Le Plan Maroc vert ne prĂ©voit rien contre les alĂ©as climatiques. La sĂ©cheresse met Ă nu des zones dâombre que les agriculteurs dĂ©noncent depuis deux ans. La pluie de ces derniers jours nâinversera pas la tendance.
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Câen est fini avec les prĂ©visions et promesses optimistes. La croissance Ă©conomique Ă 5,5% sur laquelle tablait le PJD ne sera pas au rendez-vous cette annĂ©e. Et câest avec un malheureux 2,5%, tout au plus, que le nouveau gouvernement dĂ©marrera son mandat. Les quelques prĂ©cipitations de ces derniers jours, notamment dans la rĂ©gion Nord et le Gharb, ne rĂ©ussiront pas Ă inverser la tendance ni Ă sauver la campagne. Aujourdâhui, les agriculteurs tentent de minimiser leurs pertes. Pour les plus fortunĂ©s, rien ne presse. MĂȘme si les subventions de lâEtat ne sont pas suffisantes, la vente du petit bĂ©tail et dâune partie des stocks de cĂ©rĂ©ales suffit.
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Mais les petits agriculteurs souffrent et sâendettent. Quand la pluie ne vient pas et quâils ne rĂ©coltent rien, ils sont obligĂ©s de vendre une partie ou la totalitĂ© de leur capital bĂ©tail. Quand ce nâest pas suffisant, ils vont jusquâĂ louer leurs terres. Si elles ne sont pas confisquĂ©es par les banques crĂ©anciĂšres. La plupart finissent par chercher un travail pour subsister. «âBien quâil soit difficile dâen estimer le taux exact, la sĂ©cheresse aggrave lâexode ruralâ», affirme Najib Akesbi, professeur Ă lâInstitut agronomique et agricole Hassan II de Rabat.
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En dĂ©finitive, les agriculteurs pauvres le deviennent davantage durant les annĂ©es de sĂ©cheresse. Les plus aisĂ©s sâenrichissent en rachetant les terres des petits agriculteurs. Alors oĂč en est la situation aujourdâhuiâ? Le bĂ©tail sâalimente Ă hauteur de 60% dans les pĂąturages. La sĂ©cheresse a donc crĂ©Ă© une situation dâinsuffisance alimentaire. Du coup, les prix des aliments ont doublĂ© depuis dĂ©cembre. La botte de paille est passĂ©e de 18 Ă 40 dirhams.
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Spéculation des intermédiaires
Et cette flambĂ©e a un effet sur les prix du cheptel. «âBeaucoup dâagriculteurs ont dĂ©jĂ commencĂ© Ă vendre leur bĂ©tail Ă moitiĂ© prixâ», affirme Said Fagouri, directeur de lâAssociation nationale ovine et caprine (Anoc). Si le prix des brebis a reculĂ© de 20% Ă 30%, le consommateur final nâa pas ressenti cette baisse Ă cause de la spĂ©culation des intermĂ©diaires. Il suffit de se rendre dans un souk pour mesurer la situation de dĂ©tresse. La viande y est vendue jusquâĂ 50% moins chĂšre que chez les bouchers en ville. «âBeaucoup dâurbains se rendent, depuis plusieurs semaines, dans les souks pour sâapprovisionnerâ», affirme SaĂŻd Fagouri.
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Pour lâheure, le plan anti-sĂ©cheresse de lâEtat suscite des rĂ©actions contradictoires. Si SaĂŻd Fagouri reste convaincu que lâaide publique est suffisante pour redresser la barre, Najib Akesbi pointe du doigt le manque de vision Ă long terme. «âLe programme anti-sĂ©cheresse est le mĂȘme chaque fois que lâagriculture se retrouve dans une crise similaire. Rien nâa changĂ© au fil des annĂ©esâ», dĂ©plore-t-il. Ces mesures dâurgence portent sur la subvention de lâachat dâaliments de bĂ©tail et le maintien de lâabattement douanier sur les aliments importĂ©s.
