Acculé à pratiquer l’exercice démocratique, l’Istiqlal a réussi à franchir le cap. Hamid Chabat se pose désormais au centre de l’échiquier. Chronique d’une victoire sujette à interprétations.
Dénouement heureux pour l’Istiqlal. Chabat superstar. Ou presque. Le plus vieux parti du Royaume a élu son secrétaire général sans faire trop de vagues. On s’attendait au pire ce dimanche 23  septembre. « On craignait que ça saigne », soupire un cadre du parti, visiblement soulagé. Après trois mois de lutte acharnée entre les deux prétendants, Hamid Chabat et Abdelouahed El Fassi, le jour J, personne n'imaginait que les choses allaient se passer avec autant de fluidité. Quelques jours avant la date de l’élection du nouveau SG, l’Istiqlal a arrêté, avec précision, la liste des 996 membres du conseil national autorisés à exercer leur droit de vote. Dimanche, tous, ou presque, étaient de la partie. 967 électeurs, y compris les ténors du parti, ont fait le déplacement à Skhirat, où se tenait le scrutin ; les autres se sont absentés, évoquant des raisons de « force majeure ». Seul M’Hamed Khalifa a fait savoir qu’il boycottait par principe.
Vers 11 heures du matin, les deux candidats arrivent sur place. Chacun est salué chaleureusement par ses supporters, en guise de démonstration de force. Les partisans de Abdelouahed El Fassi l’accueillent d’un « Bonjour M. le Secrétaire général ! », tandis que les partisans de Chabat accueillent ce dernier avec une seule formule à la bouche « Mabrouk l'aïd » (Bonne fête)…
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Euphorie et incertitude
Les deux concurrents posent gentiment pour la traditionnelle photo de famille avec un Abbas El Fassi très affaibli physiquement. Les préparatifs de l’opération de vote (inscriptions, bulletins, mise en place des urnes…) démarrent sur les chapeaux de roue. Visiblement inspiré par le PJD, l’Istiqlal a recouru, à son tour, à des cartes d’électeurs électroniques avec un code barre. « Comme ça, personne ne viendra revendiquer le recomptage des voix », nous explique un responsable de la logistique. Aux alentours de 12h30, les journalistes sont priés de quitter la salle de conférence. Le vote commence. L’opération a duré tout l’après-midi laissant le temps de donner libre cours à tous les pronostics. Une bonne partie des istiqlaliens présents semblaient davantage fascinés par le recours au procédé démocratique. « C’est drôle et paradoxal. Un parti qui a toujours participé aux élections depuis l’indépendance, et se prévaut de la légitimité des urnes, mais qui ne les a jamais utilisées pour sa gestion interne », ironise un membre du conseil national. Mieux encore, si le PJD séduit par ses procédures transparentes et démocratiques, l’Istiqlal, lui, en fait autant sinon plus en ajoutant une dose d’adrénaline : deux candidats pour un poste ayant presque les mêmes chances et que seules les urnes départageront. Hormis l’USFP (du temps de sa gloire), aucun grand parti marocain ne s'était hasardé au jeu des urnes. Même le traditionnel signal du Palais en faveur de tel ou tel candidat fut absent de la course. « Chacun pour soi et Dieu pour tous » !
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Dernier recours
Certes, ce n'était pas ce que voulaient les istiqlaliens, mais ils ont quand même eu le mérite de réussir à faire avec. Trois mois plus tôt, les dirigeants de la balance comptaient remettre en selle le fils de Allal El Fassi par unanimisme, croyant que Chabat ferait juste office de lièvre. Mais quand ce solide roturier s’est avéré déterminé, le scénario imprévisible a provoqué le report du congrès pour éviter une scission.
