Au moment de son adhésion au gouvernement, le PPS a soulevé un tollé, y compris à l’intérieur de ses rangs. Les défenseurs de la participation au gouvernement ont fini par faire prévaloir leur choix, mais ils se retrouvent vite rattrapés par les effets d’un mariage, a priori, contre nature.
Le Parti du progrès et du socialisme (PPS) devrait-il regretter son choix d’avoir participé au gouvernement de Abdelilah Benkirane ? Il y a quelques semaines, les responsables du parti du PPS auraient trouvé pernicieux de leur adresser une telle question. Aujourd’hui, quand on la leur pose, ils la retournent dans tous les sens, puis répondent le plus normalement du monde : « Tant qu’on est dans le respect de la charte de la majorité et de l’application du programme – ce qui est toujours le cas  – , nous restons dans ce gouvernement, répond, sans détour, M’Hamed Grine, membre du bureau politique du PPS. Après tout, une alliance gouvernementale n’est pas un mariage catholique ! »
Grine n’est d’ailleurs pas le seul à évoquer à demi-mot une défection. Le secrétaire général du parti, Nabil Benabdellah, également ministre de l’Habitat, est lui aussi sorti de son mutisme pour annoncer que « le PPS n’a pas perdu son âme ». Benabdellah se serait également emporté contre son collègue pjdiste, Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, critiquant la décision de ce dernier de décréter de nouveaux cahiers des charges pour les chaînes du pôle audiovisuel public sans y associer les partis de la majorité. Mais ce point n’est, semble-t-il, que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Car cela fait des mois que les ministres PJD multiplient les déclarations qui suscitent la polémique (les propos de Mustafa Ramid sur Marrakech, ceux de Choubani sur Mawazine…), et on se demandait pourquoi le PPS ne réagissait pas. Certains ont même soutenu que les ex-communistes avaient fini par se trouver une place à l’ombre du PJD. Mais le parti du livre a pris tout le monde de court en sortant de ses gonds pour marquer son opposition à son allié de la majorité.
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De gauche ou du Makhzen ?
Pour M’Hamed Grine, il n’ y a pas vraiment lieu de parler de « crise » au sein de la majorité gouvernementale. « Nous avons des divergences idéologiques qu’il est inutile de rappeler. Nos projets de société sont contradictoires, mais nous cohabitons sur la base de deux engagements moraux : la charte de la majorité et le programme gouvernemental », explique-t-il. Furieux contre les « déclarations individuelles de certains ministres PJD », les responsables du PPS savent, néanmoins, raison garder et précisent que « ce n’est pas le gouvernement qui est mis en cause, mais certains ministres ». « Nous n’avons aucun problème avec M. Benkirane, mais c’est contre les agissements de certains de ses ministres que nous nous soulevons », confie un membre du bureau politique du parti du PPS.
Dans une récente sortie médiatique, Benabdellah a carrément rendu « hommage » à Benkirane qui, dit-il, « garde le cap ». Ainsi, le PPS aurait trouvé la manière idéale de faire pression sur le gouvernement PJD, sans que cela n’en ait vraiment l’air : saluer le gouvernement et fustiger ses ministres. Mais, derrière les discours officiels, se cacherait une autre réalité. « Dès la constitution du gouvernement, le PPS avait deux fronts devant lui : le palais et la majorité. Ce qui se passe aujourd’hui n’a rien d’idéologique », explique Youssef Blal, universitaire et également membre du bureau politique du parti. Pour lui, le PJD est tout à fait dans son rôle en entreprenant des réformes légitimes. « Le PPS est aujourd’hui plus le porte-voix du Palais que celui d’un parti de gauche. Le parti est en train de se “pamiser”. » Autrement, s’interroge-t-il, comment expliquer que le PPS se soit opposé à la publication de la liste des agréments de transports alors que c’est une mesure populaire ? « Pourquoi n’a-t-il également pas protesté contre l’absence des femmes dans le gouvernement ? », tonne Youssef Blal.
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Manque d’homogénéité
Un point de vue qui n’est pas partagé par tous. « Quand on parle des partis qui forment la majorité, les qualificatifs de gauche ou de droite n’ont aucun sens. Pour l’actuel gouvernement, il est préférable de parler de partis qui défendent les valeurs de modernité, et de partis conservateurs », estime le politologue Mohamed Darif.
« Au Maroc, il n’y a aucun parti qui affirme être contre la modernité. Le problème est au niveau de l’interprétation des valeurs de modernité et celles des libertés individuelles », explique-t-il.
En effet, l’actuel gouvernement semble être divisé en deux blocs : les ministres PJD qui, dit-on, ne peuvent fonctionner que par un discours populiste, et ceux appartenant aux trois autres composantes de la majorité (Istiqlal, MP et PPS). Pour Darif, « le Maroc a des lignes rouges à ne pas dépasser, qui sont définies par la Constitution… et c’est d’ailleurs pour cela que Nabil Benabdellah est longuement revenu sur la Constitution dans ses déclarations récentes ».
Refusant d’assimiler le PPS a un porte-voix du Makhzen, le politologue estime toutefois que la position de ce parti ressemble à celle d’autres formations, le PAM et le RNI notamment. Le vrai problème selon lui est que l’on assiste à un retour de certaines mauvaises pratiques politiques du passé .
« On n’avait pas de majorité ni d’opposition, chaque ministre se rapprochait de son parti et tirait sur les autres. Et c’est ce que nous avons aujourd’hui », affirme Mohamed Darif qui ajoute que « l’approche participative qu’a voulu introduire Benkirane au sein du gouvernement n’a visiblement rien donné, et les choses continuent de fonctionner exactement comme par le passé, sinon pire »...
Ali Hassan Eddehbi
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