Surprise ! La rencontre entre partisans et dĂ©tracteurs du train Ă grande vitesse nâa pas eu lieu. Voici ce que le dĂ©bat aurait pu donner...
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Jeudi 19 avril, 16h, ils devaient dĂ©battre face Ă face. Au ministĂšre des Transports, les reprĂ©sentants du collectif Stop TGV et ceux de lâONCF, ainsi que le ministre de lâEquipement et du Transport avaient prĂ©vu de confronter leurs arguments pour la premiĂšre fois. HĂ©las, aprĂšs la distribution sur place dâun article paru sur le site Mediapart et intitulĂ©, «âT comme torpille, G comme gabĂ©gie et V comme volâ», Aziz Rebbah a pris la mouche se considĂ©rant comme insultĂ© et a refusĂ© le dĂ©bat. Selon Omar Balafrej, le collectif Stop TGV nâa jamais participĂ© Ă cette distribution, ni rĂ©digĂ© de propos diffamatoires. Nous avions rencontrĂ© avant cette confrontation deux des principaux protagonistes de ce dĂ©bat. Dâun cĂŽtĂ©, Rabie Khlie, le directeur gĂ©nĂ©ral de lâONCF, a dĂ©fendu en confĂ©rence de presse, puis en apartĂ©, sa vision du dĂ©veloppement du pays par les infrastructures. De lâautre, Omar Balafrej, prĂ©sident de lâAssociation ClartĂ© Ambition, membre du collectif Stop TGV, estime quâil y a des prioritĂ©s plus urgentes. Les arguments des deux camps valent la peine dâĂȘtre Ă©coutĂ©s. A dĂ©faut dâun dĂ©bat direct qui semble impossible...
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1) Est-ce vraiment une prioritĂ© quand on nâen a pas les moyens ?
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Le Maroc ne finance quâun quart du projet
«âCâest une question lĂ©gitimeâ», admet Rabie Khlie, qui avoue mĂȘme que le TGV nâest certes pas une prioritĂ© par rapport aux besoins en Ă©ducation ou en santĂ©. «âMais il faut faire la part des choses.â» Et Khlie de souligner que le Maroc ne finance quâun quart du projet (contre la moitiĂ© pour la France, et le reste provenant des monarchies du Golfe). Au total, cela reprĂ©sentera pour lâEtat marocain 4,8 milliards de dirhams Ă dĂ©bourser en six ans. Soit 800 millions de dirhams par an, lâĂ©quivalent de 1,4% du budget de lâEtat. «âSi ces 800 millions rĂ©glaient le problĂšme de lâenseignement, on les donneraitâ!â» Et le directeur gĂ©nĂ©ral de lâONCF dâajouter que le budget de lâenseignement est passĂ© de 33 Ă 52 milliards de dirhams entre 2008 et 2011. Quant Ă utiliser lâargent du TGV pour financer des dispensaires ou des Ă©coles, câest un leurre pour Khlieâ: «âSâil nây a pas de projet, il nây a pas de financement.â»
Non, câest 100% qui est Ă la charge du Maroc
Omar Balafrej du collectif Stop TGV accuse lâONCF de malhonnĂȘtetĂ© intellectuelleâ: «âLâEtat marocain ne finance pas que 24% du projet. Le reste, ce nâest pas du don, ce sont des prĂȘtsâ! Ce nâest pas 24% mais 100% Ă la charge du Maroc. Lâendettement sera Ă la charge de lâONCF. Et sâil ne peut pas payer, lâEtat marocain se substituera.â» Balafrej reconnaĂźt quâil sâagit de taux bas et bonifiĂ©s mais, fondamentalement, un prĂȘt handicape la capacitĂ© dâendettement du Maroc. «âSi on est dĂ©jĂ endettĂ© dans des projets qui ne sont pas prioritaires comme le TGV, on ne nous prĂȘtera plus pour construire des Ă©coles ou des hĂŽpitauxâ! On est placĂ© avant-dernier de la rĂ©gion en termes de dĂ©veloppement humain. Principalement Ă cause de lâĂ©ducation. UN TGV, câest 25â000 Ă©coles dans le monde ruralâ!â» Enfin, Balafrej estime que «âsi la France prĂȘte de lâargent pour aider les entreprises françaises... elle peut le faire pour dâautres projets que le TGVâ».
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2) Est-ce un projet trop gros pour le Maroc ?
