Comme si de rien nâĂ©tait, le RNI a ignorĂ© le Printemps arabe, la nouvelle Constitution et ses crises internes pour organiser, dans le faste, un congrĂšs sans enjeu, sans surprise et bien loin des shows Ă lâamĂ©ricaine de la campagne... Reportage.
Bienvenue chez les bleus qui tiennent leur cinquiĂšme congrĂšs. Le cinquiĂšme sur une durĂ©e de vie de trente-trois ans. Car le parti de la colombe nâaime pas trop se renouveler. Et quand il se trouve contraint de tenir un congrĂšs (mauvais rĂ©sultats aux Ă©lections et loi sur les partis obligent), il joue le jeu Ă contrecĆur et se dĂ©brouille pour reconduire les mĂȘmes visages, sans prendre le temps d'Ă©valuer leur bilan.
Vendredi 27 avril, 16hâ: le congrĂšs sâouvre dans une atmosphĂšre plutĂŽt morose. La salle couverte Moulay Abdellah, adjacente au stade de foot du mĂȘme nom, Ă Rabat, est assiĂ©gĂ©e par des dizaines de policiers et de vigiles en costumes sombres. Ces derniers vous scrutent dâabord, puis contrĂŽlent votre badge avant de vous autoriser l'accĂšs. «âOn se la pĂšte bien chez le RNIâ», commente un journaliste, pas trĂšs content de lâaccueil quâon lui a rĂ©servĂ©. Mais bon, qu'importent les formalitĂ©s, ce sont les travaux qui comptent. A lâentrĂ©e de la salle principale, Salaheddine Mezouar, entourĂ© des tĂ©nors du parti, pose souriant devant les camĂ©ras des journalistes. Il nây en a que pour lui. Son concurrent, Rachid Sassy, est un outsider. IsolĂ© loin de la foule, il se plaĂźt Ă papoter avec quelques militants. Pas trĂšs rassurĂ©, il nous confie quâil est loin dâavoir la cote. 16h30â: congressistes et invitĂ©s arrivent au compte-gouttes, mais apparemment le rĂ©sultat est connu d'avance. Mezouar sera le «ânouveauâ» prĂ©sident.
La premiĂšre journĂ©e est marquĂ©e par les interventions dâusage et les photos de famille des guest stars, dont Abdelilah Benkirane, venu en sa qualitĂ© de chef de gouvernement. La nuit tombĂ©e, place aux dĂ©bats, pas trĂšs sereins, sur la plateforme politique, des discussions mouvementĂ©es qui se prolongent jusquâau petit matin pour accoucher d'une orientation social-dĂ©mocrate. La mĂȘme idĂ©ologie que celle adoptĂ©e par le parti en 1983...
Samedi 28 avril, 13hâ: câest lâheure du dĂ©jeuner. Deux tentes caĂŻdales sont rĂ©servĂ©es aux 3â000 hĂŽtes, rĂ©unis par groupe de dix autour de chaque table. En attendant que le repas soit servi, les «âmilitantsâ» patientent en chantant et en tapant sur la table. Certains font connaissance, tandis que dâautres prĂ©fĂšrent parler de tout⊠sauf de politique ou du RNI. On a lâimpression dâassister davantage Ă un mariage qu'au congrĂšs dâun parti. Un parti dâopposition qui plus estâ! Bon nombre d'«âinvitĂ©sâ» ne sont mĂȘme pas au courant de lâexistence dâun candidat face Ă Mezouar, lequel profite de la pause dĂ©jeuner pour se prĂ©senter aux congressistesâ! «âRachid Sassy nâest pas connu au sein du parti, hormis chez les gens de Rabatâ», croit savoir un rniste de la section de Casablanca.
Â
Pas dâaccord ? DĂ©gage
AprĂšs un bon repas (pastilla et mĂ©choui) arrosĂ© de thĂ© Ă la menthe, les congressistes reprennent les dĂ©bats. La plupart nâont aucun sens de la mesure. Injures, bousculades et coups de poing Ă©taient au menu pour exprimer son opinion.
Un congressiste sâest mĂȘme Ă©vanoui lors du «âdĂ©bat dâidĂ©esâ». En cause, des articles litigieux dans les nouveaux statuts du parti, en particulier le texte dĂ©finissant les prĂ©rogatives du conseil national, jusque-lĂ sans pouvoir. «âLe conseil national est appelĂ© Ă jouer un rĂŽle plus important Ă lâavenir. Il remplacera le comitĂ© central qui Ă©tait entre le conseil et le bureau politiqueâ», nous explique Anis Birou, du bureau politique.
