déplorent les intéressés sans trop de conviction. En attendant, c’est le statu quo juridique qui prévaut, sans oublier l’anomalie politique qui l’accompagne. Au vu de la situation actuelle, seul Kafka pourrait s'y retrouver. Aujourd’hui les membres de la deuxième Chambre sont au nombre de 270 alors que la nouvelle Constitution limite leur nombre à un total qui se situe entre 90 et 120 sénateurs. L'article 63 de la Constitution marocaine stipule que  « la Chambre des conseillers comprend au minimum 90 membres et au maximum 120, élus au suffrage universel indirect pour six ans ». Sans oublier que la majorité de la première Chambre est minoritaire au sein de la seconde. Du fait que la composition de la deuxième Chambre est issue d’élections antérieures à la nouvelle Constitution, le PJD, l’Istiqlal, le MP et le PPS y totalisent à peine 94 sièges. Tandis que l’opposition actuelle (PAM, l’USFP, le RNI, l’UC), en y ajoutant le syndicat de la FDT (proche de l’USFP), totalise 142 sièges ! Bref, nous avons une moitié du Parlement qui relève de la législature de Abbas El Fassi et une autre de Abdelilah Benkirane.
Ali Hassan Eddehbi |
Un historique peu reluisant
En 1962, date de l’adoption de la première Constitution, le Maroc avait opté pour un Parlement bicaméral. Après la fin de l’état d’exception en 1970, c’est le système monocaméral qui a été adopté selon un mode de scrutin mixte (direct et indirect). Cependant, à l'époque où Hassan II voulait faire main basse – par tous les moyens – sur le champ politique, la Constitution de 1970 donnait la priorité au suffrage indirect puisque les deux tiers étaient issus de ce scrutin, et seul un tiers, élu de façon directe ! Cette situation allait être révisée par les Constitutions de 1972 et de 1992. Ainsi, le tiers était élu au suffrage indirect et les deux tiers au suffrage direct. Mais la Constitution de 1996 allait encore une fois donner de larges prérogatives à la deuxième Chambre qui pouvait exiger les relectures des lois comme bon lui semblait et les rejeter en cas de désaccord. Aujourd’hui, avec la nouvelle Constitution, la situation a changé puisque c’est la première Chambre qui a un droit de regard final sur tous les projets de loi… Pour la petite histoire, la deuxième Chambre a toujours été présidée par des figures appartenant à des partis proches du régime ou réputés l’être. C’est le cas de Jalal Saïd de l’UC, de Mustapha Oukacha puis de Maâti Benkaddour, tous les deux émargeaient au RNI, ainsi que de Mohamed Cheikh Biadillah du PAM, en poste depuis 2009. |
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