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Câest comme vendre une Rolls Ă un pauvre
La taille disproportionnĂ©e dâun tel investissement pour un pays pauvre comme le Maroc est le cheval de bataille de Omar Balafrejâ: «âBien sĂ»r, jâaurais aimĂ© avoir une Tour Eiffel Ă Rabat ou Ă Casa, ça amĂšnerait des touristes. Mais il y a dâautres prioritĂ©s que construire une Tour Eiffel.â» Et le prĂ©sident de la fondation Bouabib dâexpliquer que construire un TGV, câest comme «âvendre une Rolls Ă un pauvreâ». MĂȘme si on lui prĂȘte lâargent, il ne pourra jamais rembourser. Et de conclureâ: «âLa diffĂ©rence entre Khlie et moi, câest que câest un haut fonctionnaire et pas un politique. Dans trente ans quand le TGV sera une catastrophe, il sera Ă la retraite et personne ne viendra lui direâ:â"On nâa pas dâargent pour les hĂŽpitaux."â»
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Il faut faire des sauts qualitatifs !
Dans le camp opposĂ©, on considĂšre que le TGV est lâĂ©pine dorsale du dĂ©veloppement marocainâ: «âTout dĂ©veloppement ne peut se faire que par les infrastructures.â» La logique de lâONCF sâoppose Ă ce que Rabie Khlie appelle, en bon ingĂ©nieur, une logique sĂ©quentielle. Il compare le projet TGV Ă Tanger Medâ: «âAvant Tanger Med, le Maroc Ă©tait, en termes de connectivitĂ© maritime, Ă la 60e place. Et nous sommes passĂ©s Ă la 17e place. Le TGV procĂšde de la mĂȘme logique. Il faut des sauts qualitatifs et des ruptures.â»
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3) Est-ce quâon sacrifie le Maroc enclavĂ© au profit du Maroc utile ?
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Pourquoi faire des trains pour 25 passagers ?
Au lieu de construire un TGV au Nord, pourquoi ne pas dĂ©senclaver par le train Errachadia ou Ouarzazateâ? Pour Khlie, avant le TGV, le Sud doit dâabord avoir tous les services de bases Ces villes sont dĂ©jĂ desservies par bus. Or, «âle rail est un transport de masse. On ne peut pas faire circuler un train avec 25 ou 30 personnesâ». Quand on lui retourne lâargument de lâinfrastructure qui crĂ©e le dĂ©veloppement, le DG de lâONCF ne se dĂ©monte pasâ: «âUne ligne qui traverse lâAtlas va coĂ»ter autant que celle de Casa-Tanger. Il vaut mieux dâabord faire une autoroute.â» Et face Ă une ligne classique, lâautoroute sort toujours vainqueur. En Europe, des lignes ferment pour ces raisonsâ: «âSi on avait du pĂ©trole, pourquoi ne pas faire un train vers le sudâ? Mais si demain on doit aller Ă Errachidia en train, ce doit ĂȘtre un TGV car il sera concurrentiel face Ă lâautoroute. Une ligne classique ne peut pas se positionner... »
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On attend ces lignes depuis plus de 80 ans !
Demain, câest pour quandâ? Les schĂ©mas directeurs ne prĂ©voient toujours pas de desserte du Sud. Ce qui fait bondir Omar Balafrejâ: «âMĂȘme si ça coute 20 milliards de dirhams pour traverser lâAtlas, il faut le faire. Lyautey lâavait imaginĂ©. Plus de 80 ans aprĂšs, on nâa toujours pas cette ligneâ!â» Si Omar Balafrej est dâaccord avec Khlie quand ce dernier estime que le train nâest pas le seul moyen de dĂ©senclaver une rĂ©gion, il ajouteâ: «âMais il faut avoir le courage de le dire aux habitants dâErrachidia.â»
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4) Les trains seront-ils remplis ?
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On atteindra six millions de passagers
LâONCF prĂ©voit six millions de passagers dĂšs la premiĂšre annĂ©e dâouverture de la ligne. Un objectif ambitieux quand on sait quâil nây a eu que trois millions de passagers en 2011 sur Casa-Tanger. Lâargument est vite balayĂ© par Khlieâ: «âOn sera Ă quatre millions au moins au moment du passage Ă la grande vitesse. Quand on a multipliĂ© lâoffre par deux sur Casa-Tanger en gagnant une heure en 2011, ça sâest traduit par une amĂ©lioration de 60% du nombre de passagersâ!â»
Il y a six millions de bourgeois au Maroc ?
Le problĂšme pour Stop TGV, câest bien sĂ»r le prix du billetâ: «âSoit les prix seront similaires aux prix actuels, ce sera alors un gouffre financier et les petits bonhommes dâErrachidia participeront aussi au financement, prophĂ©tise Omar Balafrej. Ou bien les prix vont augmenter de façon dramatique et on connaĂźt le pouvoir dâachat des Marocains...â» Est-ce que ce sera un train pour les touristesâ? Quâon nous le dise alorsâ! sâexclame Balafrej. Un train pour la bourgeoisieâ? «âAllez me trouver six millions de passagers parmi la bourgeoisie. Paris-Lyon, ça marche car il y a des infrastructures des transports en commun quand on arrive en ville. Pas sĂ»r que les hommes dâaffaires marocains prennent les petits taxis...â»
Eric Le Braz |