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DĂ©lais de paiement : Rien n’a changĂ© 
actuel n°170, jeudi 29 novembre 2012
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La loi est en vigueur depuis trois mois. Mais  elle n’est toujours pas appliquĂ©e. Certains ignorent  son existence, d’autres essaient de la contourner.


 

 

Les mauvaises habitudes ne sont pas prĂšs de changer. Les entreprises marocaines continuent Ă  souffrir de dĂ©lais de paiement excessivement longs. Mais depuis l’entrĂ©e en vigueur de la loi 32-10, elles ne font rien pour changer les pratiques. « Dans notre secteur, nous n’avons perçu aucun changement », affirme Mohamed Hifdi, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration du transport de la CGEM. Les professionnels du transport comptaient sur cette loi pour amĂ©liorer et Ă©quilibrer leurs rapports aux clients. « Nous avions fait des propositions d’amendement Ă  cette loi pour y intĂ©grer nos problĂ©matiques », explique Hifdi. Mais rien de ce qu’ils espĂ©raient n’a Ă©tĂ© pris en compte. RĂ©sultat : « Je suis obligĂ© de payer mes fournisseurs de pneumatiques dans un dĂ©lai de six mois, car ma trĂ©sorerie ne me permet pas de faire autrement. J’attends d’ĂȘtre payĂ© pour, Ă  mon tour, rĂ©gler mes partenaires », confie Mohamed Hifdi. Information confirmĂ©e par le chef d’une agence bancaire, sous couvert d’anonymat. « Beaucoup de nos entreprises clientes continuent Ă  payer leurs fournisseurs avec des effets qui ne sont pas toujours honorĂ©s Ă  temps. Nous sommes constamment derriĂšre elles pour les inciter Ă  alimenter leurs comptes », ajoute-t-il.

En thĂ©orie, le principe est simple. Pour rĂ©gler ses fournisseurs, l’entreprise doit se faire payer par ses clients. Sur le terrain, c’est tout autre chose. Les entreprises aux ressources financiĂšres limitĂ©es se retrouvent prises dans un interminable cycle de retards de rĂšglement. Rares sont les entitĂ©s qui respectent les dĂ©lais de paiement prĂ©vus par la loi 32-10. Seules les entreprises Ă©trangĂšres observent la rĂšgle car elles se soumettent Ă  des dĂ©lais contractuels, en vigueur dans leurs pays d’origine, qui sont en gĂ©nĂ©ral beaucoup plus courts.

 

Charité bien ordonnée...

Au Maroc, Ă  chaque fois qu’une loi est votĂ©e, les premiĂšres pratiques pour tenter de la contourner ne tardent pas Ă  voir le jour. « Il suffit, par exemple, de ne pas enregistrer la facture dans les dĂ©lais souhaitĂ©s afin que celle-ci ne soit pas traitĂ©e dans les temps », souligne Hifdi. Autre exemple de pratique courante : un mois aprĂšs la rĂ©ception de la facture, le client la retourne au fournisseur pour un pseudo-vice de forme ou une Ă©ventuelle mise Ă  jour. Le fournisseur doit alors Ă©diter une nouvelle facture et apposer une nouvelle date sur l’effet commercial. Comment, dans ces conditions, accĂ©lĂ©rer l’adhĂ©sion des TPE et PME marocaines Ă  cette nouvelle loi sur les dĂ©lais de paiement ? Pour Omar Mounir, vice-prĂ©sident de l’Association marocaine des producteurs de fruits et lĂ©gumes (APEFEL), « charitĂ© bien ordonnĂ©e commence par soi-mĂȘme ». En d’autres termes, l’Etat devrait donner l’exemple. D’abord, en payant Ă  temps ses fournisseurs (voir encadrĂ©). Ensuite, en remboursant, via l’administration fiscale, les arriĂ©rĂ©s dus aux entreprises. « L’Etat devrait ĂȘtre le premier bon payeur du Royaume. Or, des remboursements de TVA au titre des annĂ©es 2008 et 2010 n’ont toujours pas Ă©tĂ© dĂ©bloquĂ©s », lance Omar Mounir. Pourtant, ces rĂšglements rĂ©duiraient la pression sur la trĂ©sorerie des entreprises et leur permettraient de s’acquitter Ă  temps de leurs factures. En attendant, l’APEFEL dĂ©plore le fait de ne pas avoir Ă©tĂ© consultĂ©e lors de l’élaboration de la loi. « Au contraire, nous avons Ă©tĂ© pris au dĂ©pourvu », lance le vice-prĂ©sident. Une rĂ©union a d’ailleurs Ă©tĂ© programmĂ©e la semaine derniĂšre pour identifier les mesures Ă  adopter par l’association. « Notre secteur fait partie de ceux qui seront le plus impactĂ©s par cette loi. Le jour oĂč le fournisseur cessera de jouer le rĂŽle de banquier, ce secteur sera en crise », rappelle Mounir. Il s’agit donc, pour l’APEFEL, de trouver d’urgence des solutions aux difficultĂ©s auxquelles est confrontĂ© le secteur, avant d’imposer un quelconque dĂ©lai.

