La maladie du cheikh nâest plus un secret. Dans les coulisses, on aiguise les dagues, chacun se positionnant pour lui succĂ©der. Ambiance.
La rĂ©cente condamnation de Abdelwahed Hilali, le frĂšre de Nadia Yassine, Ă six ans de prison pour traïŹc de drogue par le tribunal de premiĂšre instance de TĂ©touan, aura-t-elle une inïŹuence sur les chances Ă la succession de la ïŹlle de Abdeslam Yassine ? « On ne croit pas tellement Ă cette histoire, câest un coup montĂ© », sâindignent des adlistes.
Sauf que la puretĂ© originelle dont se targue la famille du cheikh est quelque peu Ă©cornĂ©e par cette affaire Ă un moment oĂč les interrogations sur la succession de lâaumĂŽnier gĂ©nĂ©ral dâAl Adl Wal Ihssane sont exacerbĂ©es par la dĂ©gradation de son Ă©tat de santĂ©. Avant mĂȘme le dĂ©cĂšs du cheikh, les prĂ©tendants au trĂŽne sâaffairent dans les coulisses.
Qui, au sein de la famille Yassine ou parmi les caciques de la jamaĂą, raïŹ era la mise ? FeutrĂ©e mais fĂ©roce, la guerre de succession est engagĂ©e bien avant mĂȘme le dernier voyage du patriarche. VoilĂ des mois que sâaiguisent les dagues. Il ïŹ otte sur la mouvance islamiste un parfum dĂ©lĂ©tĂšre de coup dâĂtat qui pourrait prendre de court les pronostics les plus sereins.
Placer sa préférée
Le cheikh qui caresse certainement le rĂȘve inavouĂ© de placer sa prĂ©fĂ©rĂ©e Ă la tĂȘte de la mouvance aurait volontiers, pour peu que la jamaĂą fĂ»t mĂ»re pour une telle audace, transmis le sceptre Ă sa ïŹlle. Pour autant, rien nâest acquis. En effet, Nadia Yassine, malgrĂ© une Ă©loquence sĂ©duisante, est handicapĂ©e par son impopularitĂ© auprĂšs du « petit peuple de la jamaĂą » qui la tient en haute suspicion.
LâaĂźnĂ©e des Yassine est afïŹigĂ©e dâune double tare, celle dâĂȘtre une femme (dans la logique mĂȘme des mouvements islamistes, une femme ne pourrait remplir le rĂŽle dâhĂ©ritier spirituel du cheikh) et celle dâĂȘtre un peu trop moderne au goĂ»t de la majoritĂ© des disciples. MĂȘme si son Ă©poux, Abdellah Chibani, un membre inïŹuent de la mouvance, la soutient activement dans sa quĂȘte du pouvoir. Sans oublier lâaversion quâinspire, au sein dâune grande partie des militants adlistes, le scĂ©nario dynastique.
Dans la hiĂ©rarchie, le Cercle politique, avec Ă sa tĂȘte le redoutable Mohamed Abbadi, et le Conseil de lâorientation, chasse gardĂ©e de Abdelwahed Moutawakil , sont dĂ©terminĂ©s Ă ne laisser aucune chance au clan familial. Ces derniers, ainsi que Fathallah Arsalane, le communicateur en chef du mouvement, essaient de tirer proïŹt du silence du cheikh â qui continue Ă maintenir le suspense sur sa successionâ pour se positionner. Chaque fausse alerte concernant la santĂ© du chef des islamistes est lâoccasion pour les forces en prĂ©sence de maximiser leurs chances pour la prise du pouvoir au sein du mouvement.
La gravitĂ© de lâĂ©tat du guide spirituel ne ïŹgure dâailleurs sur aucun bulletin de santĂ© puisque les mĂ©decins qui le suivent pas Ă pas appartiennent eux-mĂȘmes Ă la mouvance et sont tenus au secret, plus par allĂ©geance Ă leur gourou que par souci professionnel. Mais il est acquis que le cheikh traĂźne, en plus dâune tuberculose mal soignĂ©e et de rhumatismes aggravĂ©s par ses multiples sĂ©jours dans les geĂŽles de Hassan II, bien dâautres pathologies.
Pour Ă©viter que ses ennuis de santĂ© ne soient Ă©talĂ©s au grand jour, il y a trois ans, cheikh Yassine avait quittĂ© son ancienne villa Ă Hay Essalam Ă SalĂ©, trop exposĂ©e aux oreilles indiscrĂštes et aux allĂ©es et venues des agents des services de renseignements, pour sâinstaller dans une villa somptueuse mais discrĂšte du quartier Souissi Ă Rabat, cĂŽtoyant les gĂ©nĂ©raux et les hauts responsables politiques.
Maintenir lâunion sacrĂ©e
Reste quâau sein mĂȘme de la mouvance, mĂȘme si chacun de ces poids lourds rĂȘve, le matin en taillant sa barbe, du fauteuil en or que laissera Yassine, il semblerait que tout ce beau monde ait intĂ©rĂȘt Ă faire front commun pour maintenir lâunion sacrĂ©e. Ă en croire les adlistes les plus aguerris, Ă lâapproche du grand soir, les prĂ©tendants auront vite fait dâenterrer leurs querelles avant de sceller un pacte de non-agression.
Une union sacrĂ©e dictĂ©e par lâintĂ©rĂȘt supĂ©rieur du clan qui ne veut en aucun cas ouvrir la porte Ă une implosion de la mouvance, une fois le guide parti. Car derriĂšre cette agitation, il y a aussi et surtout une histoire de gros sous. Non seulement Yassine est assis sur une fortune considĂ©rable mais les dons et les cotisations des membres de lâassociation engraissent le Cercle politique et le Cercle dâorientation alors que la famille Yassine roule carrosse. « En cas de dĂ©cĂšs de Yassine, ses lieutenants sâarrangeront pour faire vivre la mouvance sur le souvenir du cheikh ; lâessentiel pour eux, câest de ne pas perdre les rentrĂ©es dâargent qui proviennent des cotisations, de lâaumĂŽne lĂ©gale amassĂ©e auprĂšs de la population et des Ă©normes dons provenant des disciples et sympathisants de lâĂ©tranger, sachant quâune grosse partie de cet argent est redistribuĂ©e Ă la famille et aux membres de la hiĂ©rarchie de la jamaĂą », explique lâislamologue SaĂŻd Lakhal.
Abdellatif El Azizi |