| L’échec est patent ? Depuis son investiture, ce gouvernement donne l’impression de naviguer sans commandant de bord. Sur nombre de dossiers, une guerre fratricide oppose les ministres du PJD à leurs collègues de la majorité. Sans égard au ressentiment croissant des électeurs qui ont voté pour les islamistes. 
 Depuis qu'ils sont aux commandes de l'Etat, les ministres du gouvernement Benkirane n’ont cessĂ© de multiplier les prises de bec, Ă©talant leur linge sale en public. Dès leur investiture, les islamistes ont martelĂ© qu’ils mèneraient la lutte contre la corruption, la prĂ©varication, et dĂ©nonceraient les ripoux. Simple ? Non, simpliste, oui ! Aziz Rebbah, ministre de l'Equipement et du Transport, nommĂ© Ă  la tĂŞte d’un secteur qui connaĂ®t un taux Ă©levĂ© de corruption, a pensĂ© prendre de court ses collègues en dĂ©clarant une guerre sans merci contre l’économie de rente, autre thème très vendeur sur le plan Ă©lectoral. La publication de la liste des bĂ©nĂ©ficiaires des agrĂ©ments de transport a alimentĂ© la polĂ©mique durant des semaines avant d’être contestĂ© par les autres membres du gouvernement. Les dĂ©clarations Ă  l’emporte-pièce prenant le dessus sur la cohĂ©sion gouvernementale, il a fallu juste quelques mois d’exercice pour qu’un ministre (islamiste) de la Justice accusant toute une ville, Marrakech, en l’occurrence de servir de mecque de la dĂ©bauche des touristes Ă©trangers, ne soit violemment rappelĂ© Ă  l’ordre par son collègue au Tourisme (Ă©margeant, lui, au MP). Avant d’être suivi par la charge du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement sur les jeux du hasard, qui se fera recadrer par celui de la Jeunesse et des Sports. Et sur de nombreux dossiers clĂ©s, les islamistes s’opposent souvent Ă  leurs alliĂ©s  de la majoritĂ©. La guĂ©guerre entre les frères ennemis a dĂ©marrĂ© avec les fameux cahiers des charges. Le tout fringant ministre de la Communication qui rĂŞvait depuis longtemps d’en dĂ©coudre avec la deuxième chaĂ®ne, fief des «laĂŻcards » du cru et caisse de rĂ©sonnance du Makhzen, a concoctĂ© dans le secret le plus absolu un cahier des charges 100% islamiste. Le tollĂ© provoquĂ© par ce dossier passĂ© comme une lettre Ă  la poste au niveau de la Haute AutoritĂ© de la Communication audiovisuelle (HACA) a nĂ©cessitĂ© l’intervention du Palais qui a confiĂ© Ă  Nabil Benabdallah, ministre de l'Habitat, le soin d’arrondir les angles pour satisfaire un peu tout le monde. Le rĂ©sultat n’est pas fameux mais il prĂ©serve au moins un certain Ă©quilibre dans le respect de l’opinion et de l’opinion contraire. Le ministre dĂ©lĂ©guĂ© auprès du ministre de l'Économie et des Finances, chargĂ© du budget, Idriss Azami Al Idrissi, quant Ă  lui, avait contestĂ© la dĂ©claration de son patron Benkirane sur les chiffres de Salaheddine Mezouar.   Des chiffres « rassurants » Le chef de gouvernement, qui avait « dĂ©noncé » devant la Chambre des reprĂ©sentants une loi de Finances erronĂ©e dont il avait hĂ©ritĂ©, mettant en doute les chiffres de Mezouar, avait provoquĂ© une sĂ©rie d’interventions dont celle du FMI demandant des Ă©claircissements. Azami, qui a Ă©tĂ© chargĂ© de jouer au pompier, s’est fendu d’une dĂ©claration Ă  la MAP sur un ton rassurant pour prĂ©ciser que « les chiffres contenus dans la loi de Finances 2011 sont officiels et connus. Ils figurent dans des rapports nationaux et internationaux et ne sont pas sujets Ă  une remise en question ». De mĂŞme, la question Ă©pineuse des heures supplĂ©mentaires des professeurs du public dans les Ă©coles privĂ©es a provoquĂ© son lot de dĂ©saccords. DĂ©cidĂ©e sans concertation par un ministre istiqlalien, la mesure est non seulement fortement controversĂ©e mais risque d’embraser la rue au moment oĂą le gouvernement a bien d’autres chats Ă  fouetter.   