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CommĂ©morations : Abdelkrim n’est pas mort  
actuel n°145, vendredi 8 juin 2012
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Mohammed Ben Abdelkrim el-Khattabi,  l'Ă©mir du Rif, n’était pas seulement un rĂ©sistant ; il Ă©tait aussi le premier idĂ©ologue du Grand Maghreb.


 

Des drapeaux des cinq pays du Maghreb qui flottent sur une bâtisse dans un quartier populaire de la vieille Kasbah de KĂ©nitra, le spectacle a de quoi attirer la curiositĂ© des passants dans l'atmosphère lourde de cet après-midi du 1er juin. A l’intĂ©rieur, se tient une table ronde organisĂ©e par la Fondation Sidi Mchiche Alami sur « La pensĂ©e de Abdelkrim el-Khattabi et le grand Maghreb arabe ». Les ambassadeurs des pays qui ont fait le dĂ©placement Ă©coutent Hassan Aourid ouvrir le bal, expliquant avec force dĂ©tails le parallèle Ă©tabli entre le hĂ©ros du Rif et l’émir Abdelkader. Pour l’ancien historiographe du Royaume, si l’émir Abdelkader fut l’un des plus grands hommes d’Etat dans l’histoire de l'AlgĂ©rie contemporaine et le chef de la rĂ©sistance contre le colonialisme français entre 1832 et 1847, Mohammed Ben Abdelkrim el-Khattabi fut celui qui a dit non aux colons espagnols et dont la pensĂ©e politique axĂ©e sur le Grand Maghreb est restĂ©e vivace plusieurs dĂ©cennies  après sa mort.

 

« Effectivement, après la guerre du Rif et son exil au Caire en 1947, el-Khattabi va consacrer ce qu’il lui restait à vivre à produire une importante littérature sur ce qu’il estimait être sa vision du Grand Maghreb », explique le docteur Mchiche Alami. Abdelkrim el-Khattabi commence d’abord par proclamer sa fidélité au sultan chérifien dans son combat pour recouvrer l’indépendance du Maroc, ensuite à Allal El Fassi qui était venu le voir au Caire dans la même année. Il explique ainsi qu’il fallait soutenir le roi pour bouter les colons hors du pays. Mais derrière ce souci de resserrer les rangs, se cachait aussi le souhait d’attiser la flamme maghrébine dans le cœur des leaders politiques de l’époque. Dans la capitale égyptienne, il va commencer par former des étudiants nord-africains à la guérilla contre le colonialisme. Ces commandos devaient eux-mêmes, une fois de retour au pays, former des cadres militaires dans la perspective d’une insurrection généralisée dans les trois pays du Maghreb. Sur le plan politique, l’émir va jouer le médiateur entre les différents mouvements nationalistes maghrébins pour qu’ils forment un bloc uni dans la lutte anti-colonialiste dans les trois pays. C’est la raison pour laquelle il va lancer, le 9 décembre 1947, le Comité de libération du Maghreb arabe au Caire. Il en devient le président alors que la vice-présidence revint à son frère M'Hamed El-Khattabi.

 

El-Khattabi le fédérateur

Surnommé par ses pairs « le héros national du Maghreb arabe », il fut élu président du Comité alors qu’un certain Habib Bourguiba représentait la Tunisie, en plus des Allal El Fassi, Abdelkhalek Torres et Mekki Naciri pour le Maroc et Chadli El Mekki pour l’Algérie. Seul le PPA représentait l’Algérie au sein du Comité. Le 5 janvier 1948, l’émir lança un manifeste contresigné par les représentants des principaux partis nationalistes maghrébins, afin de coordonner la lutte pour l’indépendance de l’ensemble de l’Afrique du Nord.

Alors qu' il avait exprimé un enthousiasme fervent pour la création de ce Comité de libération du Maghreb arabe, Mohammed Ben Abdelkrim el-Khattabi délaissa cette coquille vide dès qu’il se rendit compte que les autres leaders nationalistes maghrébins, au lieu de servir la cause du Maghreb, s’en servaient pour s’enrichir. Il leur reprocha notamment « d’avoir amassé de l’argent pour le Mouvement national et de l’avoir dépensé à leur façon dans une lutte qui s’est limitée à la ville du Caire et à l’impression de luxueuses publications ».

Malgré l’échec de la coordination de la lutte anti-colonialiste au Maghreb, Abdelkrim el-Khattabi ne voyait pas l’avenir de la région sans une indépendance effective et simultanée de tous les pays du Maghreb. Ainsi, le 4 mai 1956, il s’insurgea contre la décolonisation des trois pays du Maghreb qui commençait à être traitée séparément. « Nous n’acceptons pas de solution de compromis en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. Nous voulons l’indépendance totale », clama l’émir qui s’activait pour que Marocains et Tunisiens soutiennent la révolution algérienne. Celle-ci devait amorcer selon lui une révolution maghrébine qui ouvrirait la porte au fameux Grand Maghreb dont rêvent encore les nostalgiques de l’unité arabe.

Abdellatif El Azizi

Madrid/Rabat

Le fantĂ´me de Khattabi

 

On ne se débarrasse pas aussi facilement d’une icône comme Mohammed Ben Abdelkrim el-Khattabi. En plus des diverses rencontres sur la pensée politique du personnage – en marge de celle de Kénitra, une autre table ronde s'est tenue le même jour à l'initiative du Centre de recherche Bensaïd Ait Idder sur « Abdelkrim et la guerre du Rif » –, le lion du Rif fait l’objet d’une polémique qui commence à enfler entre l’Espagne et le Maroc. A l'origine de cette polémique, une cérémonie organisée par le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, qui vient de décerner la plus grande décoration militaire de son pays au 14e régiment des chasseurs d’Alcantara pour son action « héroïque » durant la bataille historique d’Anoual en 1921. Or il est admis que cette bataille a marqué le début de la Guerre du Rif (1921-1927) qui a opposé des résistants rifains mené par Mohammed Ben Abdelkrim el-Khattabi à deux puissantes armées européennes, l’espagnole et la française. Dans cette guerre, fut utilisé, sur ordre du roi Alphonse XIII, du gaz moutarde contre la population civile rifaine.

Alors que le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, spécialiste du Maghreb, s’interroge sur une commémoration aussi tardive que « bizarre » craignant que cette distinction ne ravive de vieux démons entre les deux pays, le Centre marocain de la mémoire commune et de l'avenir, qui milite pour le jugement pénal du gazage du Rif par les Espagnols, dénonce un acte de « provocation » gratuit.

« Nous condamnons bien entendu cette commémoration qui vise à célébrer non seulement la colonisation mais également des actes barbares hautement criminels commis par des militaires espagnols », s’insurge Abdeslam Boutayeb, le président dudit centre.

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