Durant les législatives partielles de Tanger, le PAM et le PJD ont mené une campagne pas comme les autres. Au lieu de privilégier les sièges, les deux partis ont préféré jouer la carte de l’image.
En théorie, il s’agit de briguer trois sièges au Parlement, au titre de la circonscription Tanger-Asilah. Les autres partis ayant une présence quasi insignifiante dans la région, deux principaux rivaux sont restés en lice : le Parti authenticité et modernité (PAM) et le Parti justice et développement (PJD). Soucieux de préserver les équilibres internes à la majorité, les autres partis se sont donc abstenus de présenter des candidats pour ne pas gêner la formation qui pilote le gouvernement. Mais les choses ne se sont pas du tout passées comme le désirait le PJD puisque les partis au gouvernement ont refusé de s’impliquer dans un duel à mort entre le PJD et le PAM.
Le parti de la lampe, fort de ses 43 000 suffrages obtenus dans la même circonscription lors des dernières législatives, mise sur la récupération de ses trois sièges, précédemment invalidés par la cour constitutionnelle, en raison de l’utilisation d’un minaret sur le flyer de la campagne législative. D’autant plus que Tanger est une ville assez conservatrice, en principe largement acquise aux islamistes. Le PAM connaît bien cette donne et sait qu’il a peu de chances face au PJD sur le terrain. Du coup, il s’est fixé un objectif plutôt réaliste : décrocher, au mieux, un siège dans sa course face aux islamistes. Malgré ces données intangibles, les deux partis mènent depuis peu une campagne électorale acharnée, marquée par un échange inédit d’accusations en tous genres, une campagne régionale qui prend des allures d’événement politique national. Car au-delà des trois sièges convoités, les deux partis mettent en jeu leur popularité, et confrontent deux projets de société. « Nous avons 107 sièges au Parlement. Moins les trois de Tanger, nous sommes à 104. Et malgré cela, nous dépassons toujours le deuxième parti représenté au Parlement par 44 sièges », avait déclaré Benkirane lors d’un meeting populaire, quatre jours avant l’élection. Les propos du secrétaire général du PJD ne sont pas anodins. Il sait pertinemment que la bataille engage l’image et la popularité de son parti au-delà des trois sièges en jeu… d’où sa présence à Tanger.
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« Lutter contre les obscurantistes »
Même logique chez le PAM, pour qui rien ne compte plus que « la lutte contre les obscurantistes du PJD ». Lors d’un autre meeting organisé le même jour que celui de Benkirane, le président du conseil national du PAM, Hakim Benchemass, a consacré une grande partie de son discours à décrypter le PJD. Et les allusions sont à peines voilées. « Nous sommes contre les diables qui sortent d’entre les poils de la barbe… ceux qui n’hésitent pas à instrumentaliser et à s’approprier scandaleusement les valeurs de l’islam qui représentent pourtant un sacré commun à tous les Marocains », a-t-il lancé devant ses supporters, faisant allusion au PJD, avec presque autant de verve populiste que Benkirane. Puis, il n’a pas hésité à pointer du doigt directement Benkirane en le qualifiant « du plus grand crocodile du Maroc », allusion faite à la fameuse formule chère au chef du gouvernement, qui lui permet de dénoncer régulièrement un gouvernement de l’ombre qui chercherait à saper l’action du PJD. « Tanger est une ville qui compte une très forte présence d’islamistes. Et pas seulement des modérés. Il y a aussi une forte présence des salafistes purs et durs qui ne manqueront pas de soutenir « les frères ». C’est un terrain acquis, je pense que le PJD peut très bien gagner », nous confie un responsable du PAM, rencontré sur place.
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La popularité du PJD en jeu
Pour lui, l’enjeu se situe ailleurs. « Nous misons sur deux éléments principaux : le taux de participation et le nombre de voix. » Pour le PAM, si le PJD obtient moins des 43 000 suffrages raflés le 25 novembre, cela prouverait que sa « popularité a baissé » et « qu’il a vendu du vent aux Marocains ». De même si le taux de participation baisse, le PAM compte bien en imputer la responsabilité au PJD qui, « en vendant des promesses irréalistes à profusion aux Marocains, aggrave le désaveu de ces derniers envers la politique », nous confie notre source.
Plusieurs fois, la campagne a failli tourner à la foire d'empoigne. Dernière illustration de la « sale » guerre PAM-PJD, les couacs des ministres PJD. Durant la campagne, ce sont au moins trois ministres islamistes qui ont fait le déplacement à Tanger pour soutenir leurs candidats : Mustapha El Khalfi, Najib Boulif et Aziz Rebbah. Ce dernier a soulevé une vive polémique après avoir rencontré Oussama El Khlifi, membre du conseil national du PAM, venu soutenir les candidats du parti du tracteur sur place. « Samir Abdelmoula m’a contacté pour venir déjeuner avec lui. Une fois arrivé sur place, je le trouve en compagnie de Abdelaziz Aftati (député PJD, ndlr) qui a essayé de me convaincre de rejoindre le PJD… puis Aziz Rebbah est venu vers nous. Il m’a demandé de me tenir à l’écart de la campagne électorale, sous peine de retirer mon nom des candidats au Conseil national de la Jeunesse », raconte Oussama El Khlifi dans une vidéo distribuée aux journalistes. Des propos qui ont déplu à Rebbah qui s’est empressé de démentir en affirmant avoir seulement salué El Khlifi ni plus ni moins. C’est la parole du ministre contre celle de la très controversée icône du 20-Février. Mais comme dit le fameux proverbe : « Il n’y a pas de fumée sans feu… »
Ali Hassan Eddehbi
(Envoyé spécial à Tanger) |