A la mode aux Etats-Unis, ces cercles de réflexion supposés « indépendants » occupent de plus en plus le devant de la scène politique marocaine.
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Malgré le parapluie paternel et une médiatisation à outrance, ce n’est pas le fameux Institut Amadeus auquel émarge Brahim Fassi Fihri, le fils du ministre des Affaires étrangères, qui a eu les honneurs du dernier classement annuel de l’Université de Pennsylvanie concernant les think tanks les plus influents dans le monde. Le primé 2009 est le timide Centre d’études et de recherches en sciences sociales (CERSS). Ce think tank marocain, classé premier au Maroc et qui occupe le 22e rang dans la région Mena en 2009, travaille dans l’ombre de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’université Mohammed V de Rabat. Une structure créée en 1993 par un groupe d’universitaires, de chercheurs et de praticiens en sciences sociales pour servir les besoins en recherche de l’université. Avant que l’ex-ministre de l’Education, Abdellah Saaf, et l’universitaire de renom, Amina Messaoudi, siégeant au conseil d’administration du centre, ne lui donnent une impulsion avec des thèmes de recherche axés sur les mutations politiques du Maroc.
Depuis la mort de Hassan II, le nombre de think tanks a explosé au Maroc. En moins d’une décennie, nombre de fondations, d’instituts et de centres de recherche ont vu le jour. Certains avec un sérieux coup de pouce comme le dernier-né Amadeus qui a pu asseoir sa notoriété trop vite pour être véritablement crédible. D’autres, bien plus indépendants, survivent grâce aux maigres ressources de l’aide internationale comme le CERSS récemment primé. Les grandes entreprises se sont également mises de la partie en lançant leurs propres structures, comme la Fondation ONA ou encore l’Institut OCP, « un espace d’échanges destiné à favoriser la réflexion, anticiper les évolutions et promouvoir la notion d’entreprise citoyenne », comme le précise le groupe.
A gauche comme Ă droite
Think tank : les politiques les plus branchés fréquentent assidûment ces centres quand ils n'en sont pas tout simplement les maîtres d’oeuvre. A gauche, la fondation Bouabid, baptisée du nom du cofondateur (avec Ben Barka) de l’USFP, organise régulièrement des débats sur l’avenir de la gauche. Le président, Ali Bouabid fait partie de la jeunesse du parti qui appelle à des réformes urgentes de la gauche sans pour autant s’attaquer aux fondamentaux de l’USFP.
A droite, le MTD (Mouvement pour tous les démocrates) créé par Fouad Ali El Himma avait pour ambition première de « réunir des citoyennes et des citoyens de divers horizons professionnels, intellectuels et culturels, et de différentes sensibilités politiques et associatives pour examiner les défis, questions, enjeux et attentes se rapportant à la situation politique nationale, y compris les enseignements des dernières élections législatives ». Les Aziz Akhannouch, Mustapha Bakkoury, Salah El Ouadie et confrères qui forment le noyau dur n’avaient pas caché leur ambition de voir le MTD devenir « le premier think tank de la droite libérale » avant que les ambitions politiques des uns et des autres n’en fassent un simple tremplin pour favoriser la naissance du PAM. Quant aux islamistes, ils ont désormais leur Centre marocain des études et des recherches contemporaines (CMERC), une structure proche du Mouvement unicité et réforme (MUR) qui n’est autre que la face cachée du PJD.
Opportunisme
Le CMERC a créé la polémique au lendemain de sa naissance en présentant son premier rapport consacré à la « situation religieuse au Maroc ». Non seulement ce rapport soulignait « un éveil religieux au Maroc », ce qui a provoqué l’ire des laïcs, mais tirait à boulets rouges sur le soufisme, se mettant à dos les boutchichis entre autres. Ce qui fait dire à Mohamed Darif que « la médiatisation à outrance de ce rapport signait en réalité l’acte de naissance du think tank du PJD. Ainsi, il faut voir au-delà du contenu de ce rapport, une tentative du Centre marocain des études et des recherches contemporaines d’occuper les devants de la scène médiatique ».
Si le phénomène est relativement nouveau, les finalités de ces nouveaux think tanks ne sont pas exemptes d’opportunisme puisqu’ils sont souvent utilisés par leurs promoteurs pour se refaire une nouvelle virginité. Il s’agit le plus souvent d’instruments permettant à des acteurs politiques en mal de popularité de mobiliser les ressources de leur parti pour tenter de s’emparer de l’appareil partisan. Conclusion, on attendait des think tanks de partis politiques, on se retrouve avec des think tanks de leaders politiques.
Abdellatif El Azizi |
Le Maroc parent pauvre ?
Le Global « Go-to Think Tanks » a été élaboré grâce à la contribution de 1 200 experts, universitaires, décideurs politiques et représentants d’ONG. Pour choisir les candidats primés, les experts ont pris en compte la capacité à attirer les meilleurs chercheurs et experts, la réputation académique, l’aptitude à se positionner comme un lieu ou un acteur central du débat public… Au total, le Maroc comme la Tunisie sont crédités d’une dizaine de think tanks qui valent le détour, alors que l’Egypte en compte 29, la Palestine 19 et le Liban 11. Dans le monde arabe, le think tank le plus influent est libanais, le Carnegie Middle East Center, suivi de l’égyptien El Ahram Center for Strategic and Political Studies.
Le rapport recense 6 305 think tanks à travers le monde dont l’Amérique du Nord rassemble à elle seule 30 %, l’Europe occidentale 28 %, et l’Asie 19 %. Viennent ensuite l’Amérique latine (10 %), l’Europe de l’Est (9 %), l’Afrique (8 %), le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (4 %), puis l’Océanie (1 %)… |
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