Les congressistes sont divisĂ©s (ou plutĂŽt fĂąchĂ©s) en raison de lâarticle 34 fixant les attributions du conseil, notamment le droit de valider ou non les alliances du parti, mais aussi et surtout la participation ou non au gouvernement. «âNous avons votĂ© ces deux prĂ©rogatives Ă lâunanimitĂ©, le soir de la premiĂšre journĂ©e. Mais lors de lâapprobation, les dirigeants du parti ont fait enlever la partie de lâarticle qui stipulait que le conseil avait le droit de dĂ©cider de la participation ou non au gouvernementâ», confie Jamal Aujjar, qui nâest autre que le frĂšre de Mohamed Aujjar, lâinfluent membre du bureau politique. Jamal avait tentĂ© dâattirer lâattention du bureau sur cette question peu avant le vote, mais câĂ©tait sans compter avec la foule hystĂ©rique qui lui a intimĂ© l'ordre de «âdĂ©gagerâ» sans mĂȘme entendre ce quâil avait Ă direâ! MaĂąti Benkaddour (ancien prĂ©sident de la deuxiĂšme Chambre), qui animait la sĂ©ance, a profitĂ© du cafouillage pour lui assĂ©nerâ: «âLa majoritĂ© a fait son choix, câest la dĂ©mocratie.â»
Mais le rĂ©sultat nâest pas trĂšs dĂ©mocratique... Car le RNI, contrairement Ă lâIstiqlal, lâUSFP ou encore le PPS, veut que sa participation au gouvernement ne dĂ©pende que du bon vouloir des trente membres du bureau politique, et non pas des 800 membres du conseil nationalâ! A l'image de ce que vient de faire Mezouar en optant pour lâopposition sans mĂȘme prendre le soin de consulter les militants de son parti.
Lâautre grand point de discorde est, lui, relatif aux modalitĂ©s dâaccĂšs au bureau politique. Certains voudraient que celui-ci soit conditionnĂ© par au moins un mandat au conseil national, tandis que dâautres sont en faveur d'un accĂšs sans conditions. «âCe nâest pas normal que nâimporte qui puisse ĂȘtre parachutĂ© dans le parti et accĂ©der une semaine plus tard au bureau politique. Câest pour ça quâils ont dĂ©cidĂ© ainsi, sous couvert de volontĂ© dâouvrir le bureau politique aux jeunesâ», tempĂȘte Jamal Aujjar.
Faute de temps, le congrĂšs nâa validĂ© que la moitiĂ© des nouveaux statuts, dĂ©cidant de reporter le reste Ă une date ultĂ©rieure.
Tais-toi, la majorité parle
23h30â: les statuts sont validĂ©s, malgrĂ© lâobjection de Aujjar. La sĂ©ance est suspendue, on va aller dĂźner avant de revenir Ă©lire le «ânouveauâ» prĂ©sident. Au menu, poulet et viande aux pruneaux, dans la pure tradition des mariages marocains. Et les hĂŽtes se comporteront exactement comme lors du dĂ©jeuner. Un seul dĂ©tailâ: Mezouar se rendra sous la tente pour partager le repas avec les congressistes.
De son cĂŽtĂ©, le challenger Rachid Sassy est Ă maintes reprises sollicitĂ© pour des conversations en apartĂ©. «âOn lui demande de se retirer, mais il ne veut pasâ», murmure-t-on. Impossible Ă vĂ©rifier. Toutefois, il semble que la candidature de Sassy cache une candidature unique qui ne veut pas dire son nom. Pourquoi ce choix alors que le RNI regorge de cadresâ? Pour Rachid Talbi Alami, «âcâest le choix des autres de ne pas se prĂ©senter. Ils sont libres. Je vous assure quâaucune forme de pression nâa Ă©tĂ© exercĂ©e sur les militantsâ». MĂȘme son de cloche chez Anis Birou, qui va plus loin. «âLa prĂ©sidence du RNI nâest pas le principal enjeu. Câest la nouvelle organisation du parti qui compteâ», estime-t-il. Et d'ajouterâ: «âCertains pensent que depuis la naissance du mouvement rectificatif, nous nâavons pas eu le temps dâentĂ©riner et de mener certaines rĂ©formes initiĂ©es par Mezouarâ», et qu'il faut donc le reconduire pour achever le travail.
Mais des membres invoquent dâautres raisons. «âLes cadres du parti ne veulent pas risquer le tout pour le tout. Il prĂ©fĂšrent soutenir Mezouar et nĂ©gocier un poste Ă responsabilitĂ©, plutĂŽt que de se prĂ©senter contre lui et prendre le risque de se faire grillerâ», nous confie sous couvert d'anonymat un ancien membre du parti. Un avis partagĂ© par Rachid Sassy qui nâexclut pas «âque le parti soit encore gĂ©rĂ© de lâextĂ©rieur et que la hiĂ©rarchie obĂ©isse Ă des instructions venant dâen hautâ».
Quoi quâil en soit, les rnistes prĂ©sents au congrĂšs avaient tous lâair de soutenir Salaheddine Mezouar⊠au point dâempĂȘcher Rachid Sassy dâaller voter. «âDĂ©gageâ» criait la foule, quand celui-ci voulait rejoindre lâisoloir, au milieu dâun dĂ©sordre total. Car, au moment du vote, lâorganisation a fait cruellement dĂ©faut. A tel point que beaucoup ont commencĂ© Ă penser que câĂ©tait prĂ©mĂ©ditĂ©. Seize bureaux de vote (un pour chaque rĂ©gion) ont Ă©tĂ© mis en place. Les Ă©lecteurs agglutinĂ©s autour des isoloirs se bousculaient pour ĂȘtre les premiers Ă voter. Tous avaient presque un seul argumentâ: «âLaissez-moi voter, je veux rentrer dormir.â» Dâailleurs, les trois quarts de lâassistance avaient dĂ©jĂ quittĂ© les lieux au moment du dĂ©pouillement. Et seuls quelques fidĂšles sont restĂ©s cĂ©lĂ©brer lâannonce des rĂ©sultats et porter Salaheddine Mezouar sur leurs Ă©paules. «â1â192 voix pour Mezouar contre 115 pour Sassyâ»... Voila, au moins, une information quâon ne connaissait pas par avance.
Ali Hassan Eddehbi |