Les dĂ©putĂ©s PJD champions Autre champ de bataille, l’examen de passage hebdomadaire devant le Parlement est devenu pour beaucoup de ministres un vĂ©ritable calvaire. Paradoxalement, les membres de l’équipe Benkirane craignent plus les sorties intempestives de leurs propres dĂ©putĂ©s que les questions incolores et inodores des reprĂ©sentants du peuple qui Ă©margent Ă  l’opposition. « Nous apprĂ©hendons souvent les interventions des dĂ©putĂ©s du PJD parce qu’ils prĂ©parent toujours leurs questions comme s’ils Ă©taient encore dans l’opposition, avec un dĂ©sir apparent de mettre en difficultĂ© les ministres », s’indigne un ministre « non islamiste » qui a requis l’anonymat « pour ne pas jeter de l’huile sur le feu », explique-t-il . La preuve par les scores des questions adressĂ©es par les dĂ©putĂ©s au Parlement. Au cours du conseil de gouvernement du jeudi 13 septembre, Lahbib Choubani, le ministre chargĂ© des Relations du gouvernement avec le Parlement, a usĂ© de tout son art pour arrondir les angles mais les chiffres sont tĂŞtus. Sur les 2 559 questions qui ont fait suer les membres du gouvernement, contrairement Ă  ce que l’on devrait penser, ce ne sont pas les partis de l’opposition qui se taillent la part du lion mais plutĂ´t les dĂ©putĂ©s du PJD suivis par ceux de l’Istiqlal, avec 511 questions pour les premiers et 233 pour les seconds ! Alors que l’USFP vient en quatrième position avec ses 90 interpellations.   « ImprĂ©paration du PJD » Au lendemain de la prĂ©sentation du rapport qui Ă©pingle Ă©galement l'absentĂ©isme des ministres, Choubani a dĂ» faire face Ă  une volĂ©e de bois vert de la part des ministres incriminĂ©s. Un document, en principe confidentiel, dans lequel on apprend que parmi les champions de l'absentĂ©isme, on trouverait Mohamed Ouzzine, Mohand Laenser et Aziz Akhannouch. C'est Mohamed Ouzzine, le ministre de la Jeunesse et des Sports, qui a dĂ©cidĂ© de lancer la polĂ©mique en qualifiant le rapport de Choubani d’« acte immoral », prĂ©cisant que le document avance qu’il s’est absentĂ© dix fois alors qu'il ne l'a fait que trois fois et que « ses absences Ă©taient dĂ»ment justifiĂ©es » par des activitĂ©s gouvernementales, royales ou dĂ©placements Ă  l’étranger. Un bras de fer qui a contraint le Premier ministre Ă  demander, Ă  plusieurs reprises, aux dĂ©putĂ©s de son parti de se calmer. Pour la plupart des observateurs, cette cacophonie est la preuve de l'imprĂ©paration d'un parti qui a exercĂ© l’opposition sans jamais s'exercer au pouvoir. A sa dĂ©charge, ce gouvernement est rattrapĂ© par le principe de rĂ©alitĂ©. La crise profonde qui frappe le pays est un casse-tĂŞte qui obligera peut-ĂŞtre le gouvernement Ă  faire des choix difficiles. Que le gouvernement accepte d’être moins dogmatique et un peu plus pragmatique sur ce sujet pourrait conduire Ă  un improbable retournement de fortune. Si les ministres prĂ©cĂ©dents sont accusĂ©s, Ă  juste titre, d’avoir dĂ©goĂ»tĂ© les citoyens de la « politique », les erreurs de casting, les misères croissantes du choc des egos que se livrent Benkirane et les partenaires de la majoritĂ©, exacerbĂ©s par l'adversitĂ© politique et sociale liĂ©e Ă  la crise, font qu’aujourd’hui, ce gouvernement a mauvaise presse. De lĂ  Ă  ce que le divorce entre Benkirane et les Marocains soit consommĂ©... Abdellatif El Azizi |