Rabat et Damas se rendent coup pour coup au sein des instances internationales. Pendant ce temps, les réfugiés syriens en Algérie tentent de rejoindre le Royaume...
Le Maroc soutient-il la rébellion en Syrie comme se plaisent à le répéter les médias de Bachar al-Assad, qui en veulent pour preuve l’implication de jihadistes marocains dans la guerre contre le régime syrien ? Les moukhabarates n’hésitent pas en effet à pointer du doigt le Qatar, l’Arabie saoudite et le Maroc, accusés de soutenir les jihadistes sunnites étrangers venus combattre les hommes de Bachar al-Assad.
Sur YouTube, la vidéo d’un Marocain surnommé Abou Moussab Chamali, publiée le 28 août, fait fureur. « C’est le plus beau jour de ma vie ! Je sens que je m’en vais vers les jardins de l’éternité (ndlr : le paradis) », explique ce jihadiste marocain devant une caméra, juste avant d’embarquer à bord d’un camion piégé, qui sera lancé sur un camp de l’armée syrienne. Pour éliminer les alaouites, qu'ils considèrent comme des apostats, des dizaines de combattants du Maroc, d'Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, d'Egypte, de Libye, de Tunisie et même de Tchétchénie ont afflué en Syrie. Et de nombreux sites tels que le « Réseau du Jihad mondial » ou encore « Honein » diffusent des appels (d’islamistes) à rejoindre la révolte.
« La plupart des jihadistes de nationalité marocaine, partis combattre en Syrie, sont originaires du nord du Royaume ; de Tétouan, Sebta, Tanger, des contrées qui ont fourni le gros des bataillons de jihadistes morts en Irak au cours de la dernière guerre du Golfe », explique Saïd Lakhel. S’agirait-il d’un scénario à l’afghane quand les autorités marocaines, en collaboration avec la CIA, pilotaient elles-mêmes le départ des jihadistes ? Pour l’islamologue, s’il ne fait pas de doute que les jihadistes obéissent aux mêmes motivations qui les ont poussés à intervenir en Afghanistan, à savoir combattre un ennemi de l’islam athée ou laïque (Assad en l’occurence), il n’est pas sûr que les Marocains leur apportent un soutien effectif. Il en veut pour preuve le fait que, depuis la répression des jihadistes au lendemain des attentats de 2003, le torchon brûle désormais entre les autorités marocaines et la Salafia jihadia.
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Attaque frontale
Cela dit, il est indéniable que depuis que le Royaume a expulsé l’ambassadeur syrien en poste au Maroc, la tension entre Damas et Rabat va crescendo. Dernier épisode de cette guerre sourde que se livrent les deux pays, la sortie tonitruante du représentant de Bachar al-Assad à l’ONU qui n’a pas hésité à évoquer la cérémonie d’allégeance, parlant « d’humiliation subie par les Marocains qui sont réduits à se prosterner devant le roi ». Dans une attaque frontale, El Jaâfari a apostrophé Mohamed Loulichki, ambassadeur du Royaume à l'ONU, en le menaçant de remettre à l’ordre du jour du Conseil de sécurité le dossier du Sahara. Réponse du berger à la bergère, Saâd-Eddine El Othmani a appelé à l'ouverture d’une « enquête urgente » sur les violences en Syrie, lesquelles ont fait plus de 25 000 morts depuis mars 2011. « Il est impératif d’ouvrir une enquête urgente et indépendante sur les tueries et les violations continues commises contre les civils, dont celle de Deraa qui a suscité l'indignation et la condamnation de la communauté internationale », a martelé le ministre à la sortie des travaux du dernier Sommet islamique de la Mecque. Toujours sur le plan diplomatique, une semaine après les déclarations musclées du représentant syrien à l’ONU, un diplomate canadien d'origine marocaine, Mokhtar Lamani, est nommé chef du bureau à Damas du Représentant spécial conjoint ONU/Ligue arabe pour la Syrie. Autant dire que la communauté internationale soutient Mohammed VI contre Bachar al-Assad. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la quatrième réunion du groupe des amis du peuple syrien va se tenir en octobre à Rabat. Un rendez-vous important qui devra déboucher sur des réponses claires à un certain nombre de questions liées à la transition politique, comme l'unification de l'opposition, le soutien aux pays de la région souffrant de cette crise, ainsi que la situation humanitaire en Syrie.