Les petits agriculteurs qui ont, eux, misĂ© sur les cultures maraĂźchĂšres sont tous menacĂ©s de faillite. AprĂšs un hiver des plus rigoureux, les cultures vivriĂšres nâont pas tenu le coup. «âLes tempĂ©ratures de nuit dĂ©passaient rarement 6 degrĂ©s. Pendant la journĂ©e, le thermomĂštre affichait 36 degrĂ©s. Cet Ă©cart a causĂ© lâĂ©clatement des cellules des plantesâ», explique Omar Mounir, vice-prĂ©sident de lâAssociation des producteurs de fruits et lĂ©gumes (APEFEL). De gros dĂ©gĂąts sont recensĂ©s dans les cultures de pommes de terre, les lĂ©gumineuses et lâarboriculture.
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«âEn fĂ©vrier, la pĂȘche a Ă©tĂ© saccagĂ©e, la nectarine malmenĂ©e. Toutes les variĂ©tĂ©s prĂ©coces ont Ă©tĂ© dĂ©truitesâ», ajoute-t-il. Pour la production dĂ©diĂ©e Ă lâexport, il faut affronter une autre crise, Ă©conomique cette fois-ci. La demande europĂ©enne est Ă son plus bas niveau, et les prix dĂ©gringolent. La baisse est de lâordre de 50% sur la tomate, les poivrons ou encore les courgettes. «âEntre ces deux crises, des agriculteurs nâarrivent mĂȘme plus Ă couvrir leurs frais dâemballage. Beaucoup vont mettre la clĂ© sous la porteâ», partage-t-il. La rĂ©gion de Souss-Massa-DrĂąa est la plus sinistrĂ©e. Elle produit 90% des cultures maraĂźchĂšres du pays et devra donc faire face Ă une grande vague de chĂŽmage dans les prochaines semaines. Dans la rĂ©gion de Massa, il faut compter un millier dâouvriers sans travail. A Chtouka, quelque 100â000 ouvriers agricoles vont perdre leur emploi.
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Le Plan Maroc vert nây peut rien
Pour des professionnels, ces dĂ©gĂąts auraient pu ĂȘtre Ă©vitĂ©s si le Plan Maroc vert (PMV) ne comprenait pas des zones dâombre. Tout dâabord, ce plan table sur le dĂ©veloppement des cultures vivriĂšres sous serre pour se soustraire aux alĂ©as climatiques. Or, aujourdâhui, 40% des dĂ©gĂąts constatĂ©s proviennent du gel. «âLes subventions pour les serres de nouvelle gĂ©nĂ©ration nâont jamais Ă©tĂ© accordĂ©es, malgrĂ© les promesses, depuis deux ansâ», affirme Omar Mounir. Si lâesprit mĂȘme du PMV est dâaider les agriculteurs Ă mieux produire, aucune politique dĂ©diĂ©e aux engrais nâest prĂ©vue. «âNous importons des engrais Ă 16 dirhams le kilo. Une aberration pour le premier producteur mondial de phosphatesâ», sâindigne un agriculteur. Au passage, la balance commerciale en prend un sacrĂ© coup.
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Des réserves pour deux ans
Le PMV ne prĂ©voit rien non plus contre la sĂ©cheresse et les changements climatiques. Selon Mohammed-SaĂŻd Karrouk, professeur de climatologie, «âle PMV a Ă©tĂ© mis en place pour doper la production lorsque toutes les conditions sont rĂ©uniesâ».
Si le taux des rĂ©serves nationales en eau dans les barrages est Ă 68%, le taux dâĂ©vaporation et la mauvaise gestion de lâeau risquent dâaggraver la situation. Tout au plus, ces rĂ©serves permettraient au Maroc de rĂ©sister deux ans.
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«âOr, ces grandes superficies hydrauliques ne couvrent que 10% Ă 15% des surfaces agricoles utiles (SAU)â», nuance Akesbi. Les 9 milliards de mĂštres cubes de rĂ©serves en eau ne couvrent quâune petite partie des exploitations agricoles du pays, soit 1,4 million dâhectares. Elles permettront de produire 10 Ă 12 millions de quintaux de cĂ©rĂ©ales. Quant aux 85% de terres agricoles relevant de la petite et moyenne hydraulique (PMH), elles continueront de souffrir des alĂ©as climatiques.
Abdelhafid Marzak
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