Retour au jour J. Il est 18 heures passées de quelques minutes. Les bruits courent déjà faisant état d’une victoire éclatante de Chabat, par un écart de 150 voix ! La rumeur sera vite démentie par l’annonce des résultats officiels qui donnent Chabat vainqueur, mais avec un (très) léger avantage d’une vingtaine de voix. La liesse s’empare du hall du Palais des congrès. Des centaines d’istiqlaliens crient le nom de Chabat, sans que les partisans de Abdelouahed El Fassi ne montrent un signe de protestation ou de mécontentement. « Ce ne sont pas des baltajias de Chabat, mais de respectables membres du parti qui manifestent leur joie ainsi, preuve que Chabat a un vrai soutien », explique un membre de la jeunesse istiqlalienne, acquis au patron de l’UGTM depuis sa candidature. Le spectacle de joie durera plusieurs minutes, le temps que Chabat arrive pour prononcer le discours de la victoire. Il apparaît, enfin, encerclé par ses supporters qui se sont improvisés gardes du corps, noyé dans une foule excitée de « fans » demandant à lui serrer la main ou à lui embrasser la tête. Dans le respect de la tradition démocratique, Abdelouahed El Fassi a été le premier à féliciter officiellement Hamid Chabat. Or celui-ci, enivré par son succès, ne manquera pas de lui glisser une dernière vanne : « Si Abdelouahed est le fils du zaïm, moi aussi je le suis, à l’instar de tous les istiqlaliens ! » La pression est tellement forte sur Chabat qu’il faudra l’évacuer de la salle par la porte de service. Dans la foulée, on a même aperçu le ministre istiqlalien des Marocains résidant à l'étranger (MRE), Abdellatif Maâzouz, se démener avec monsieur tout-le-monde pour parler à Chabat pendant cet instant d’euphorie... mais il ne réussira pas à l’aborder ! C’est que Chabat est devenu l'homme fort de la prochaine étape. Plus fort qu’on ne le pensait…
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Baraka non grata
Il faudra attendre 23h30 pour que le nouveau patron de l’Istiqlal réunisse les membres du parti pour un second discours en bonne et due forme où il annonce les grandes lignes de son programme. Quelques minutes auparavant, en pleine liesse, peu de gens ont prêté attention à un détail. Aussitôt après l’annonce des résultats, Nizar Baraka, ministre des Finances et gendre de Abbas El Fassi, a en effet retiré sa candidature au comité exécutif du parti (bureau politique), en guise de protestation contre la montée au pouvoir de Chabat. D’autres membres du conseil prendront fait et cause pour Baraka et demanderont le report du vote pour la désignation des membres du bureau politique. Un geste que Chabat réprime fermement. D’abord en maintenant le vote en dépit du désistement d’une quarantaine de mécontents. Ensuite, en déclarant la guerre ouverte à Baraka. « Notre parti n’a pas besoin d’enfants gâtés », lance-t-il faisant allusion à l’argentier du Royaume. Emporté par sa fougue, il n’hésitera pas à le viser directement : « J’apprécie les efforts de M. Baraka, mais l’Istiqlal regorge de milliers de cadres comme lui. » Les visages se crispent mais le message est clair. Chabat, fort de l’adhésion de la base et du conseil national, n’hésitera pas à faire la guerre aux «Fassi » qui n’apprécieraient pas son exploit. Le ton est donné.
Ali Hassan Eddehbi |
La victoire de Chabat en 5 questions
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La victoire de Hamid Chabat a fait couler beaucoup d’encre et donné naissance à une infinité d’analyses et de spéculations. actuel pose les cinq principales variables de l’équation Chabat.
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1) Sera-t-il pro ou anti-Benkirane ?
La question revêt une importance cruciale dans le sens où elle engage la viabilité de l’actuelle coalition gouvernementale. Lors des dernières communales, Chabat a mené la vie dure au PJD qu’il a réussi à vaincre sur son propre terrain. Et aujourd’hui, Chabat en guerre avec Baraka pourrait bien réclamer sa tête. Mais ni Benkirane ni le Palais ne semblent avoir l’intention de renoncer à l’argentier du Royaume. Sur un autre registre, Chabat pourrait aussi utiliser ses relais syndicaux à l'UGTM pour compliquer la vie de Benkirane dans le cadre du dialogue social.
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2) Est-ce la fin de l’animosité avec le PAM ?
Il suffit d’observer le paysage politique pour deviner qu’être contre le PJD veut dire presque systématiquement être du côté du PAM. Mais Chabat n’aime toujours pas le PAM. « Quand le parti que vous savez a voulu faire table rase du paysage politique, je me suis opposé à lui », a-t-il déclaré peu après sa victoire, d’un ton acerbe envers le PAM. La question est posée de savoir si Chabat peut tout à la fois se positionner contre le PAM et le PJD. Entre Abdelilah Benkirane et Ilias Omari, le choix est, pour le moins, délicat.
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3) Du régional au national, est-ce possible ?
Qui dirige une mairie ne dirige pas forcément un parti. La baltaja, les autocars qui débarquent en force, les rixes et autres empoignades… toutes les méthodes utilisées par Chabat pour régner sur Fès et pour débarquer son prédécesseur à la tête de l’UGTM, Abderrazak Afilal, peuvent-elles se décliner au plan national ? Ce ne sont assurément pas des méthodes pour gérer la deuxième force politique du Royaume, mais Chabat peut-il s’affirmer et réussir sans ses fiers-à -bras ? Pour le moment, on ne lui connaît pas encore d’autres armes aussi… efficaces.
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4) Quelles ambitions politiques ?
Est-ce le début ou le couronnement de la carrière politique de cet homme parfois trop prévisible ? Prendre la tête du Parti de l’Istiqlal (PI) est-ce une finalité ou un tremplin vers d’autres fonctions, notamment la tête du gouvernement ? Pour l’heure, Chabat s’est contenté d’afficher un objectif : « Arriver premier aux prochaines élections, si Dieu le veut. » Nombre d’observateurs relèvent que son populisme et son verbe facile n’ont rien à envier à ceux de Abdelilah Benkirane, si jamais le PI arrive premier aux prochaines législatives. Alors…
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5) Y a-t-il un risque de scission à terme au sein du PI ?
Le jour du vote, 40 membres du conseil national se sont désistés. Officiellement : le vote des membres devait être reporté parce que les partisans de Abdelouahed avaient le moral à zéro après le résultat et n’étaient pas d’humeur à voter. Officieusement, c’est un coup porté à Hamid Chabat. Une opposition interne qui risque de s’affûter au cours des prochains mois. Les plus sceptiques imaginent même un risque de scission. Trop tôt, toutefois, pour en juger.
A.H.E.
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