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Interview Azelarab Benjelloun  
actuel 102, vendredi 8 juillet 2011
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« Casablanca n’est la propriĂ©tĂ© de personne ! »

Pour Azelarab Benjelloun, prĂ©sident du conseil rĂ©gional de l’ordre des architectes de Casablanca, il n’est pas question de laisser faire. Si la tranche 2 de la corniche a Ă©tĂ© attribuĂ©e de grĂ© Ă  grĂ©, le conseil est prĂȘt Ă  protester jusqu’à l’arrĂȘt des travaux. Qui aura gain de cause ?


***

actuel : Pour le lancement de la tranche 2 de la corniche qui va jusqu’au Morocco Mall, on Ă©voque un appel d’offres international. En avez-vous entendu parler ?

Azelarab Benjelloun : Non. Et je ne suis pas sĂ»r qu’il existe. Sauf s’ils l’ont encore fait en catimini, dans des publications que personne ne lit, et uniquement en arabe, sous prĂ©texte que c’est la langue officielle.

Pour mettre fin Ă  ces pratiques, il faut revoir la rĂ©glementation. Dans l’état actuel des choses, en tant que prĂ©sident du conseil de l’ordre, je n’ai aucun recours lĂ©gal. Mais si ce projet a, une fois de plus, Ă©tĂ© donnĂ© de grĂ© Ă  grĂ©, il va y avoir du bruit !

Si la deuxiĂšme tranche de la corniche doit ĂȘtre rĂ©alisĂ©e de la mĂȘme maniĂšre que la premiĂšre, on va demander un appel au concours d’idĂ©es. Et s’il n’y a pas de concours d’idĂ©es, on va crier au scandale, jusqu’à l’arrĂȘt du marchĂ© s’il le faut. C’est inadmissible, Casablanca n’est la propriĂ©tĂ© de personne !

Continuer sur la lancĂ©e de la tranche 1 jusqu’au Morocco Mall serait la catastrophe. Surtout que le trottoir, Ă  ce niveau, n’est pas aussi large, et est encore plus frĂ©quentĂ©. Avec des jardiniĂšres au milieu, on va se marcher sur les pieds.

N’oublions pas qu’en face de cette corniche, sont prĂ©vus de gros projets, avec des maĂźtres d’ouvrages privĂ©s, qui ont remportĂ© des appels d’offres rĂ©els et qui vont faire de trĂšs belles opĂ©rations. Et si en face on fait n’importe quoi, et bien on dĂ©truit l’économie marocaine !

 

Et que pensez-vous de l’amĂ©nagement actuel de la corniche ?

L’idĂ©e de rendre la cĂŽte aux piĂ©tons est gĂ©niale – et on l’a applaudie – mais elle n’a pas Ă©tĂ© aboutie. L’amĂ©nagement global tient la route, mais plusieurs Ă©lĂ©ments posent de gros problĂšmes. D’abord le manque de parking.

Pourquoi ne pas avoir crĂ©Ă© un parking souterrain, sur toute la longueur du passage piĂ©ton, qui aurait rĂ©solu tous les problĂšmes de circulation et de parking actuels sans coĂ»ter extrĂȘmement cher, et n’avoir pas fait l’économie des fameuses « boules  » ?

Deux Ă©tĂ©s Ă  peine aprĂšs la fin des travaux, et les vĂ©hicules commencent Ă  stationner sur la droite, sur la piste cyclable ! Celle-ci aurait dĂ» ĂȘtre protĂ©gĂ©e, intercalĂ©e entre deux voies piĂ©tonnes, plutĂŽt que de servir de parking


Et pourquoi pas un couloir rĂ©servĂ© aux taxis ? On peut aussi faire des remarques sur le choix des matĂ©riaux : le marbre de Carrare est un matĂ©riau frileux, qui « boit » Ă©normĂ©ment et, surtout, ne rĂ©siste pas au sel.

Il est tenu par des structures mĂ©talliques, donc aussi sensibles Ă  la corrosion. Ce sont des erreurs qui vont nous coĂ»ter cher. Encore heureux que les fontaines prĂ©vues aient Ă©tĂ© remplacĂ©es par des plantes !

 

Quelle aurait dĂ» ĂȘtre la dĂ©marche Ă  suivre pour Ă©viter de telles erreurs ?

Le gros problĂšme de nos maĂźtres d’ouvrage, c’est qu’ils ne font pas de programmation. A Casablanca, on est dans la communication Ă  outrance ; chaque projet semble avoir Ă©tĂ© pensĂ© comme un coup de com’, sans planification prĂ©alable !