Mais si le Royaume est aux premières loges concernant le dossier syrien, c’est qu’il n’a pas tellement le choix. Le privilège d’être membre non permanent du Conseil de sécurité se paie par l’obligation de suivre quasi aveuglément la politique de pays qui, eux, sont membres permanents à l’ONU. La France en tête. « Bien entendu, l’évolution sournoise du conflit en Syrie vers un affrontement chiite/sunnites a rangé le Royaume, un peu malgré lui, dans un bloc sunnite militant dirigé par l’Arabie saoudite et le Qatar, opposé radicalement au bloc pro-Assad qui bénéficie du soutien de l’Iran chiite. La position du Maroc, sans être officiellement calquée sur celle de ces deux pays, n’en épouse pas moins la philosophie », explique un diplomate marocain en poste dans le Golfe.
Mais, sur le terrain, les choses sont beaucoup plus compliquées même si les figures clés de l’opposition syrienne, tel Burhan Ghalioune, ont leurs entrées à Rabat. Ce qui n’empêche pas les canaux informels de se déployer. Depuis quelques mois, des Syriens, définitivement rassurés sur la position du Maroc vis-à -vis du régime d’al-Assad affluent dans le Royaume. Ces ressortissants usent de mille subterfuges pour ne pas éveiller les soupçons des services spéciaux syriens en passant notamment par l’Algérie pour tenter de regagner le Maroc. Ils seraient ainsi quelque 12 000 réfugiés syriens arrivés en Algérie par avion, pour une raison très simple : entre l'Algérie et la Syrie, il n’y a pas de visa. L'Algérie, alliée de longue date du clan Assad, est d’ailleurs le seul pays arabe à avoir émis des réserves sur l'appel de la Ligue arabe au président Assad à renoncer au pouvoir, jugeant que cela devait être une « décision souveraine du peuple syrien frère ». Même si le billet entre Damas et Alger coûte deux fois plus cher que Damas-Casablanca, les Syriens préfèrent se rendre dans ce pays pour échapper aux suspicions des moukhabarates de Bachar. La presse algérienne, qui rend compte régulièrement de la situation de ces réfugiés, précise « qu’ils dorment pour la plupart dans les jardins publics, et vivent de la mendicité ».
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Exode
D’après le haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, cent mille Syriens ont fui leur pays en août. Il s’agit de l’exode le plus important sur un mois, depuis le début du soulèvement en Syrie, en mars 2011. Selon Badr El Hamoui, membre du Comité de soutien au peuple syrien pour le changement, « de nombreux Syriens sont régulièrement interpellés, pour séjour irrégulier ou pour mendicité, par les services de sécurité et présentés aux juges des tribunaux algériens. [...] Ceux qui ont encore sur eux de l’argent préfèrent tenter leur chance du côté du Royaume. Pour l’équivalent de 1 000 dollars, des passeurs se chargent de les accompagner jusqu’à Oujda à travers la frontière algéro-marocaine », ajoute-t-il. Ces Syriens, qui vivent dans des conditions très pénibles, ont pour certains d’entre eux, le vague souvenir d’un parent résidant dans une ville du Maroc. Ou bien ils espèrent bénéficier de la compassion et de la sympathie des Marocains envers les Syriens menacés dans leur pays. Pour faire face à l'afflux de dizaines de Syriens à la frontière Est du pays, les autorités sont en alerte maximale.
Abdellatif El Azizi |