Le Parlement entame sa session d’automne sur fond d’agenda surbooké et de changements importants dans le paysage politique. Tour d’horizon.
La production législative de la nouvelle assemblée fait débat. Et nombre d’observateurs ont pu déplorer, avant l’été, la faiblesse du nombre de lois adoptées. « La précédente session s’est déroulée dans des circonstances exceptionnelles à tous les niveaux, d’où le retard dans l’adoption de plusieurs projets de loi », reconnaît volontiers Réda Benkhaldoune, député PJD (Parti de la justice et du développement). Pour ce parlementaire, « la loi de Finances 2012, concoctée par le précédent gouvernement, et les amendements qu’elle a subis après l’installation de l’actuel gouvernement, sont les principales raisons de ce retard. Nous allons rattraper ce retard pendant la session d’automne », ajoute-t-il.
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Coalition en péril
Les espoirs du député PJD se heurtent toutefois à des réalités qui ne poussent pas à l’optimisme. Si une année après sa victoire, le PJD continue de surfer sur sa vague de popularité, le parti au pouvoir s’efforce de s’adapter aux rouages d’un système qui lui est toujours hostile. L’opposition apparaît par ailleurs de plus en plus remontée contre l’équipe Benkirane et elle entend bien lui mener la vie dure au cours de ce nouveau round parlementaire. Et ce d’autant plus que la coalition gouvernementale, hétéroclite dès sa constitution, se trouve désormais fragilisée par le changement de direction opéré à la tête de sa deuxième force, l’Istiqlal.
Avec l’accession de Hamid Chabat à la tête de l’Istiqlal, allié majeur du PJD au sein du gouvernement, c’est bien l’ensemble des équilibres savamment dosés au sein de la coalition qui se trouvent fragilisés. Hamid Chabat veut un remaniement ministériel, ici et maintenant ! Un vœu auquel Abdelilah Benkirane n’entend pas répondre. Du moins, pour l’instant, estimant que le moment n’est pas venu. Le nouveau patron de l’Istiqlal ambitionne pourtant de changer dans les meilleurs délais quelques représentants de son parti au sein du gouvernement, tout comme il entend y « renforcer la présence féminine ». Pareilles intentions menacent sérieusement l’équipe Benkirane, déjà formée dans la douleur après de rudes tractations. Interpellé sur cette question, Réda Benkhaldoune se veut pourtant rassurant en excluant « tout remaniement avant l’adoption de la loi de Finances. Par la suite, je crois que le remaniement n’est pas impossible. Et si cela se fait, ce sera selon les modalités prévues dans la Constitution ».
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Le PJD garde la forme
On les croyait fragilisés après dix mois de lutte contre les « démons » et autres « crocodiles », mais il n’en est rien. Le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, et ses frères ont toujours la cote auprès du peuple. La preuve ? Ils viennent de remporter haut la main les législatives partielles à Tanger et à Marrakech. Certes, le nombre des suffrages obtenus et le taux de participation ont nettement baissé par rapport aux élections du 25 novembre 2011. A Tanger, par exemple, le Parti de la justice etdu développement s’est contenté d’environ 27 000 suffrages, contre plus de 40 000 l'année dernière. Faut-il voir dans ce recul une baisse de la popularité du parti de la lampe depuis qu’il est aux commandes ? Ou au contraire, des scores qui, dans le contexte particulier d’élections partielles sans enjeux majeurs, témoignent de l’efficacité de la recette Benkirane ? Si les réalisations concrètes du gouvernement se comptent encore sur le bout des doigts, les électeurs semblent encore solidaires d'un Benkirane qui affirme à qui veut l’entendre qu’on « ne le laisse pas travailler ». Un discours de victimisation qui produit son effet…
Ce succès des islamistes ne manque pas d’irriter sérieusement le PAM (Parti authenticité et modernité). La formation du tracteur vient ainsi de perdre son bras de fer électoral avec Abdelilah Benkirane. Mais cette débâcle n’a pas eu raison de la détermination du PAM à vouloir terrasser Benkirane. Nul n’ignore que la priorité du PAM est de mener la vie dure au PJD. Rien de plus normal pour un parti de l’opposition que de suivre de près les faux pas de la majorité. Le PAM, qui semble ignorer le gouvernement – qui devrait être sa cible naturelle –, fait le choix de s’attaquer intuitu personæ aux leaders du parti de la lampe. Une démarche à l’opposé de celle des deux autres composantes de l’opposition, le Rassemblement national des indépendants (RNI) et l’Union socialistes des forces populaires (USFP). Cette dernière, par exemple, préfère se concentrer sur « la mise en œuvre de la Constitution ». « Durant la précédente session parlementaire, nous avons été plutôt gentils puisqu'il fallait laisser le temps au PJD de s’installer dans ses nouvelles fonctions. Cette fois, nous allons être beaucoup plus fermes et intransigeants », annonce Driss Lachgar, membre du bureau politique du parti de la rose. « Notre priorité est d’adopter le plus tôt possible les lois organiques… nous allons user de tous les moyens pour cela. Y compris en ayant recours à nos relais associatifs et syndicaux, dit-il. Avant d’ironiser, j’espère que le PJD ne nous chassera pas à coups de bâton si on manifeste dans la rue ! »
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Lois organiques : pas de visibilité
Pendant la précédente session parlementaire, le rythme de l’action législative a été très irrégulier. Dix jours à peine après l’investiture du gouvernement (et environ un mois après la désignation de Abdelilah Benkirane en tant que chef de gouvernement), l’exécutif a adopté le même jour, en conseil de gouvernement et en conseil des ministres, une première loi organique sur les nominations aux postes stratégiques qui délimite les champs d’action entre les prérogatives du roi et celles du chef de gouvernement.
Le Conseil constitutionnel a même été anormalement pressé de statuer sur la constitutionnalité de cette loi dans un délai record ne dépassant pas les trois jours ! « Les ministres n’ont même pas eu le temps de lire le projet de loi avant la réunion du conseil des ministres », explique l’universitaire et député de l'Union socialiste des forces populaires Hassan Tareq, dans une tribune publiée dans le quotidien arabophone Akhbar Al Youm. Une rapidité d’action qui a fait exception. La léthargie a vite gagné dès lors qu’il s’est agi d’adopter les autres lois organiques. « La régionalisation avancée, les lois électorales et l’amazighité sont les plus urgentes, mais le gouvernement ne bouge pas », explique le jeune socialiste. Selon une source au ministère des Relations avec le Parlement, un agenda législatif est pourtant déjà prêt à être soumis aux députés et autres conseillers. Il fixe l’ordre selon lequel le gouvernement entend présenter les projets de lois organiques devant le Parlement. A commencer par les lois organiques portant sur le gouvernement, le règlement interne du Parlement ainsi que sur le Conseil supérieur de la magistrature. Les députés brûlent d’en découvrir le contenu…
Ali Hassan Eddehbi |