Pour commencer, avant de lancer un tel projet, il faut faire appel Ă  des architectes-programmistes qui rĂ©alisent une Ă©tude sur les problĂšmes et besoins de cette corniche : l’humiditĂ©, le stationnement, etc.

AprĂšs, on lance un concours d’idĂ©es pour recueillir diverses propositions. Un jury reprĂ©sentatif choisit alors un projet puis se rĂ©unit en commission avec le maĂźtre d’ouvrage attributaire pour discuter des changements Ă©ventuels Ă  apporter, et suivre les travaux.

Actuellement, qui surveille de tels projets et s’assure du respect du cahier des charges ?

Le conseil de la ville – maĂźtre d’ouvrage – appointe une commission chargĂ©e d’examiner et, le cas Ă©chĂ©ant, de demander des modifications. Mais cette commission est composĂ©e uniquement de fonctionnaires, de membres des services d’urbanisme, d’architecture et d’amĂ©nagement.

On ne sollicite pas les compĂ©tences extĂ©rieures pour avis, ni les associations de quartier ou de dĂ©fense du patrimoine, ni l’ordre des architectes ou associations d’architectes et d’urbanistes (il y en a une Ă  Casablanca). La critique n’est pas acceptĂ©e car assimilĂ©e Ă  des insultes.

 

Comment se fait-il que personne n’ait entendu parler d’un appel d’offres pour l’amĂ©nagement de la premiĂšre tranche  de la Corniche ?

A ma connaissance, la tranche 1 de la corniche n’a pas Ă©tĂ© attribuĂ©e suite Ă  un appel d’offres, mais par entente directe. Ce qui n’est pas interdit. En effet, la dĂ©cision appartient au maĂźtre d’ouvrage, et aujourd’hui rien ne l’oblige Ă  recourir Ă  un appel d’offres.

Il existe un décret régularisant la passation de marchés publics, mais pas en ce qui concerne cet aspect. Cela fait presque quatorze ans que nous fonctionnons selon une simple circulaire.

Et il y a maintenant plus d’un an que l’on nous affirme que le nouveau dĂ©cret – qui comprendra des dispositions sur l’attribution des marchĂ©s publics aux architectes – « est sur le point d’ĂȘtre approuvé ».(*) Ce dĂ©cret instaurerait le recours obligatoire Ă  un appel d’offres pour les projets dont le coĂ»t dĂ©passe 5 millions de dirhams (reprĂ©sentant 250 000 dirhams d’honoraires pour un cabinet d’architecture).

Mais ce dĂ©cret ne fait pas l’unanimitĂ©...

Il est trĂšs critiquĂ© par les architectes de Rabat et Casablanca car il va entraĂźner des concours Ă  outrance. Les cabinets d’architecture vont devenir des boĂźtes Ă  concours et concevoir des projets le plus rapidement possible, avec un risque de  baisse de la qualitĂ©.

D’autre part, dans la mouture actuelle du texte, l’ordre des architectes n’est pas impliquĂ© dans le processus d’attribution des concours, ne fait pas partie des jurys et n’est pas prĂ©sent lors de l’ouverture des plis.

La dĂ©marche manque donc gravement de transparence. Enfin, ce qui nous inquiĂšte beaucoup Ă  Casablanca, c’est que le dĂ©cret n’oblige pas le maĂźtre d’ouvrage Ă  annoncer le montant du marchĂ©.

Nous acceptons de jouer le jeu si, au moment de l’appel d’offres, l’enveloppe budgĂ©taire du projet est publique. L’opacitĂ© concernant le budget ouvre la voie aux pratiques illicites comme le copinage.

C’est dĂ©jĂ  le cas aujourd’hui puisque quelques confrĂšres s’accaparent toutes les commandes d’un mĂȘme ministĂšre donnĂ©. Or, le but de ce dĂ©cret est d’arrĂȘter le grĂ© Ă  grĂ©. De toute façon, cela fait tellement longtemps que l’on travaille avec une simple circulaire que la promulgation de ce texte serait un mieux indĂ©niable. On va bien voir comment cela va fonctionner, et nous crierons au scandale Ă  chaque attribution de marchĂ© opaque ou illĂ©gale.

Propos recueillis par Amanda Chapon

 

(*) ndlr : au final, le nouveau dĂ©cret sur les marchĂ©s publics ne devrait pas ĂȘtre adoptĂ© avant 2012, aprĂšs la rĂ©forme de la loi organique des Finances.

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