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La CGEM vend son label 
Actuel n°94, vendredi 13 mai 2011
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Le patronat surfe sur la vague du printemps arabe pour inciter les entreprises adhĂ©rentes Ă  devenir citoyennes. L’appel sera-t-il entendu ?


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Tout le PIB marocain Ă©tait reprĂ©sentĂ© aux premiĂšres assises RSE (ResponsabilitĂ© sociale de l’entreprise). Dans une salle archicomble de l’un des palaces de la capitale Ă©conomique, la CGEM a dĂ©montrĂ©, une fois de plus, l’étendue de sa capacitĂ© de mobilisation, Ă  la fois des dĂ©cideurs politiques et des opĂ©rateurs Ă©conomiques. Le thĂšme, il est vrai, est dans l’air du temps.

Et la commission Label RSE de la CGEM a rĂ©ussi lĂ  une belle opĂ©ration de communication. « Si en l’espace de trois ans, notre commission a octroyĂ© le label RSE Ă  36 entreprises seulement, cet Ă©vĂ©nement pourrait provoquer un vĂ©ritable dĂ©collage de la demande », espĂšre Aziz Qadiri, prĂ©sident de la commission ad hoc.

Prendre le train en marche

Plus que jamais, la responsabilitĂ© sociale de l’entreprise s’inscrit dans le droit fil des rĂ©formes engagĂ©es au lendemain du discours royal du 9 mars 2011. Moralisation de la vie publique, avec le renforcement de l’instance de prĂ©vention contre la corruption ; respect des rĂšgles de concurrence, avec la rĂ©habilitation de l’autoritĂ© de concurrence ; et concrĂ©tisation de la rĂ©gionalisation avancĂ©e, avec la consolidation des entreprises dans le dĂ©veloppement local.

Tels sont les chantiers rappelĂ©s par Nizar Baraka, ministre des Affaires Ă©conomiques et gĂ©nĂ©rales. Dans un environnement en Ă©bullition, l’entreprise « doit prendre le train en marche » pour pĂ©renniser son activitĂ©, en adoptant une dĂ©marche socialement responsable. Mais attention, le secteur privĂ© n’est pas le seul concernĂ© par cette dynamique.

Les Ă©tablissements publics doivent, eux aussi, jouer le jeu. Il faut reconnaĂźtre que l’OCP, l’ONCF tout comme l’Office national des pĂȘches ont dĂ©jĂ  montrĂ© la voie. « Mais l’adoption de cette dĂ©marche volontariste relĂšve en premier lieu de l’implication du top management et de sa capacitĂ© Ă  mobiliser ses Ă©quipes, indĂ©pendamment des niveaux de salaires », relĂšve Fouad Benseddik, directeur des mĂ©thodes et relations institutionnelles chez Vigeo Group.

Au moment oĂč le printemps arabe bat son plein, la RSE pourrait ĂȘtre l’instrument idoine pour accĂ©lĂ©rer la dĂ©mocratisation de la sociĂ©tĂ© en facilitant l’ancrage des entreprises locales Ă  la mondialisation. Ce processus est de nature Ă  renforcer leur potentiel de croissance et donc de crĂ©ation d’emplois. Preuve que performance et dĂ©mocratisation ne sont pas incompatibles. Loin s’en faut.

M.K.

Interview

« Les fraudeurs n’ont pas leur place dans la RSE »

Entretien avec Rachid Filali Meknassi, de la commission des experts pour l’application des conventions et des recommandations, au Bureau international du travail.

 

Responsabilité sociale des entreprises : à quand un régime préférentiel ?

La RSE Ă©quivaut Ă  une bonne gouvernance et Ă  une gestion transparente. En contrepartie, l’entreprise devrait bĂ©nĂ©ficier d’un traitement privilĂ©giĂ© de la part de ses partenaires. C’est le cas avec le fisc, la douane et la CNSS. Reste la rĂ©solution des contentieux et l’accĂšs aux commandes publiques.

OĂč en est l’entreprise marocaine en matiĂšre de RSE ? Quelle est sa typologie ?

Il est difficile de procéder à une typologie, voire à un simple recensement des entreprises marocaines qui se déclarent socialement responsables. On peut se reporter aux entreprises ayant obtenu le label de la CGEM ou à celles qui ont adhéré au Pacte mondial. Mais de nombreuses autres font état de leur RSE dans leur communication et dans leurs rapports avec les partenaires étrangers, sans rallier les initiatives collectives qui se développent dans le pays à ce sujet.

On peut citer la CDG, l’OCP et toutes les entreprises ayant pris part aux assises de la RSE en 2005. En outre, RAM et l’ONDA sont les deux premiĂšres entreprises nationales ayant adhĂ©rĂ© au Pacte mondial. La premiĂšre a Ă©tĂ© radiĂ©e faute d’avoir dĂ©posĂ© son premier rapport. La seconde est dans une situation critique qui lui interdit probablement de faire mention de cet engagement.

Est-il judicieux de parler de RSE dans un environnement dominĂ© par l’informel et la fraude fiscale ?

Une entreprise qui ne respecte pas ses obligations lĂ©gales ne peut pas se prĂ©valoir de la responsabilitĂ© sociale. La RSE consiste d’abord Ă  adopter volontairement un mode de gouvernance transparent, qui prĂ©serve les intĂ©rĂȘts de tous les partenaires de l’entreprise tout en tenant compte de son milieu naturel et social.

Une entreprise socialement responsable est comptable Ă  l’égard de ses multiples parties prenantes du respect du droit en vigueur et des actions volontaires qu’elle entreprend. Non seulement elle s’oblige Ă  s’acquitter de ses obligations sociales et de ses charges fiscales, mais elle Ă©vite, autant que faire se peut, de traiter avec des entreprises qui affichent leur mĂ©pris de la loi et du milieu.

