L’inoxydable maire de Fès et tout-puissant président de l'UGTM accumule les déboires. Ses ennemis se multiplient et la guerre de succession pointe.
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Chabat serait-il devenu le nouveau pestiféré de la classe politique ? Celui que tout le monde courtisait ardemment ne rassemble plus les foules. Empêtré dans plusieurs procès impliquant ses fils, le tribun de l'Istiqlal continue certes de ruer dans les brancards mais apparemment sans grande conviction. Après Nabil et Yassine qui ont leur lot de démêlés avec la justice, est venu le tour de Naoufal, le fils aîné, qui a été condamné début mai à trois ans de prison ferme pour détention et trafic de cocaïne. Et ce, au moment où le procès de Nidal, le fils cadet du maire de Fès accusé de détenir une voiture importée de l’étranger avec des documents administratifs falsifiés, est toujours en cours. Alors que Chabat se prépare à parer d'autres coups bas, la question de savoir qui veut la peau de l’édile de Fès, à la réputation sulfureuse, revient avec insistance.
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Une affaire aux relents politiques ?
Comment Chabat, véritable vedette politique, est-il devenu subitement l’homme à abattre ? Quand on cherche à décrypter ces procès à répétition, la réponse n’est guère évidente. Les fils Chabat ne sont pas des enfants de chœur. Comme la plupart des enfants des puissants, ils vivent dans l’impunité absolue, et leurs frasques à Fès relèvent du domaine public. « Il n’est pas exclu qu’ils se situent souvent à la limite de la légalité mais, sur un point au moins, Chabat a raison de dénigrer le principal témoin cité dans le procès de Naoufal pour trafic de drogue : le dénommé "Zyatra", un personnage interlope, tantôt indicateur de police tantôt dealer. D’autant plus que tout le monde sait qu’à Fès, Chabat est trop craint pour que quiconque s’avise de témoigner contre lui », explique une source judiciaire locale. Les arguments de campagne électorale reviennent souvent dans la bouche du maire de Fès qui rappelle que le scénario est désormais classique. A l'approche de chaque échéance électorale, « une affaire Chabat », avec un procès à la clé, est servie à l'opinion publique. Les faits semblent lui donner raison, puisque les communales qui s'annoncent très serrées représentent désormais un duel impitoyable pour toutes les formations politiques, en raison des enjeux financiers et politiques énormes du découpage régional qui devrait précéder les élections locales. Pour le maire, il n’y a pas de doute, c’est le PAM qui est derrière la campagne qui le vise. Ilyas El Omari est cité nommément comme étant l’instigateur des « harcèlements » dont sont victimes les membres de sa famille. Ce dernier a d’ailleurs demandé que le ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid, fasse une enquête sur les propos de Chabat qui a émis de gros doutes au passage sur l’intégrité des juges de Fès.
Le secrétaire général du PAM, Mustapha Bakkoury a, de son côté, demandé officiellement des éclaircissements sur les propos de Hamid Chabat.
Chabat a-t-il de nombreux ennemis ? Il s'agit-là d'un doux euphémisme puisque l'homme, d'une intelligence machiavélique, traite avec tout le monde. Mais il ne se prive pas de mouiller ses partenaires que ce soit en politique ou dans les affaires. « La plupart des ennemis les plus farouches de Chabat faisaient partie de ses intimes dans la gestion des affaires communales et s'ils brûlent tous d'envie de faire tomber leur ancien patron, ils n'ont pas le courage de franchir le pas en raison de leur implication dans les montages financiers douteux de la mairie. Et cela vaut autant pour la majorité que pour l'opposition », affirme un conseiller de l'opposition.
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Chahuté même au sein de l’Istiqlal
Même à l'intérieur de son propre parti, l’Istiqlal, Chabat n'a pas que des amis, loin de là . La lutte pour la prise de pouvoir entre plusieurs clans a amené son lot de vengeances. Le remaniement des instances dirigeantes du parti au cours du prochain congrès réservera certainement des surprises au patron de l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), de plus en plus chahuté par les bases.
Samedi dernier, c'est à l'ouverture du congrès régional de Kénitra pour désigner les congressistes et les membres du conseil national qui trancheront sur la question de la succession à Abbas El Fassi, que la popularité de Hamid Chabat a été mise à rude épreuve. Abdellah Bekkali, qui devait présider les travaux du congrès, a dû battre en retraite devant la charge violente des anti-Chabat qui ont accusé la direction du parti « de chercher par tous les moyens à faire passer des congressistes à la réputation sulfureuse qui roulent pour Chabat ». Là aussi, une certaine aigreur parmi les camarades de Chabat dont beaucoup ne voient pas d’un bon œil l’hégémonie de ce « parvenu » sur le parti des « Fassis » au moment où Abbas El Fassi est contraint de rendre le tablier. Chabat a-t-il une chance de succéder à ce dernier à la tête de l'Istiqlal ? « Certainement pas, puisque non seulement l’homme a besoin de la bénédiction du Palais, mais il doit de plus avoir raison du mépris des grandes familles qui tiennent l’Istiqlal », analyse un cadre du parti. Reste au puissant patron de l’UGTM le loisir de placer ses hommes au bureau politique et à la jeunesse du parti.
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Des dossiers explosifs
Cela fait certes beaucoup d’ennemis en face de Chabat, qui ont presque tous un compte personnel à régler avec le locataire de la mairie de la capitale spirituelle, mais ils ne sont pas les seuls. L'édile de Fès, qui traite d’égal à égal avec les gros requins de l’immobilier, aurait des soucis à se faire maintenant que le foncier est l’objet d’enjeux énormes dans la province. Réglements de compte sur fond de dossiers immobiliers ? Possible. Plus qu’ailleurs, à Fès, en raison de la proximité de la route du kif, sur le terreau favorable de l’immobilier, se développent, sous la forme de réseaux d’influence, des associations informelles entre des personnalités du monde du haschich, des affairistes, des fonctionnaires et des élus. Ici, pour l’acquisition d’un terrain, l’obtention de dérogations, la réalisation d’une promotion immobilière juteuse, le blanc-seing du maire et celui du wali sont incontournables. On retrouve dans ce système opaque où règne une forte omerta, des hommes de main, des promoteurs immobiliers qui ne sont pas forcément ripoux mais qui ferment les yeux sur l’origine de l’argent débloqué par leurs donneurs d’ordre, des banquiers, des fonctionnaires de l’urbanisme. Sans oublier les policiers qui feignent d'ignorer ces transactions douteuses... Contrairement aux mafias étrangères, à de rares exceptions près, nos barons du haschich n’ont pas recours à la terreur pour faire régner leur loi, mais tiennent tout le monde à distance grâce à la corruption.
A un certain niveau d’investissement, l’argent sale recyclé dans ces affaires « légales » prend forcément une autre couleur. « C’est à une sorte de Monopoly géant auquel se livrent les narcotrafiquants qu’ils soient de Taounate ou de Ketama ; les hommes d’affaires et les hommes politiques, achetant des biens immobiliers, des commerces divers , des pans entiers de l'économie locale sont peut-être gangrenés par l'argent sale mais qui peut le prouver, histoire de s’attaquer à la pieuvre ? », se désole un gradé de la police qui a récemment quitté la capitale spirituelle. Finalement, si à Fès, Hamid Chabat détient toujours un pouvoir absolu, les rancœurs accumulées au cours d'une gestion communale autocratique de plusieurs décennies et une culture de fier-à -bras du syndicalisme ont fini par exacerber la guerre de succession déjà ouverte à la tête de la mairie.
Abdellatif El Azizi |