OpĂ©rateurs et banquiers prĂ©disent donc que rien ne changera dans la pratique. Pour autant, certains patrons affirment qu’il est encore trop tĂŽt pour percevoir un quelconque revirement dans les pratiques commerciales. Tel est le cas de Hatim Baraka, franchiseur de plusieurs marques Ă©trangĂšres au Maroc. « Il faut laisser le temps aux entreprises marocaines de s’adapter Ă  cette nouvelle loi », prĂ©conise Hatim Baraka. D’autant qu’il faut se rendre Ă  l’évidence : beaucoup d’entreprises ne sont pas encore au courant de l’existence mĂȘme de cette loi. MasquĂ©e par d’autres Ă©vĂ©nements, elle est passĂ©e presque inaperçue. « La campagne de communication autour de cette loi est insuffisante et sans impact. Il fallait accompagner et encadrer les TPE et les PME », regrette Baraka. Pour accĂ©lĂ©rer sa mise en Ɠuvre, il est temps de lancer une campagne de communication ciblĂ©e et pragmatique auprĂšs de tous les opĂ©rateurs.

Abdelhafid Marzak

Avis d’expert

Abdelilah Abderrazzak

avocat au barreau de Casablanca

 

La loi 32-10 permet aux entreprises de poursuivre au tribunal. Cependant, sur le terrain, trĂšs rares sont celles qui ont recours Ă  la justice. Certes, la procĂ©dure est lente et chĂšre. Mais la vĂ©ritable raison rĂ©side dans la volontĂ© du fournisseur de ne pas « frustrer » ses clients. Car, en traĂźnant son client devant les tribunaux, le risque est grand de le perdre dĂ©finitivement et de faire fuir tous les autres. Alors les patrons d’entreprises privilĂ©gient la solution amiable. Au pire, ils transmettent, par le biais d’un avocat, une mise en demeure au retardataire. Dans ce courrier, le client est invitĂ© Ă  honorer ses impayĂ©s dans un dĂ©lai prĂ©cis. Si, au terme de ce dĂ©lai, le client ne rĂ©agit pas, le fournisseur est libre de porter le dossier devant la justice. Pour les quelques dossiers qui aboutissent devant les juges, les entreprises lĂ©sĂ©es demandent le paiement du montant de la facture objet du litige, majorĂ© des indemnitĂ©s de retard. Bien que la loi ait fixĂ© un taux de pĂ©nalitĂ© au moins Ă©gal au taux directeur de Bank Al-Maghrib majorĂ© de sept points de base, le montant final des indemnitĂ©s est laissĂ© Ă  la seule discrĂ©tion du juge. Que faire alors quand le client est une administration qui refuse de payer ? De plus en plus d’entreprises osent rĂ©clamer le paiement de leurs factures devant les tribunaux administratifs. D’abord grĂące Ă  la gĂ©nĂ©ralisation de ces tribunaux Ă  travers tout le Royaume. Ensuite, les entreprises dont la gestion est transparente ont le courage d’ester en justice. En pratique, un mĂ©moire est envoyĂ© au ministĂšre de tutelle de l’administration en dĂ©faut de paiement. Si, soixante jours aprĂšs la date d’envoi du mĂ©moire, l’entreprise ne reçoit aucune rĂ©ponse, elle est alors en droit de saisir le tribunal administratif.

A.M.

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