C’est pourquoi, les multinationales socialement responsables sĂ©lectionnent leurs partenaires en donnant la prĂ©fĂ©rence aux entreprises qui partagent ces valeurs. Elles n’hĂ©sitent pas Ă  leur imposer des conditions conventionnelles qui les obligent Ă  aller au-delĂ  de leurs obligations lĂ©gales, notamment lorsque celles-ci ne sont pas rigoureuses en matiĂšre de protection sociale, de prĂ©servation de l’environnement et de corruption.

Les opĂ©rateurs du marchĂ© informel ne sont donc pas admis dans ce cercle. En revanche, leur insertion dans l’économie formelle peut constituer un objectif stratĂ©gique pour les entreprises socialement responsables qui chercheront naturellement Ă  les pousser vers la mise en conformitĂ© en subordonnant leur collaboration Ă  la preuve qu’ils s’acquittent de leurs obligations.

Le Mouvement du 20 fĂ©vrier n’est-il pas en partie l’émanation de l’échec des entreprises marocaines en matiĂšre de RSE ?

Il me semble que le Mouvement du 20 fĂ©vrier, et avant lui ceux de la Tunisie et de l’Egypte, se sont tous cristallisĂ©s sur la captation de la chose publique par les dĂ©tenteurs du pouvoir politique.

Ils ont mis en exergue la forte corrĂ©lation entre  l’absence de dĂ©mocratie, la corruption et la mainmise de la classe politique sur l’économie nationale. En Tunisie, la population a dĂ©signĂ© nommĂ©ment le clan Trabelsi, en Egypte, la famille Moubarak et l’oligarchie de son parti, et au Maroc les banderoles ont stigmatisĂ© la confusion entre le business et l’exercice du mandat public.

Les mots d’ordre les mieux partagĂ©s dans les manifestations rĂ©clament la lutte contre la corruption, la reddition des comptes, la sĂ©paration des pouvoirs, la fin de l’impunitĂ© et une justice probe et efficace. Ils soulignent que la gouvernance politique est la voie d’accĂšs Ă  la gouvernance Ă©conomique et au dĂ©veloppement durable.

Cette forte aspiration rejoint au fond celle de tous ceux qui estiment que la responsabilitĂ© sociale n’est pas une affaire des seules entreprises, mais aussi celle des administrations publiques, des collectivitĂ©s locales et des ONG ; ce qui devrait promouvoir la responsabilitĂ© sociĂ©tale des organisations (RSO).

La RSE suppose également la responsabilité sociale des syndicats. Quelle est leur part de responsabilité dans la situation actuelle ?

La RSE est un objectif de progrĂšs pour l’entreprise, lieu de jonction entre les intĂ©rĂȘts des actionnaires et des salariĂ©s. Le respect des droits individuels et collectifs des travailleurs constitue une condition pour leur adhĂ©sion Ă  cette dĂ©marche.

C’est pourquoi tous les instruments normatifs Ă©laborĂ©s par l’OCDE, l’ONU et le BIT mettent en avant la nĂ©cessaire participation des travailleurs, via des structures lĂ©gales comme le comitĂ© d’entreprise et le syndicat. Le maintien d’un dialogue permanent entre l’entreprise et ses partenaires constitue un gage de succĂšs.

Les syndicats marocains en sont conscients et adhĂšrent sans rĂ©serve Ă  ce mouvement. D’ailleurs, leur collaboration a Ă©tĂ© essentielle  dans le projet engagĂ© par le BIT au Maroc pour la promotion du Pacte mondial, entre 2005 et 2009. Cependant, ils restent vigilants face au risque d’instrumentalisation de cette notion Ă  des fins de communication exclusivement. Un souci d’ailleurs partagĂ© par la CGEM puisqu’elle subordonne l’octroi de son label aux conclusions d’audits rĂ©guliers.

Toutefois, il faut distinguer les rapports collectifs de travail dans l’entreprise et le dialogue social Ă  l’échelle nationale, quand bien mĂȘme, il est vrai, l’entreprise Ă©volue dans un environnement politique et social qui vĂ©hicule ses propres contraintes. Les insuffisances du dialogue social Ă  l’échelle nationale, comme le dĂ©ficit de gouvernance, peuvent rejaillir nĂ©gativement sur les ambitions de l’entreprise en matiĂšre de RSE.

Peut-on imaginer des incitations fiscales ou des subventions en faveur des PME désireuses de se conformer aux principes de la RSE ?

La RSE est un levier de la compĂ©titivitĂ© et de la mise Ă  niveau sociale et Ă©conomique. Elle s’adresse d’abord Ă  l’entreprise prise isolĂ©ment, mais l’expansion de ce mouvement rejaillit sur l’attractivitĂ© globale de l’économie.

Il est donc de l’intĂ©rĂȘt des pouvoirs publics de soutenir ces dĂ©marches volontaristes. Je rappelle que les entreprises se prĂ©valent d’une bonne gouvernance et d’une gestion transparente. Cela justifie, en retour, qu’elles bĂ©nĂ©ficient de la confiance de l’administration, des banques et de tous leurs partenaires.

La CGEM a engagĂ© des dĂ©marches dans ce sens avec le fisc, la douane et la CNSS. Elle devrait obtenir la mĂȘme bienveillance pour le traitement des contentieux extrajudiciaires ou pour l’attribution des commandes publiques. De leur cĂŽtĂ©, les entreprises qui affichent leur responsabilitĂ© sociale gagneraient Ă  mutualiser leurs efforts pour lutter efficacement contre la concurrence dĂ©loyale.

Propos recueillis par Mouna Kably

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